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Le corridor méditerranéen, un objet traversé par différentes logiques théoriques

La notion de corridor : entre approches théoriques et construction institutionnelle

3.1 Le corridor méditerranéen, un objet traversé par différentes logiques théoriques

Nous tenterons de faire émerger de la littérature scientifique et institutionnelle européenne de grandes problématiques permettant d’interroger le cas du corridor méditerranéen, afin de déterminer dans quelle mesure les cadres théoriques posés par la littérature et les approches adoptées pour les études de cas sont pertinents pour forger le cadre d’analyse du corridor méditerranéen.

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3.1.1 Le corridor méditerranéen au prisme des grandes logiques des

corridors

L’analyse des définitions de la notion de corridor dans les dictionnaires de géographie et dans la littérature scientifique a fait émerger trois logiques principales articulant ces définitions : la logique géopolitique, la logique marchande, et la logique environnementale.

Le corridor méditerranéen est traversé par ces trois logiques. Si le corridor méditerranéen ne correspond pas aux exemples évoqués par les dictionnaires, comme le corridor de Dantzig donnant à un État un accès à la mer, il est néanmoins traversé de tensions géopolitiques. En effet, les choix politiques de raccordement ou de non-raccordement de l’Espagne (et de son réseau à gabarit ibérique160) au réseau européen sont au centre des débats historiques sur le corridor méditerranéen. En outre, le corridor méditerranéen est l’objet de négociations entre les différents échelons institutionnels, que ce soit sur la scène européenne (lors des modifications des RTE-T) ou sur la scène nationale (lors des principales échéances électorales). Enfin, dans la définition donnée par Lorenzo López Trigal161, pour qui le corridor a un sens exclusivement géopolitique, les renvois à d’autres notions en fin d’article (conflit, droit international, enclave, espace maritime, État, frontière, pays, territoire, méditerranéité) soulèvent deux enjeux majeurs. Le premier est l’importance des questions de frontière, appelées à être dépassées par l’intégration dans les réseaux transeuropéens, et le second est celui de la « méditerranéité » qui fait directement écho à la problématique de la singularité des espaces concernés par le corridor, dans une perspective aussi bien nationale qu’élargie à l’espace du Bassin méditerranéen.

La logique marchande qui préside à la définition des corridors dans de nombreux ouvrages est également centrale à plus d’un titre pour le corridor méditerranéen. En effet, ce dernier est avant tout un projet d’axe de transports destiné à véhiculer des marchandises et des voyageurs et à relier les principales villes portuaires de la façade méditerranéenne. Cela pose la question de l’aire de chalandise du corridor dans son avant-pays comme dans son arrière-pays, ainsi que celle de son utilité pour l’insertion des territoires traversés dans les flux massifiés et mondialisés.

160 L’écartement des voies de chemin de fer de la Péninsule ibérique est égal à 1,668 m, alors que l’écartement standard de l’UIC utilisé pailleurs en Europe est égal à 1,435 m.

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Enfin, la logique environnementale qui définit la notion de corridor en écologie et son emploi dans le champ de l’aménagement durable peut sembler moins appropriée pour désigner le corridor méditerranéen. En effet, le projet lui-même n’a que peu de rapport avec les questions environnementales, sauf par l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre grâce à la promotion du report modal vers le ferroviaire. La dimension gestionnaire de la notion de corridor écologique est néanmoins intéressante pour aborder le corridor méditerranéen. On peut en retirer l’analyse du corridor comme ensemble de projets ponctuels appelés à s’intégrer dans un macro-projet à la cohérence avant tout institutionnelle.

3.1.2 Le corridor méditerranéen au cœur d’approches pluridisciplinaires

Tout en abordant le corridor méditerranéen d’un point de vue de géographe, en mettant au centre la dimension spatiale et territoriale de l’objet d’étude, il est intéressant de considérer l’apport d’autres disciplines pour son analyse, et notamment de l’aménagement, des études des systèmes urbains, de l’économie, des sciences politiques et de l’histoire.

Chacune des approches ici soulignées peut être lue au prisme du corridor méditerranéen et l’éclairer. L’identification de grands axes de transports fait directement écho à l’origine du corridor méditerranéen (cf. Chapitre 2) : la revendication d’une infrastructure ferroviaire permettant de relier les régions productrices (d’agrumes notamment) à leur marché européen. De manière fonctionnelle, l’axe méditerranéen est également le plus fortement parcouru par les flux routiers en Espagne162. Au-delà de la dimension purement liée au transport, la justification du corridor méditerranéen s’appuie également sur la question de l’accès aux ressources, agricoles et industrielles notamment, et de leur exportation ainsi que sur la nécessité pour les principales régions productives de transporter les facteurs de production (matières premières, produits semi-manufacturés, mais également services…) aux différentes étapes du processus. Ce transport est très lié à la desserte des arrière-pays163 car ce sont eux qui, dans le cas du corridor méditerranéen, sont les principaux pourvoyeurs de trafic. À titre d’exemple, le fonctionnement du cluster industriel de la province d’Alicante, fondé notamment sur le « polygone industriel » d’Elche, met en relation le port d’Alicante et de plus

162 Ministerio de Fomento, Mapas de tráfico,

http://www.fomento.gob.es/mfom/lang_castellano/direcciones_generales/carreteras/trafico_velocidades/mapas/, (consulté le 3 février 2015).

163 Jérôme Verny et Yann Alix, « L’évolution des organisations productives et logistiques. Impacts sur les corridors de transport » dans Yann Alix (dir.), Les Corridors de transport, Cormelles-le-Royal, EMS, 2012, p. 239‑252.

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en plus celui de Valence avec des industries traditionnelles disséminées sur un territoire assez vaste (cf. Chapitre 10). En outre, la main-d’œuvre nécessaire à cette activité productive se situe dans des villes petites et moyennes sur l’ensemble de la province, ce qui génère de forts besoins en infrastructures de mobilité. L’appartenance revendiquée à un corridor méditerranéen est l’un des facteurs fédérant ces arrière-pays. Appuyé sur des polarités urbaines fortes comme Barcelone ou Valence, mais également sur un réseau de villes littorales comme Tarragone ou Castellón, ou intérieures comme Murcie ou Grenade, le corridor méditerranéen contribue également à la mise en relation de « réseaux de carrefours urbains interdépendants ». En effet, les principales villes de l’axe méditerranéen polarisent leur arrière-pays, constituant ainsi des réseaux à l’échelle infrarégionale, mais l’enjeu de la liaison entre les métropoles méditerranéennes espagnoles pose bien la question de l’interdépendance entre elles et de la manière donc les différents réseaux urbains polarisés à grande échelle peuvent se fondre dans une logique réticulaire organisée autour d’un axe littoral à l’aire d’influence élargie. Le cas d’étude du corridor méditerranéen intègre l’ensemble des éléments constitutifs de la notion de corridor de transport : les dimensions économique et urbaine sont centrales, les rapports de force politiques sont omniprésents, et ils doivent être compris dans une perspective historique.

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