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La notion de corridor : entre approches théoriques et construction institutionnelle

1 Une notion évolutive, à la croisée des disciplines

1.1 La notion de corridor dans les dictionnaires de géographie : géopolitique, économie, transports, environnement

1.1.1 Le corridor dans les dictionnaires français

Parmi les dictionnaires de géographie français usuels, seuls deux consacrent une entrée au « corridor ». Il s’agit tout d’abord du classique Dictionnaire de la géographie dirigé par Pierre George et Fernand Verger qui met en évidence trois sens principaux du terme pour un géographe :

« Couloir étroit entre deux domaines. Le terme était utilisé dans le domaine politique comme dans l’exemple du corridor de Dantzig (…) qui permettait (…) un accès de la Pologne à la mer. Il est aussi utilisé dans le domaine économique (corridor balkanique), mais c’est dans le domaine de l’architecture des paysages et de l’écologie que le terme est aujourd’hui le plus employé avec le sens de corridor biologique. »34

Cette définition permet de cerner les grands champs d’application de la notion de corridor et de comprendre son évolution, depuis un emploi limité à un sens géopolitique (une bande de terre délimitée par des frontières et un droit spécifique, avec un objectif limité de transit entre une entité territoriale et un débouché maritime), jusqu’à un sens plus contemporain qui reprend l’idée d’axialité marquée par des fonctions spécifiques et permettant également un transit. Les délimitations en sont alors moins nettes. Cette entrée consacrée à la notion de

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corridor atteste de l’ancienneté relative de l’usage du terme en géographie. En effet, le premier sens prêté à la notion par Pierre George et Fernand Verger est directement rattaché à un temps, à un espace et à un univers donnés : l’évocation du corridor de Dantzig35 ancre la notion dans le contexte de l’accès de la Pologne à la mer dans l’entre-deux-guerres et dans le cadre de référence qu’est l’Europe de l’Est. Le corridor de Dantzig renvoie clairement à une confrontation entre puissances et par là-même à une dimension conflictuelle. En outre, il est également porteur d’une dimension économique sous-jacente : la question du débouché portuaire de la Pologne met en avant la question des flux de marchandises et des transports. Enfin, il est intéressant que la notion de corridor ait été appliquée d’abord à un théâtre de l’Europe de l’Est, car c’est celui-ci qui devient un demi-siècle plus tard le premier théâtre de déploiement des corridors pan-européens.

Le second ouvrage de référence qui traite de la notion de corridor est le dictionnaire dirigé par Roger Brunet, Les Mots de la géographie qui consacre à ce terme l’entrée suivante :

« La galerie où l’on court, qui met en communication une série de lieux ; synonyme de couloir et de passage. Les communications s’y concentrent, mais alors on parle plutôt de couloir, voire d’axe. Car le mot corridor a une histoire lourde : il désigne plutôt une anomalie territoriale, qui donne à un pays un accès fragile et contesté, tel le célèbre et défunt corridor de Dantzig (Gdansk). Il assure le débouché sur mer d’un État enclavé : il se négocie, ou se dispute, s’exige et se reprend (…). »36

Cette définition propose une approche centrée sur la géopolitique et les voies de communication. Roger Brunet assure ainsi la transition entre une vision du corridor reposant sur son sens géopolitique de l’entre-deux-guerres et une vision plus moderne fondée sur l’importance des flux et de la mise en relation des lieux. Les renvois vers d’autres termes géographiques confirment l’intérêt pour les réalités autres que géopolitiques recouvertes dans l’usage par le terme de corridor. Il est de ce fait intéressant d’observer les renvois de ces termes les uns aux autres et le champ lexical qui est ainsi révélé (cf. Figure 3). D’après le dictionnaire de Roger Brunet, les termes de corridor et de couloir sont issus de la même étymologie37. Il est intéressant de noter que les deux autres renvois visent des termes qui, par leur sens et par le déploiement vers leur champ lexical respectif, conduisent à deux domaines – celui des transports d’une part, et celui du territoire d’autre part – et à leurs outils d’analyse.

35 Le corridor de Dantzig est l’exemple paradigmatique repris par la plupart des dictionnaires.

36 Roger Brunet (dir.), Les mots de la géographie: dictionnaire critique, 3ème éd. rev. et augm., Montpellier / Paris, RECLUS / Documentation française, 1993, p. 130.

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Les termes d’enclave et d’État-tampon font quant à eux retour sur la dimension géopolitique initiale des corridors.

Figure 3- La notion de corridor et ses renvois dans le dictionnaire de Roger Brunet

En revanche, un ouvrage revendiquant une approche encyclopédique des termes de la géographie, comme l’Encyclopédie de géographie38 ne cite pas même le terme de corridor dans la table des notions, ce qui indique que, s’il est utilisé dans le langage courant et dans les pratiques d’aménagement, ce terme ne correspond pour les auteurs à aucune réalité géographique clairement identifiable. Le même constat s’impose si l’on se réfère au Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés39 dont les auteurs consacrent pourtant nombre d’entrées à des thématiques d’actualité et à des concepts problématiques de l’aménagement. Enfin, le Dictionnaire de l’urbanisme et de l’aménagement40 est également dépourvu de référence à cette notion pourtant de plus en plus utilisée en aménagement, à l’échelle urbaine comme à petite échelle.

38 Antoine Bailly, Robert Ferras et Denise Pumain (dir.), Encyclopédie de géographie, 2ème éd., Paris, Economica, 1995, 1167 p.

39 Jacques Lévy et Michel Lussault (dir.), Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, Paris, Belin, 2003, 1033 p.

40 Pierre Merlin et Françoise. Choay (dir.), Dictionnaire de l’urbanisme et de l’aménagement, Paris, PUF, 2009, 963 p.

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