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La notion de corridor : entre approches théoriques et construction institutionnelle

2.3 Les corridors transeuropéens : vers la mise en œuvre

Les conditions pour la mise en œuvre des projets de corridors en Europe varient au cours du temps. Pourtant, concept étudié dans des travaux universitaires qui recouvrent les champs de l’économie148, du développement urbain149, des transports150 et plus largement de l’aménagement du territoire151, le corridor apparaît comme potentiellement fédérateur d’intérêts divers. Il peut à ce titre faire converger des logiques a priori divergentes autour d’un projet commun, parce qu’il peut recouvrir le contenu que chaque acteur souhaite lui donner, plus ou moins explicitement et consciemment.

Trois évolutions majeures marquent la mise en œuvre des projets. L’évolution des processus de prise de décision en Europe, dans le sens d’une gouvernance marquée par la participation d’acteurs plus nombreux et de natures différentes, est manifeste. En effet, les actions de lobbying et la constitution d’associations d’intérêts autour des projets de transports deviennent une réalité de plus en plus prégnante, que ce soit pour défendre un projet ou au contraire pour obtenir sa modification ou son annulation. En outre, les années 2000 ont vu l’intégration des pays de l’ancien Bloc de l’Est à l’Union européenne, donc le quasi achèvement de la construction européenne. La mise en œuvre des projets prioritaires des RTE-T peut donc désormais intégrer les ambitions d’un réseau pan-européen dans l’optique d’un maillage du territoire continental. Enfin, la volonté d’intégration dans un vaste bassin méditerranéen et éventuellement vers la Russie ouvre de nouvelles perspectives de coopération en matière de transports.

Les évolutions de la politique européenne des transports et de ses aspects institutionnels et réglementaires ont été étudiées en détail dans la thèse d’habilitation soutenue par Antoine Beyer en 2014152. Pensés successivement par la CEMT puis par la Commission européenne, les réseaux de transport européens, devenus RTE-T à partir de 1994, connaissent une mise en œuvre complexe. À partir de la définition des premiers projets prioritaires des RTE-T, une agence exécutive spécifique est mise en place pour assurer leur mise en œuvre concrète : la

148 Walid Chatti, Corridors de transport de fret et développement polycentrique de l’espace européen, Thèse de doctorat, Lille 1, Lille, 2010, 364 p.

149 Anaïs Volin, La réhabilitation de la gare centrale de Stuttgart au sein de l’axe ferroviaire à grande vitesse

Paris-Bratislava : remise en cause locale d’un projet de transport transeuropéen,Université Lumière-Lyon II,

Lyon, thèse en cours sous la direction de Lydie Coudroye de Lille ; L. Liu, Les corridors urbains, op. cit.

150 Vesselin Siarov, Evaluation stratégique des projets d’infrastructure de transport : le corridor paneuropéen

N°10 « Salzbourg-Thessalonique », Thèse de doctorat, Paris 8, Paris, 2003, 704 p.

151 Ibid. ; A. Volin, La réhabilitation de la gare centrale de Stuttgart au sein de l’axe ferroviaire à grande vitesse

Paris-Bratislava, op. cit.

152 Antoine Beyer, La dynamique des systèmes de transport : des logiques transfrontalières à l’intégration

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TEN-T EA (Trans-European Networks of Transport Executive Agency). Devenue INEA (Innovation and Networks Executive Agency) en 2013 (cf. Chapitre 3).

Encadré 1- Définition des corridors dans la planification des transports aux États-Unis

Aux États-Unis, le terme de corridor désigne les grandes infrastructures et les principaux axes de communication traversant le pays. La notion peut désigner aussi bien une nouvelle LGV sur la côte-ouest153 ou la mégalopole de la côte est. Périodiquement, les acteurs du transport aux États-Unis élaborent des définitions opérationnelles des corridors. En 2006, Le Département américain des Transports propose, dans le cadre du projet Integrated Corridor Management (Gestion intégrée des corridors), une série de critères de définition :

« (…) les critères suivants sont des attributs devant vraisemblablement être inclus dans la définition des corridors :

- Une aire ou une bande géographique étendue, sans taille ou échelle prédéfinie, suivant une direction générale – fondamentalement un service de transport linéaire – connectant des foyers majeurs de déplacements (…) ;

- Des motifs de déplacement logiques, existants et prévus (…) ;

- Plusieurs modes adjacents (…) constituant une voie pour les flux de personnes et de biens (…) ;

- De bons trajets connectant les équipements et les modes tout au long du corridor (…) ; - Une localisation à l’intérieur d’une aire métropolitaine, avec la nécessité de fonctionner

en système.154 »155

Ces critères reposent sur un pragmatisme– la définition géographique d’une bande de terre aux limites floues – qui contraste avec le caractère opérationnel recherché par l’Union européenne. Les déplacements sont au centre de la définition, et viennent avant l’infrastructure, censée répondre à la demande et non l’anticiper. La multimodalité et les villes ont une place centrale. On retrouve ici une forte dimension programmatique.

