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Le corridor méditerranéen, objet d’un jeu institutionnel à plusieurs niveaux

2.1. Un corridor « méditerranéen », multimodal et transeuropéen

2.1.2. Un corridor entre unité et fragmentation

Un « corridor méditerranéen » fait son apparition sous cette appellation pour désigner l’axe qui relie Algésiras à l’Ukraine en passant par la France, le nord de l’Italie, la Slovénie, la Croatie et la Hongrie (en vert sur la Carte 12) :

« Le Corridor méditerranéen relie la Péninsule ibérique à la frontière entre la Hongrie et l’Ukraine. Il suit le littoral de l’Espagne et de la France, traverse les Alpes vers l’est en passant par l’Italie du Nord, et longe la côte adriatique en Slovénie et en Croatie en direction de la Hongrie. Mis à part le fleuve Pô et quelques autres voies d’eau en Italie du Nord, il est

346 D’après un entretien mené à Bruxelles, à la DG-Move, le 5 février 2015 avec Günther Ettl, conseiller du coordinateur du corridor méditerranéen.

347 “The TEN-T policy has constituted the framework to connect transport infrastructure of the "older and

newer" Member States with each other and, in coordination with EU Regional Policy, on stimulating, preparing and implementing projects within the newer Member States. Thereby, a great deal of progress has been made in the past 10 years to improve transport connections between the West and the East of Europe.”

348 INEA, Linking East and West - Transport, http://ec.europa.eu/transport/themes/infrastructure/ten-t-policy/linking_en.htm, (consulté le 6 novembre 2014).

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constitué de route et de rail. Les projets ferroviaires clés le long de ce corridor sont les liaisons Lyon-Turin et la section Venise-Ljubljana349. »350

Ce tracé ne correspond que partiellement à l’épithète « méditerranéen », alors même que les projets prioritaires de 2005 ne faisaient pas apparaître le terme. On peut faire l’hypothèse que le choix de cette dénomination est dû à la mobilisation des régions méditerranéennes espagnoles et à l’insistance de lobbies comme Ferrmed auprès de la Commission européenne (cf. Chapitres 5 et 6). D’après Günther Ettl351, il ne faut toutefois pas accorder une trop grande importance aux noms choisis pour les corridors, qui ont fait consensus en utilisant des repères maritimes afin d’éviter de les numéroter – ce qui aurait nécessairement créé une idée de hiérarchie – ou de les nommer par les pays qui sont à leurs extrémités – ce qui aurait conduit à la surreprésentation de certains États et à l’absence de certains autres dans la nomenclature. Toujours est-il que, par un processus de synecdoque, le corridor méditerranéen devient l’un des 9 objets structurants de la politique européenne alors même qu’il n’était que fragmentairement présent dans les documents précédents.

Du point de vue de son tracé, ce nouveau « corridor méditerranéen » inverse la logique qui avait prévalu dans les documents précédents352 qui l’orientaient plutôt vers le centre économique de l’Europe et vers les ports du nord – Rotterdam ou Hambourg – comme le préconisent d’ailleurs les groupes de pression (cf. 3). Désormais, c’est vers l’est que le corridor est orienté. Or les perspectives économiques de l’Espagne sont étroitement liées aux marchés français et allemand et non aux nouveaux pays membres. La dernière version du corridor méditerranéen ne semble donc pas répondre aux attentes immédiates des acteurs économiques espagnols. Néanmoins, les perspectives de développement économique des États récemment intégrés à l’Union européenne constituent un marché potentiel intéressant, mis en avant par les études commanditées par la DG-Move (cf. Encadré 3).

349 “The Mediterranean Corridor links the Iberian Peninsula with the Hungarian-Ukrainian border. It follows

the Mediterranean coastlines of Spain and France, crosses the Alps towards the east through Northern Italy, leaving the Adriatic coast in Slovenia and Croatia towards Hungary. Apart from the Po River and some other canals in Northern Italy, it consists of road and rail. Key railway projects along this corridor are the links Lyon – Turin and the section Venice – Ljubljana.”

