• Aucun résultat trouvé

Le corridor méditerranéen dans la mise en place du réseau central

Le corridor méditerranéen, objet d’un jeu institutionnel à plusieurs niveaux

2.2. La mise en œuvre problématique du corridor méditerranéen dans le cadre européen

2.2.2. Le corridor méditerranéen dans la mise en place du réseau central

Le rôle de l’Union européenne dans les RTE-T comme dans le réseau de base est de coordonner les projets, d’assurer un équilibre territorial dans leur répartition et de financer les études nécessaires à hauteur de 50% de leur coût. La définition des neuf « corridors multimodaux » du réseau central répond à de grands principes, comme l’interopérabilité ou la multimodalité, qui doivent permettre d’intégrer les réseaux nationaux. Elle se fait par la concaténation le long de grands axes de plusieurs projets, portés par les États, sélectionnés sur la base de l’appel à projets de 2011 qui mettait en avant 5 priorités363 :

362 Marc Abélès et Irène Bellier, « La Commission européenne : du compromis culturel à la culture politique du compromis », Revue française de science politique, 1996, vol. 46, no 3, p. 431‑ 456.

363 INEA, Calls for Proposals 2011 - Annual, http://inea.ec.europa.eu/en/ten-t/apply_for_funding/follow_the_funding_process/annual_call_2011.htm, (consulté le 7 novembre 2014).

159

1. Promouvoir un système de transports intégré multimodal ;

2. Diminuer l’impact des transports sur l’environnement et contribuer à l’adaptation au changement climatique ;

3. Faciliter la mise en œuvre des projets des RTE-T ; 4. Soutenir les PPP et les financements innovants ;

5. Soutenir une implantation pérenne des RTE-T, en permettant notamment le développement d’un réseau coordonné à travers de grands corridors.

D’emblée, le corridor méditerranéen défini par la Commission souffre d’un manque d’unité puisqu’il est, par construction, composé de plusieurs projets portés séparément – et de manière cloisonnée – par différents pays. Les corridors sont censés jouer un rôle de ciment en permettant une meilleure coordination des tronçons concernés par des financements européens et leur intégration aux réseaux préexistants, d’où l’insistance sur la multimodalité plus que sur la continuité des infrastructures. Les projets inclus dans ce réseau de base peuvent bénéficier de fonds européens jusqu’à 40% de leurs coûts, contre 30% au maximum pour les projets du réseau global364.

La mise en place des corridors rencontre plusieurs difficultés. Les tracés concrets et les conditions d’exploitation sont délégués, au nom du principe de subsidiarité, aux autorités compétentes en matière d’infrastructures. En ce qui concerne l’Espagne, il s’agit du gouvernement central, alors que les Communautés autonomes ont fait un effort considérable de lobbying et sont les plus directement concernées par le corridor méditerranéen. Cela crée une relation triangulaire entre régions, État et Union européenne, où le fonctionnement institutionnel européen fait écho aux questions de géopolitique nationale. C’est le cas en particulier du corridor méditerranéen, qui mobilise les acteurs régionaux du littoral et qui fait l’objet, sur la scène nationale, d’un débat de longue date sur sa réalisation et ses modalités (cf. Figure 11). L’inscription dans les RTE-T introduit un troisième acteur dans le dialogue institutionnel et engendre par conséquent un changement de gouvernance. Le face-à-face national est rompu au profit d’une relation triangulaire où l’Union a un rôle d’intermédiaire.

160

Figure 11- Le corridor méditerranéen au centre d’une relation triangulaire

Les relations entre les différents acteurs, publics ou privés, aux différents échelons, sont encadrées par un Coordinateur européen365. Pour le corridor méditerranéen, il s’agit de Laurens Jan Brinkhorst, dont le rôle366 est de produire de la documentation sur le projet – ce qui a été fait sous forme d’un rapport publié en 2014367, de faciliter les échanges entre les acteurs concernés par les différents aspects composant le corridor, de mettre en place un Forum du corridor pour les réunir et de définir un programme de travail368. En effet, la fragmentation interne au corridor et son partage entre des États qui ont a priori peu d’intérêts en commun, implique la création de structures ad hoc et la production d’une littérature grise tentant de donner un sens commun à l’ensemble du corridor. Pour ce faire, le coordinateur du corridor méditerranéen s’appuie en particulier sur des études économiques réalisées par des bureaux d’études369. Il s’agit de donner une vision d’ensemble du corridor fondée sur le diagnostic des territoires traversés ainsi que sur des éléments de prospective susceptibles d’orienter une action commune des différents pays.

