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contexte historique : évolutions et mise en œuvre d’une vision

1 Le corridor méditerranéen, une revendication de longue date

1.1 Genèse du corridor méditerranéen

1.1.1 L’exportation des oranges et les premières revendications

Les régions méditerranéennes espagnoles sont productrices de fruits et légumes et le secteur agro-alimentaire y est traditionnellement puissant. L’Espagne est en effet le principal fournisseur de primeurs – produits très majoritairement dans les régions méditerranéennes – à destination des marchés d’Europe occidentale. Dans les années 1920, ce secteur est d’ailleurs le seul à impulser le commerce extérieur espagnol :

« À l’inverse de la tendance à l’autarcie de l’ensemble de l’économie espagnole durant le premier tiers du XXe siècle, les premières décennies du siècle représentent dans le Pays valencien une période de consolidation de ses liens avec le marché extérieur, résultat de l’augmentation spectaculaire de ses exportations171. »172

C’est après la Première Guerre mondiale que les exportations d’agrumes connaissent une croissance importante173 : d’après les statistiques du commerce extérieur exploitées par Jordi Palafox Gamir174 elles sont multipliées par quatre entre 1920 et 1930, passant de 257,9 à 1 084,6 milliers de tonnes. Dans le même temps, la Grande-Bretagne, premier client, représente une part de moins en moins importante des exportations, au profit de la France et de l’Allemagne, marchés en forte croissance. Si, à la fin des années 1920, la part modale du chemin de fer dans les exportations d’oranges était proche de 30%, contre 6% au début de la décennie175, cela peut en partie être imputé à l’évolution du marché, les partenaires continentaux devenant plus importants. Cette croissance s’est faite au détriment du transport par voie maritime, jusqu’alors largement dominant.

Face à un secteur agricole dominé par un petit noyau dur de donneurs d’ordres étrangers possédant les capacités de financement et de crédit, et par quelques armateurs qui transportent les agrumes dans des conditions souvent médiocres, plusieurs propositions de réorganisation du secteur ont été faites, notamment après la crise de l’hiver 1925-1926 où deux épisodes de gel avaient mis en péril la production. On peut en particulier citer celle de José Bellver

171 “A diferencia de la tendencia hacia la autarquía del conjunto de la economía española durante el primer

tercio del siglo XX, los decenios iniciales de la centuria suponen en el País Valenciano un período en el que se consolidan sus vinculaciones con el mercado exterior, como resultado del espectacular aumento de las exportaciones.”. Sauf mention contraire, les traductions sont de l’auteur de cette thèse.

172 Jordi Palafox Gamir, « Estructura de la exportación y distribución de beneficios. La naranja en el País Valenciano (1920–1930) », Revista de Historia Económica / Journal of Iberian and Latin American Economic

History, 1983, vol. 1, no 02, p. 339.

173 Robert Hérin, « L’agrumiculture espagnole », Méditerranée, 1968, vol. 9, no 4, p. 335‑383.

174 J. Palafox Gamir, « Estructura de la exportación y distribución de beneficios. La naranja en el País Valenciano (1920–1930) », art cit.

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Mustieles en 1927, et celle de Francisco Doménech Beltrán et Juan B. Doménech Doménech en 1928, analysées par Vicente Abad García176. Toutes deux soulignent la nécessité de réformer le secteur et préconisent – en matière de transport – l’établissement d’un monopole donné à une nouvelle compagnie de navigation contrôlée par l’État pour le premier, et par les producteurs d’orange pour les seconds (qui proposent d’apporter eux-mêmes les fonds). Comme on le voit, face à un problème de coût et de qualité du transport maritime, les propositions faites ne suggèrent pas un changement de mode. Ces deux propositions sont refusées par les assemblées des producteurs d’oranges qui se tiennent à Valence et à Castellón en 1928, les producteurs souhaitant conserver le modèle existant. La majorité de la profession reste fidèle à un principe libéral et individualiste, et rétive au changement. Les années 1930 sont d’ailleurs celles de la consolidation de l’individualisme « le plus grossier et le plus intransigeant »177, d’après Ignasi Villalonga178, juriste et homme politique valencien.

Toutefois il existe une fraction de producteurs d’agrumes qui, face à l’augmentation des exportations vers les pays continentaux et aux lacunes du transport par bateau, plaident pour le chemin de fer. Est créée à Valence en 1924 la FEN (Fédération des Exportateurs d’Oranges) autour de Norberto Ferrer, entrepreneur charismatique, propriétaire à Carcaixent, 45 km au sud de Valence, d’une des principales plantations d’orangers, qu’il a créée dans les années 1920 et qui subsiste encore aujourd’hui179. Vicente Abad García, chercheur à l’Université Polytechnique de Valence, explique que la Fédération des Exportateurs d’Oranges réclame, dès les années 1920, de meilleures conditions de transport pour les agrumes par la voie ferrée180. Elle obtient en partie satisfaction, notamment avec une baisse des tarifs du fret181. Toutefois, sa principale revendication, la pose d’un troisième rail permettant aux trains de circuler à l’écartement standard européen182 en Espagne, reste lettre

176 Vicente Abad García, « Los primeros intentos de ordenación de la exportación citrícola: proyectos de Bellver y Doménech (1927-1928) », Saitabi, 1981, no 31, p. 109‑120.