350 Commission européenne, Mediterranean, https://ec.europa.eu/inea/en/connecting-europe-facility/cef-transport/projects-by-corridor/Mediterranean, (consulté le 30 juillet 2015).

351 Entretien réalisé le 5 février 2015 à la DG-Move, à Bruxelles.

352 Parlement européen, « Décision n°1692/96/CE de Parlement européen et du Conseil, du 23 juillet 1996, sur les orientations communautaires pour le développement du réseau transeuropéen de transport », art cit ; Commission européenne, TEN-T priority axis and projects (maps), op. cit. ; Commission européenne,

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Encadré 3- Le corridor méditerranéen, actualité et perspectives

L’un des objectifs de la planification européenne des transports est de faciliter les circulations dans l’Union européenne, d’accroître ainsi les trafics en les affectant aux modes les plus efficaces énergétiquement, et de participer à la cohésion des régions traversées. La question des volumes transportés le long des axes planifiés et de leur potentiel de trafic à moyen terme est donc posée. Toutefois, la fragmentation du réseau préexistant et la multiplicité des périmètres institutionnels rendent problématique un diagnostic précis de la situation tout au long d’un axe donné. Dans le cadre de la création des 9 corridors multimodaux, la Commission européenne a commandé un rapport au bureau d’études Setec International sur le trafic, actuel et envisagé, le long du « corridor méditerranéen ». Cette étude, dont les résultats sont repris par la Commission européenne353, a été largement réalisée dans le cadre du Projet de fin d’études de l’École nationale des Ponts et Chausées de François Guédel354.

Le diagnostic territorial dressé par cette étude montre que le corridor méditerranéen traverse des métropoles importantes (Madrid, Barcelone, Lyon, Turin et Milan) et qu’il dessert des régions représentant en moyenne 17% du PIB de l’Union européenne, malgré de fortes disparités en matière d’économie et d’infrastructures de transport, ce qui explique la faible interopérabilité des réseaux. Ce constat confirme l’importance du facteur urbain et du dynamisme économique dans la définition des corridors.

D’après les cartes produites par l’étude (grâce à des données issues des bases de la Commission), en 2010, le trafic de marchandises par le chemin de fer le long du tracé est assez faible. Il connaît ses plus fortes valeurs entre Saragosse et Barcelone, dans la Vallée du Rhône, au nord de l’Italie et en Slovénie. Cela vient confirmer l’importance des régions métropolitaines et le retard accusé, en matière de trafic ferroviaire, par le littoral espagnol. Le trafic routier est quant à lui beaucoup plus important tout au long du tracé, avec des goulots d’étranglement particulièrement visibles aux frontières et autour des grandes villes, les deux points faibles du réseau identifiés par le rapport.

Enfin, les projections de trafic associées au corridor méditerranéen à l’horizon 2030, sur la base du modèle développé dans l’étude, sont fondées sur l’hypothèse d’une croissance moyenne dans l’Union européenne d’1,5%. Elles aboutissent à une croissance annuelle

353 Commission européenne, Mediterranean Core Network Corridor Study. Final Report, op. cit.

354 F. Guédel, Etude du marché de transport sur le corridor méditerranéen. Application au transport de

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estimée de 2,7% du trafic de marchandises le long de cet axe si le projet de corridor défini par la Commission est réalisé. Le chemin de fer représente aujourd’hui 14,6% de la part modale des marchandises transitant le long de cet axe, chiffre qui resterait stable sans le corridor méditerranéen, mais qui pourrait atteindre, si le corridor est réalisé, 27,1%. Le rapport souligne qu’une telle croissance du trafic provoquerait une congestion accrue aux frontières ainsi que sur le tronçon Barcelone-Valence, si celui-ci n’était pas amélioré. Il met donc en avant le caractère stratégique de deux des principaux tronçons du corridor tel qu’il est défini en Espagne.

