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Théorie et méthodes d’analyse des corridors dans le champ des transports

La notion de corridor : entre approches théoriques et construction institutionnelle

1 Une notion évolutive, à la croisée des disciplines

1.2 Approches de la notion de corridor dans le champ du transport et de l’aménagement

1.2.1 Théorie et méthodes d’analyse des corridors dans le champ des transports

Dans le champ des transports, l’usage du terme corridor est fréquent, mais il est peu défini. On trouve une définition de la notion dans le glossaire du manuel universitaire de Géographie des transports de Jean-Jacques Bavoux, Francis Beaucire, Laurent Chapelon et Pierre Zembri :

« Couloir de circulation déterminé par la configuration physique de l’espace traversé et difficilement évitable. On peut ranger dans cette catégorie une vallée séparant deux importants massifs montagneux (…), une bande littorale étroite jouxtant un massif montagneux (…), une traversée de massif (…). Les corridors posent le problème de la cohabitation entre de nombreuses infrastructures et des densités souvent importantes de population et d’activités. Les corridors sont devenus des hauts-lieux de la contestation d’investissements nouveaux. Il est également possible de parler de corridor pour des détroits congestionnés par le trafic maritime (…) et pour les grands canaux interocéaniques. »66

62 Barry E. Prentice, Proceedings of the 31st Annual Conference of the Canadian Transportation Research

Forum: Transport Gateways and Trade Corridors, Saskatoon, University of Saskatchewan Printing Services,

1996, 850 p.

63 Peter Voss Hall, Robert J. McCalla et Claude Comtois (dir.), Integrating seaports and trade corridors, Farnham, Ashgate, 2011, 292 p.

64 Yann Alix (dir.), Les corridors de transport, Cormelles-le-Royal, Editions EMS, 2012, 344 p.

65 Jean Debrie et Claude Comtois, « Une relecture du concept de corridors de transport: illustration comparée Europe/Amérique du Nord », Les Cahiers scientifiques du transport, 2010, no 58, p. 127‑ 144.

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Cette définition circonscrite aux transports est ancrée dans la logique de l’aménagement du territoire, reprenant à la fois les contraintes physiques et humaines de la construction des infrastructures et mettant au centre la question de la densité – de population et de trafic – comme un critère de définition du corridor. L’étroitesse de la bande de terre ou de mer considérée pour pouvoir parler de corridor n’apparaît pas dans d’autres définitions. Cela semble restreindre l’emploi de la notion à des contextes physiques précis qui seraient déterminants, et dont l’évocation ici renvoie à une réflexion entée dans un contexte français héritier de l’analyse de l’espace en massifs et en seuils par la géographie vidalienne. Pour autant, il nous semble indispensable de nous départir d’un contexte unique et de prendre en compte la pluralité des approches possibles des corridors.

Les corridors de transport, inscrits dans une matrice comprenant des logiques aussi bien géopolitiques que marchandes ou écologiques, correspondent à une notion réapparue dans les années 1960 dans le monde anglo-saxon – en particulier aux États-Unis – dans le cadre de l’analyse spatiale et de l’analyse des réseaux. Cette notion s’est peu à peu spécialisée dans l’étude des processus spatiaux, et en particulier urbains, liés à l’intensification des échanges le long d’axes de transport structurants. L’ensemble des travaux de recherche portant sur la question des corridors de transport – quelle qu’en soit l’approche – a été répertorié, expliqué et analysé par Jean Debrie et Claude Comtois dans un article dont nous reprendrons les principales références. Les auteurs présentent dans un premier temps les références théoriques nord-américaines construisant les corridors comme objets d’étude, ce qui leur permet d’en poser une définition claire qui résume les différents enjeux liés à la notion :

« Le corridor, dans son acception géographique, émane initialement des études en analyse spatiale et en topologie (KANSKY, 1963 ; COLE,KING, 1968 ; HAGGETT,CHORLEY, 1969)67. Le terme supporte des usages variés permettant d’identifier des axes de transport (LUIZ,PAULO, 1996)68, de décrire des processus de désenclavement des arrière-pays (PRENTICE, 1996)69, de

67 Karel Joseph Kansky, Structure of transportation networks: relationships between network geometry and

regional characteristics, Chicago, University of Chicago, 1963, 186 p ; John Peter Cole et Cuchlaine A. M.