Cette quête d’action commune est d’autant plus importante que le corridor méditerranéen, s’il occupe une place importante pour les acteurs espagnols, est peu présent à l’esprit des acteurs

365 Les coordinateurs européens sont chargés d’évaluer l’avancée des RTE-T et de faire des recommandations pour l’amélioration de leur mise en œuvre.

366 Parlement européen, « Règlement (UE) n°1315/2013 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2013 sur les orientations de l’Union pour le développement du réseau transeuropéen de transport et abrogeant la décision n°661/2010/UE », Journal Officiel de l’Union européenne, 2013, no L348, p. Art. 45 et 46.

367 Commission européenne, Mediterranean Core Network Corridor Study. Final Report, op. cit.

368 Laurens Jan Brinkhorst, Mediterranean Corridor. Work Plan of the European Coordinator, Bruxelles, Commission européenne, 2015.

369 F. Guédel, Etude du marché de transport sur le corridor méditerranéen. Application au transport de

161

français. Or il concerne dès l’origine la France puisque son objectif premier est de relier les deux pays. En outre, dans le tracé proposé par la Commission européenne, le territoire français est un maillon essentiel du corridor. Pourtant, en France, un désintérêt et une méconnaissance manifestes du projet sont perceptibles, tant dans l’opinion que chez les acteurs mêmes du secteur ferroviaire et de l’aménagement du territoire. Le tracé du corridor est bien présent dans la planification française, mais de manière fragmentée. La traversée Lyon-Turin et les débats qui l’entourent370 sont envisagés du point de vue environnemental et économique. Le raccordement des réseaux français et espagnol fait l’objet d’une communication importante autour de l’ouverture d’une nouvelle liaison TGV internationale, et plus récemment autour de la mise en faillite de la société concessionnaire du tunnel transfrontalier, TP Ferro. Par ailleurs, la construction retardée de la LGV Montpellier-Perpignan371 est également un sujet largement commenté. Malgré cela, les plans d’infrastructure français ne font pas référence au corridor méditerranéen en tant que tel. Des entretiens réalisés avec Réseaux ferrés de France (RFF)372 ont montré que parmi les acteurs ferroviaires directement concernés par les réseaux transeuropéens, auprès desquels ils représentent le gestionnaire d’infrastructures français, le corridor méditerranéen n’était pas un objet en soi. En-dehors de ces acteurs, directement concernés par les RTE-T, le corridor est extrêmement peu connu. La fragmentation de l’approche française quant à l’interconnexion avec l’Espagne peut être interprétée comme un désintérêt pour la question de l’infrastructure, puisque c’est pour la partie espagnole et non pour la partie française que la question du changement d’écartement se pose. Ce désintérêt se manifeste également dans les conférences consacrées au corridor méditerranéen. À titre d’exemple, lors de la conférence conjointe de Ferrmed et d’EU Core Net Cities qui s’est tenue à Barcelone en janvier 2015 sur le thème du corridor méditerranéen, l’ensemble des pays concernés par le projet transeuropéen étaient représentés. Les acteurs institutionnels qui composent la première table ronde témoignent une

370 Kevin Sutton, « Le conflit autour du Lyon-Turin dans le Val de Suse. Vers une nécessaire reconsidération des basses vallées alpines », Revue d’Économie Régionale & Urbaine, 2013, no 1, p. 179‑ 201 ; Philippe Mühlstein,

Les projets d’infrastructures de transport, tous « inutiles et imposés » ? Réflexions et propositions sur le projet ferroviaire Lyon-Turin, http://yonnelautre.fr/spip.php?article7216 , 25 mai 2014, (consulté le 3 juin 2015).