Toutefois, une telle étude, si elle permet de révéler des perspectives intéressantes, connaît certaines limites, liées en particulier à la disponibilité des données. En effet, ce travail considère le corridor méditerranéen tel qu’il est défini par la Commission et il prend pour base géographique la maille des NUTS 2 (qui correspondent aux Communautés autonomes en Espagne). Étant donné le double tracé du corridor dans la Péninsule, cela aboutit à la prise en compte de près des deux tiers du territoire espagnol dans les statistiques utilisées. Or il serait intéressant de connaître plus finement le trafic réel des lignes littorales, ce qui supposerait un accès aux statistiques des gestionnaires d’infrastructures des différents pays traversés. Par ailleurs, le diagnostic dressé ici ne concerne que le trafic de marchandises, abstraction faite des données socio-économiques des régions traversées et des données politiques et stratégiques des territoires à une échelle fine. Un prolongement de cette étude pourrait donc être envisagé, à condition d’accéder à des données plus désagrégées et plus variées.

En outre, la nouvelle carte proposée par la Commission européenne est fondée sur un paradigme réticulaire – qui diffère des précédents paradigmes linéaires – ce qui atténue, au moins dans le discours, cette rupture avec la logique nord-sud qui avait jusqu’alors prévalu. Le corridor méditerranéen est désormais interconnecté au corridor nord-méditerranéen, qui reprend en grande partie le tracé reliant l’Espagne au nord de l’Europe suggéré par les acteurs économiques espagnols. Toutefois, si cette logique en réseau semble apporter à terme toute satisfaction, elle est dans l’immédiat problématique parce qu’elle repose sur des processus décisionnaires différents. En effet, il existe une structure distincte pour chacun des 9 corridors multimodaux, reposant chacune sur un Forum de Corridor destiné à réunir les acteurs des différents pays concernés, et sur l’action d’un coordinateur européen, choisi en-dehors de

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l’aire géographique du projet dont il a la charge355. Dès lors, les corridors multimodaux – en plus d’être constitués de plusieurs modes dont l’interconnexion pourrait s’avérer problématique – étant des agrégats de projets prioritaires, eux-mêmes constitués de plusieurs actions hétérogènes chacun, il semble peu probable d’atteindre un degré de fonctionnalité satisfaisant d’ici 2030, actuel horizon d’attente du Mécanisme pour l’interconnexion en Europe. Le corridor méditerranéen, en dépit de la continuité suggérée par la cartographie, est lui-même composé de projets distincts (cf. Carte 13) comportant plusieurs modes (le rail majoritairement, mais également la route et la voie d’eau). Ils obéissent à une hiérarchie, comme en témoigne la définition du corridor méditerranéen qui affirme que « les projets ferroviaires clés le long de ce corridor sont les liaisons Lyon-Turin et la section Venise-Ljubljana »356.

Carte 13- Principales actions prévues sur le corridor méditerranéen

355 INEA, Corridors - Transport, http://ec.europa.eu/transport/themes/infrastructure/ten-t-guidelines/corridors/index_en.htm, (consulté le 6 novembre 2014).

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Le tracé du corridor méditerranéen comprend des lignes déjà en service, sur lesquelles aucune action n’est envisagée, ainsi que des tronçons pour lesquels des actions sont prévues. Il s’agit très majoritairement de projets ferroviaires, quoique plusieurs modes puissent coexister sur le même axe (cf. Annexe 4). L’ensemble des traversées de frontières fait l’objet d’opérations prioritaires. En Espagne, le double tracé du corridor par le littoral et par Madrid laisse apparaître des différences d’avancement des projets, plus aboutis sur l’axe central que sur l’axe méditerranéen. En insistant sur la continuité des corridors et sur l’interconnexion des réseaux nationaux, la planification européenne de 2011-2013 reprend les priorités du Livre blanc de 2011357 et d’inclusion des nouveaux États membres dans la planification.

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