177 “Más cerril e intransigente.”

178 Ignasi Villalonga, « El actual momento de la economía valenciana y su relación con el conjunto de la economía española » dans Unión económica (dir.), Solidaridad económica nacional. Ciclo de conferencias sobre

la aportacion de diferentes regiones españolas a la economía nacional, Madrid, Publicaciones de la Unión

económica, 1934, p. 113.

179 Ricardo Bellveser, « Norberto Ferrer Marege: 93 años de lucidez », Las Provincias, 6 juin 1982 ; José Antonio Cortell, « Norberto Ferrer », Sènia, 1982, no 1, p. 11 ; Bernat Daràs i Mahiques, Los mejores: Norbert

Ferrer y Marege. Comerciante de naranja,

http://www.carcaixent.org/carcaixent/dels-millors-norbert-ferrer-i-marege-comerciant-de-taronja/, (consulté le 11 août 2014) ; Hort de Villa Antonieta, La Historia, http://www.villantonieta.com/web/la-historia/?lang=es, (consulté le 11 août 2014).

180 Vicente Abad García, Historia de la naranja (1781-1939), Valencia, Comité de Gestión de la Exportación de Cítricos, 1984, 447 p.

181 V. Abad García, « El corredor mediterráneo », art cit.

182 L’écartement des rails le plus communément utilisé en Europe et dans le monde est de 1 435mm. Il correspond au standard préconisé par l’Union internationale des Chemins de Fer (UIC). Or en Espagne,

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morte. C’est pourtant cette solution qui est actuellement mise en œuvre, près d’un siècle plus tard (cf. Chapitre 3).

Les exportateurs d’oranges qui ont été parmi les premiers à réclamer un corridor ferroviaire méditerranéen aux standards européens dans les années 1920, réaffirment leurs revendications aux moments-clés du débat sur le corridor méditerranéen. En 1996, lors de l’inscription du corridor méditerranéen dans les RTE-T, l’Espagne est toujours le principal producteur mondial d’agrumes :

« L’Espagne est le leader des exportation de fruits frais grâce à sa position dominante pour les agrumes – oranges, mandarines et citrons. En effet, l’Espagne contrôle environ la moitié du commerce mondial de mandarines en volume183. » 184

Les fruits sont exportés en majeure partie vers l’Europe, notamment vers l’Allemagne et la France, et dans une moindre mesure vers les Pays-Bas. À elle seule, la Communauté valencienne produit les deux tiers des agrumes espagnols et, à l’exception des Canaries, ce sont les communautés autonomes méditerranéennes qui fournissent la totalité des agrumes185. Or dans les années 1970 et 1980, le rail a vu sa part diminuer drastiquement dans le transport du fret en général et des primeurs en particulier, la route semblant plus appropriée parce que les camions peuvent livrer à moindre coût la marchandise à son destinataire final186. Toutefois, dans les cinquante dernières années, les volumes transportés par le chemin de fer en Espagne restent stables.

Néanmoins, le contexte de crise actuel, conjugué à la hausse des prix du carburant, au poids d’une éventuelle écotaxe en Europe et aux exigences environnementales croissantes, pousse à reconsidérer les avantages du transport ferroviaire. En 2011, le président de l’Association d’Exportateurs de Fruits de Castellón (Asociex), Jorge García, déplore devant la presse que les infrastructures ferroviaires ne soient plus opérationnelles aujourd’hui, et il estime que la

l’écartement majoritaire, appelé « écartement ibérique » est de 1 668mm, ce qui ne permet pas aux trains de franchir la frontière facilement.

183 “España es el país líder en la exportación de frutas frescas debido a su posición dominante en cítricos,

incluyendo naranjas, mandarinas y limones. De hecho, España controla alrededor de la mitad del volumen del comercio mundial de mandarinas.”

184 Roberta L. Cook, « Tendencias internacionales en el sector de frutas y hortalizas frescas », Economía agraria, 1997, no 181, p. 187.

185 H. Soria, « La exportación de cítricos », Vida rural, 1996, no 36, p. 70‑72.

186 Juan Antonio García Martínez et al., La planificación integral: Transporte de mercancías en España, Madrid, Universidad Europea de Madrid, 2010, p. 8.

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réalisation d’un corridor méditerranéen pour les marchandises serait un facteur clé dans le secteur agroalimentaire, surtout s’il permet une meilleure intermodalité rail-route187.

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