King, Quantitative geography: techniques and theories in geography, s.l., J. Wiley, 1968, 712 p ; Peter Haggett et Richard J. Chorley, Network analysis in geography, London, Edward Arnold, 1969, 360 p.

68 Silveira L.A. Luiz et Magalhaes B. Paulo, « The influence of the Sepetiba Port Complex on Brazilian Competitiveness in the International Grain market » dans Barry E. Prentice (dir.), Proceedings of the 31st

Annual Conference of the Canadian Transportation Research Forum: Transport Gateways and Trade Corridors, Saskatoon, University of Saskatchewan Printing Services, 1996, vol. 2/ p. 107‑ 119.

69 Barry E. Prentice, « Winnipeg: gateway to the mid-continent corridor » dans Barry E. Prentice (dir.),

Proceedings of the 31st Annual Conference of the Canadian Transportation Research Forum: Transport Gateways and Trade Corridors, Saskatoon, University of Saskatchewan Printing Services, 1996, vol. 2/ p.

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justifier l’accès à des ressources (NEUDORF, HASSAN, 1996)70, d’exprimer un réseau de carrefours urbains interdépendants affichant d’importants mouvements, liens et échanges entre eux (GOTTMANN,1964 ;GOTTMANN, 1987 ; WHEBELL, 1969 ; YEATES,1975 ;MCGEE, 1991)71

ou encore de décrire des routes à différentes échelles géographiques (DOXIADIS, 1978)72. »73

Au prisme de cette définition, étayée par la littérature scientifique et les acceptions qu’elle prête au corridor de transport, on retrouve la multiplicité des approches que l’on avait mise en évidence grâce à l’analyse des dictionnaires. Toutefois, les dimensions géopolitique et environnementale sont largement mises à l’écart au profit de la dimension marchande, ici centrale. L’article de Jean Debrie et Claude Comtois permet donc d’ancrer la notion de corridor dans le champ des transports et des interactions urbaines. Cette orientation de la littérature est confirmée par un examen des textes sources ainsi que par d’autres publications. En effet, le chapitre introductif rédigé par Gustaaf de Monie74 (« Corridors de transport et évolution des échanges ») à l’ouvrage dirigé par Yann Alix le confirme.

D’après Jean Debrie et Claude Comtois, plusieurs champs disciplinaires, adossés à plusieurs contextes spatiaux, sont pertinents pour aborder les corridors. Les études de cas sur lesquelles s’appuient les analyses théoriques sont majoritairement centrées sur l’Amérique du Nord, et en particulier la côte est des États-Unis75 et la liaison est-ouest du Canada76. Dans les années 1990 et 2000, la notion de corridor de transport a été mobilisée par l’analyse économique

70 Russel D. Neudorf et Masood U. Hassan, « Macro-economic impact and benefit/cost analysis of transportation and mining developments in the Northwest territories » dans Barry E. Prentice (dir.), Proceedings of the 31st

Annual Conference of the Canadian Transportation Research Forum: Transport Gateways and Trade Corridors, Saskatoon, University of Saskatchewan Printing Services, 1996, vol. 2/ p. 42‑55.

71 Jean Gottmann, Megalopolis: the urbanized northeastern seaboard of the United States, Cambridge, M.I.T. Press, 1961, xii+810 p ; Jean Gottmann, Megalopolis Revisited: 25 Years Later, Maryland, University of Maryland Institute for Urban Studies, 1987, 86 p ; Charles F. J. Whebell, « Corridors: A Theory of Urban Systems », Annals of the Association of American Geographers, 1969, vol. 59, no 1, p. 1‑26 ; Maurice Yeates,

Main Street: Windsor to Quebec City, Toronto, Macmillan Company of Canada, 1975, 431 p ; Terry G. McGee,

« The emergence of desakota regions in Asia: expanding a hypothesis » dans Norton Sydney Ginsburg et Bruce Koppel (dir.), The extended metropolis: Settlement transition in Asia, Honolulu, University of Hawaii Press, 1991, p. 3‑25.

72 Constantin A. Doxiadis, Ecology and Ekistics, London, Elek, 1977, 91 p.

73 J. Debrie et C. Comtois, « Une relecture du concept de corridors de transport », art cit, p. 128.

74 Gustaaf De Monie, « Corridors de transport et évolution globale des échanges » dans Yann Alix (dir.), Les

Corridors de transport, Cormelles-le-Royal, EMS, 2012, p. 27‑64.