371 Julien Beideler, « France-Espagne : LGV Perpignan-Figueras : 8 km de tunnel sous les Pyrénées », Le

Moniteur des travaux publics et du bâtiment, 2007, no 5405, p. 62‑ 63 ; Marc Legrand et Eusebio Corregel Barrio, « LGV Perpignan-Figueras : l’axe ferroviaire à grande vitesse du Sud-Ouest de l’Europe », Travaux, 2009, no 867, p. 24‑ 27 ; Patrice Chardard, « La ligne à grande vitesse Perpignan-Figueras », Travaux, 2007, no 838, p. 26‑ 30 ; Jean-Pierre Charlanne, « La ligne ferroviaire à grande vitesse Perpignan - Figueras », Revue

générale des chemins de fer, 2005, no 32-33, p. 33‑ 36 ; Joan Lloret i Salvo, Analyse géopolitique de la

construction d’une LIGNE FERROVIAIRE À GRANDE VITESSE entre la France (Perpignan) et l’Espagne (Figuères), Mémoire de Master 1, Université Paris-8, Saint-Denis, 2010, 134 p.

372 Entretiens avec Eulalie Rodrigues, Responsable du secteur Réseaux européens de transports, corridors, financements communautaires, projets, et Jean Calio, co-directeur du corridor D, réalisés à Paris les 19 et 25 février 2013.

162

nouvelle fois de l’importance de la Catalogne dans le dispositif, mais également de la faible implication de la France. En effet, les quatre premiers orateurs sont présentés comme les émissaires respectivement de la Commission européenne, du Gouvernement catalan, du Gouvernement espagnol et du Gouvernement français. La DG-Move est représentée par Olivier Onidi, Directeur des Réseaux européens et de la Mobilité, le Gouvernement catalan est représenté par son Secrétaire aux Infrastructures et à la Mobilité Ricard Font, et le Ministerio de Fomento est représenté par Pascual Villate, Directeur général adjoint aux Infrastructures et au Transport. Tous trois occupent des fonctions élevées dans l’organigramme de leurs institutions respectives. À l’inverse, la France n’est représentée que par l’Adjointe au Chef du service des Transports de la DREAL (Direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement) Languedoc-Roussillon, position bien moins élevée dans l’organigramme. De plus, par rapport aux autres représentants institutionnels, Karine Bussone semblait sur la défensive, peu à l’aise avec le sujet. Au-delà de l’anecdote, la France ne joue pas un rôle moteur dans la défense et la mise en œuvre du corridor méditerranéen, ce qui pose problème, étant donné sa position centrale pour le raccordement de la Péninsule ibérique au centre de l’Europe. C’est en cela que le rôle du coordinateur du corridor est essentiel.

Le corridor méditerranéen, tel qu’il apparaît dans les documents récents373, est donc une superposition d’éléments qui ne correspondent que partiellement aux projets nationaux portés par le gouvernement espagnol. Le cadre relativement malléable qui entoure les projets fait néanmoins partie des conditions de possibilité des grands corridors transeuropéens dont l’existence même repose sur un consensus mou. Cette posture permet de prendre en compte, de manière modulable, d’une mouture à l’autre des RTE-T, les positions exprimées par chacun des acteurs à l’échelle régionale ou nationale, mais également par les groupes de pression. Le niveau institutionnel européen374 est donc un puissant prescripteur qui fournit une vision et des cadres, bien que la mise en œuvre opérationnelle des projets soit déléguée aux échelons nationaux et locaux.

373 Commission européenne, TEN-T Implementation of the Priority Projects, Bruxelles, Commission européenne, 2012, 310 p ; Commission européenne, The Core Network Corridors. Trans European Transport

Network 2013, op. cit.

374 Jean-Pierre Wolff, « L'interrégionalité ferroviaire, des projets aux réalisations: jeux d'acteurs et aménagement du territoire » dans Michel Vrac, Pascal Bérion et Jean Varlet (dir.), Interrégionalité et réseaux de transports, Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté, 2010, p. 13-21.

163

3. Ferrmed : une certaine vision du corridor méditerranéen

Outline

Documents relatifs