153 Charlotte Ruggeri, Le projet de grande vitesse ferroviaire en Californie : entre appropriation culturelle,

ancrage territorial et restructuration urbaine, Thèse de doctorat, Université de Cergy-Pontoise, Cergy-Pontoise,

2015, 521 p.

154 “(…) the following factors are likely attributes for inclusion in the corridor definition:

- Broad geographic area or band, with no predefined size or scale, that follows a general directional flow – essentially a linear transportation service – connecting major sources of trips (…);

- Logical, existing, and forecasted travel patterns (…);

- Various adjacent modes (…) constituting a pathway for the flow of people and goods;

- Availability of good connector routes between the facilities and modes throughout the corridor (…);

- Located within a metropolitan area, with the need to operate as a system.”

155 US Department of Transportation, Integrated Corridor Management. Concept Development and

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Pour autant, si le processus de prise de décision est de plus en plus encadré, la notion de corridor est utilisée de manière volontairement lâche par les instances européennes – contrairement à l’effort d’explicitation observé dans les documents de planification américains (cf. Encadré 1). En effet, il n’en existe pas de définition synthétique et unique, mais bien plutôt un emploi pour désigner de grands axes multimodaux regroupant chacun plusieurs projets et représentant une vue de l’esprit du réseau européen idéal. Günther Ettl, conseiller du coordinateur du corridor méditerranéen Laurens Jan Brinkhorst, confirmait dans un entretien156 que les corridors transeuropéens doivent être considérés comme des « outils politiques de développement du réseau » regroupant les projets prioritaires définis entre 2005 et 2012, et non pas comme des tracés destinés à être suivis pour la réalisation d’une infrastructure de transports unique. Dès lors, il est intéressant de constater que si les corridors sont, pour les instances européennes, un objet sur lequel portent des négociations, ils ne sont pas les clés de la réalisation du réseau. Ainsi, un projet prioritaire voit sa part de financement européen augmenter s’il est intégré à un corridor multimodal, mais le corridor lui-même n’est pas financé comme une infrastructure de bout en bout.

C’est donc à juste titre que Jean Debrie et Claude Comtois parlent dans leur article de « corridors « politiques » »157 en ce qui concerne l’Union européenne. Par là on peut entendre que l’emploi du concept de corridor recouvre une volonté d’action de nature politique, mais également que la définition des projets obéit à des logiques politiques, même si elle est en théorie adossée à des logiques économiques. Enfin, c’est un objectif de nature environnementale qui est affiché, le développement de corridors centrés sur le chemin de fer et les voies d’eau permettant de souligner une démarche en faveur du développement durable et de la réduction des nuisances liées au transport routier de marchandises et de voyageurs, comme en témoigne le chapitre conclusif de l’ouvrage dirigé par Yann Alix sur Les Corridors de transport158. Les corridors deviennent donc de surcroît des outils de la politique environnementale européenne.

En tant qu’instruments d’une politique d’aménagement du territoire, en particulier à l’échelle européenne, les corridors semblent être des outils pour le franchissement des barrières frontalières, économiques ou physique. La nouveauté relative du concept permet d’introduire la longueur et la plasticité nécessaires aux enjeux transeuropéens, en dépassant le cadre des

156 Entretien réalisé à Bruxelles à la DG-Move le 5 février 2015.

157 J. Debrie et C. Comtois, « Une relecture du concept de corridors de transport », art cit, p. 135.

158 Jérôme Verny, « Les corridors de transport : objets en faveur d’une mobilité durable ? » dans Yann Alix (dir.),

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États-nations et en obligeant les différents acteurs à converger autour d’un objectif commun. Enfin, le caractère large et plastique de la définition minimale adoptée permet de supporter des contenus variables, voire mutants dans l’espace et le temps.

Ainsi, le concept de corridor est approprié en Europe dans une démarche de planification des grandes infrastructures de transport continentales qui s’appuie sur une vision du territoire continental. Cette vision varie dans le temps et incorpore les priorités d’intégration et d’équité territoriales propres à chaque moment de la construction européenne. Les institutions se sont donc approprié la notion et y mettent des visées interactionnistes, véhiculaires, visant à faire advenir l’Europe à travers son réseau de transports.

3 Le corridor méditerranéen à la croisée des différentes

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