75 J. Gottmann, Megalopolis, op. cit. ; J. Gottmann, Megalopolis Revisited, op. cit. ; Jean-Paul Rodrigue, « Freight, Gateways and Mega-Urban Regions: the Logistical Integration of the BosWash Corridor », Tijdschrift

voor economische en sociale geografie, 2004, vol. 95, no 2, p. 147‑161 ; Sue McNeil, Michelle Oswald et David Ames, A Case Study of the BOSWASH Transportation Corridor: Observations Based on Historical Analyses, Newark, University of Delaware University Transportation Center, 2010, 22 p ; Michelle Oswald, Evaluating the

Current State of the BOSWASH Transportation Corridor and Indicators of Resiliency, Newark, University of

Delaware Department of Civil Engineering, 2009, 20 p.

76 B.E. Prentice, « Winnipeg: gateway to the mid-continent corridor », art cit ; Adolf K.Y. Ng, Alberto E. Velasco Acosta et Tianni Wang, « Institutions and the governance of transport infrastructure projects: Some insight from the planning and construction of the CentrePort Canada Way », Research in Transportation

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multicritères77, et plus particulièrement dans des modèles d’offre et de demande, partant du constat que les grands axes de transports sont marqués par des flux qui les définissent et les structurent. C’est également dans les années 1990 et 2000 que des études de cas européennes apparaissent dans des rapports institutionnels78. On assiste à une évolution progressive de la notion de corridor par une ouverture scientifique de la géographie à l’analyse spatiale et à l’analyse économique.

Les études portant sur les corridors sont donc issues de champs disciplinaires variés et permettent une appropriation du concept par les chercheurs, reposant sur un large spectre de recherches, comme en témoigne Barry E. Prentice :

« L’étude des corridors de commerce recouvre différentes disciplines. Les géographes ont une littérature riche sur les formes d’aménagement du territoire et sur les réseaux de commerce. Les historiens observent la grandeur et la décadence des cités dominantes et étudient leur volonté de changement. Les économistes étudient le rôle des coûts, de l’investissement et des marchés dans la concurrence entre les corridors.79 »80

Il est intéressant de noter que l’auteur, professeur dans une École de commerce de l’Université du Manitoba, fait interagir plusieurs approches du corridor et propose de situer ce dernier à la croisée d’analyses géographiques – portant à la fois sur l’aménagement du territoire et sur l’analyse des réseaux, historiques et économiques. Les trois disciplines renvoient à trois objets et à trois méthodologies complémentaires. En outre, l’auteur porte un intérêt manifeste à la question des réseaux de villes et du commerce telle qu’elle est envisagée par les historiens, et il fait ainsi ressortir l’importance des pouvoirs économiques urbains assis sur la domination des cités commerçantes sur leur espace d’échanges, et fait droit à la notion d’articulation des corridors par des nœuds urbains. Les villes apparaissent donc comme un

77 R.D. Neudorf et M.U. Hassan, « Macro-economic impact and benefit/cost analysis of transportation and mining developments in the Northwest territories », art cit ; Frank R. Bruinsma, Sytze A. Rienstra et Piet Rietveld, « Economic Impacts of the Construction of a Transport Corridor: A Multi-level and Multiapproach Case Study for the Construction of the A1 Highway in the Netherlands », Regional Studies, 1997, vol. 31, no 4, p. 391‑402 ; Evangelos Christogiannis et Christos Pyrgidis, « Investigation of the impact of traffic composition on the economic profitability of a new railway corridor », Proceedings of the Institution of Mechanical

Engineers, Part F: Journal of rail and rapid transit, 2014, vol. 228, no 4, p. 389‑401.

78 Pascal Berthaud et Nolwenn David-Nozay, « Le transport de marchandises à l’horizon 2020 sur l’axe Rhin-Rhône », Notes de synthèse du SES, février 2000, p. 29‑ 34.

79 “The study of trade corridors spans several disciplines. Geographers have a rich literature on land settlement

patterns and trade networks. Historians have observed the rise and fall of dominant cities and explored the impetus for change. Economists have studied the role of costs, investment and markets in the competition between corridors.”

80 Barry E. Prentice, « Gateways, Corridors and Strategic City Pairs », University of Manitoba, Canadian Transportation Research Forum 41st Annual Meeting, 2006.

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acteur majeur, ce qui fait de l’échelon local un niveau de décision à observer. C’est cette multiplicité d’approches qui nous semble féconde pour étudier les corridors.

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