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Le corridor méditerranéen, un projet de la planification européenne

La notion de corridor : entre approches théoriques et construction institutionnelle

3.3 Le corridor méditerranéen, un projet de la planification européenne

Depuis les années 1990, le corridor méditerranéen est pris en compte dans les documents de planification européens. Aux éléments d’un débat national s’ajoute donc un niveau européen qui, s’il n’est pas décisionnaire en matière d’aménagement, dispose d’instruments d’orientation et de financement et participe de la recomposition des processus de prise de décision.

3.3.1 Entre planification nationale et planification européenne

Le corridor méditerranéen est pris entre deux logiques de planification qui se superposent mais ne s’intègrent l’une à l’autre que partiellement. En effet, le projet existe d’abord dans le cadre national, avant de devenir l’un des projets prioritaires transeuropéens. À partir des années 1990, le corridor méditerranéen est donc doté d’une double appartenance à deux systèmes de décision. Au niveau européen, l’inclusion dans la planification continentale des transports autorise une plus grande participation financière de l’Union, mais la réalisation concrète des projets est toujours déléguée aux États membres ou à l’échelon institutionnel ayant la compétence en matière d’infrastructure – en l’espèce, au gouvernement espagnol. Chaque changement de cap en matière de planification, chaque évolution des perspectives économiques, chaque mutation des paradigmes politiques a été l’occasion d’une redéfinition

169 L’aménagement du territoire espagnol se fait en principe selon une logique de gouvernement où l’État dispose des compétences en matière d’infrastructures, est décisionnaire, et impose ses choix aux échelons inférieurs.

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des contours et du contenu du corridor dans les documents de planification nationaux170. De même, les évolutions des priorités politiques et économiques des instances européennes ont entrainé des mutations dans la définition des priorités successives en termes de transports européens. Or la coexistence des deux logiques est parfois problématique. On retrouve ici le phénomène de la « dépendance au sentier ». En effet, à travers ce projet, il s’agit également de mettre fin à un système radial centré sur Madrid, volonté qui se heurte aux logiques politiques et territoriales héritées ainsi qu’au poids des infrastructures existantes (notamment en termes de gabarit des voies). Or ce modèle centralisé a présidé à l’organisation territoriale de l’espace national, du point de vue des transports, mais également des flux et des choix de localisation des systèmes productifs. La dépendance au sentier se fait donc d’un double point de vue. D’une part il est difficile pour le gouvernement central d’abandonner un schéma de planification des infrastructures organisé de manière radiale et centré sur la capitale, dont il renforce l’influence. D’autre part, il existe de forts liens structurels entre Madrid et l’ensemble des grandes villes espagnoles, si bien que la demande de liaisons avec la capitale reste forte.

L’imbrication entre la planification européenne et la planification nationale espagnole, se fait autour de deux thématiques majeures. La première est celle de l’interconnexion et de l’interopérabilité des réseaux de transport : le réseau espagnol, qui n’a pas le même écartement de voies que le reste du réseau européen, présente des contraintes techniques à dépasser pour assurer une meilleure connexion. La seconde est celle, plus politique, de la place de l’Espagne en Europe : au fil du temps, le pays est passé d’un statut de marge méridionale du continent à celui de partie intégrante de l’Europe occidentale plus développée que les pays de l’Est nouvellement intégrés. Ce passage rend la question du corridor méditerranéen d’autant plus importante qu’il apparaît comme l’un des derniers grands projets européens sur le territoire espagnol.

3.3.2 Le corridor méditerranéen, quel schéma en Europe ?

À la jonction entre deux planifications complémentaires mais non complètement superposées, le corridor méditerranéen apparaît comme un objet spatial pouvant d’abord être analysé au

170 Ministerio de Fomento, PEIT: Plan estratégico de infraestructuras y transporte : 2005-2020, Madrid, Ministerio de Fomento, 2005, 182 p ; Ministerio de Fomento, Plan de Infraestructuras, Transporte y Vivienda

(2012-2024), Madrid, Ministerio de Fomento, 2012, 386 p ; Ministerio de Fomento, Plan de Infraestructuras de transporte 2000-2007, Madrid, Document non publié et présentation du Ministère, 2000 ; Ministerio de

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prisme de la typologie générale, et ensuite par comparaison avec les éléments constitutifs des corridors présentés dans la littérature.

Les caractéristiques du corridor méditerranéen, axe littoral composé de villes portuaires importantes ayant des échanges entre elles et bien reliées à leur arrière-pays comme à leur avant-pays, le rapprochent du modèle de corridor de façade que nous avons défini. Toutefois, les échanges entre les villes du corridor demandent encore à être renforcés, et la réalité urbaine reste assez éloignée de celle de la mégalopole décrite par Jean Gottmann. En effet, le poids démographique, politique et économique de Barcelone et de Valence, bien que réel à l’échelle de l’Europe méditerranéenne, est bien éloigné de celui des villes nord-américaines, tandis que la continuité entre les deux métropoles et la densité urbaine littorale ne sont que relatives. À l’échelle continentale, cette identité de façade est globalement présente sur la majorité du tracé retenu par la Commission européenne, mais elle se perd dans les extensions les plus orientales du projet. Nous faisons donc l’hypothèse que le corridor méditerranéen dans son ensemble ne correspond pas à un modèle en particulier, mais plutôt à la succession de plusieurs modèles, ce qui remet en cause le caractère cohérent du tracé retenu par les négociations européennes.

Toutefois, la partie espagnole du corridor méditerranéen, par son ancienneté et par sa relative homogénéité, peut être analysée comme un tout cohérent. Du point de vue de la littérature scientifique, la question des flux et de leur axialité est au centre de la notion de corridor, de même que celle de la multimodalité, également affichée comme un objectif politique par les institutions européennes. Ces trois critères majeurs semblent être réunis sans difficulté par le corridor méditerranéen espagnol (cf. Figure 5). Les dimensions économiques et urbaines des corridors sont également soulignées par la littérature scientifique, mais de ce point de vue le corridor méditerranéen espagnol semble être légèrement en retrait. En effet, si des activités économiques importantes sont présentes sur son tracé, ces dernières subissent tout particulièrement la crise économique et sont centrées sur des secteurs (industrie textile, agro-alimentaire, céramique…) qui connaissent une forte concurrence. Du point de vue urbain, la structuration se fait par des métropoles ayant une fonction de nœud incomplète, Barcelone et Valence apparaissant comme les seules grandes villes littorales et la seconde étant en retrait par rapport aux métropoles de rang européen. En outre, elles polarisent un espace aux densités variables et présentant des discontinuités le long de l’axe méditerranéen. De ce fait, l’intégration du corridor méditerranéen dans la planification nationale et européenne semble moins obéir à une logique d’institutionnalisation d’un axe déjà existant qu’à une logique

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performative visant à faire advenir un ensemble territorial fort par l’imposition d’un concept opérationnel et institutionnel. Le corridor est perçu comme un palliatif aux lacunes de l’axe méditerranéen, et désormais comme une planche de salut pour sortir de la crise.

Figure 5- Le corridor méditerranéen face aux critères de définition des corridors de transport

Les critères théoriques de définition d’un corridor tels qu’énoncés dans la littérature scientifique ne se retrouvent que partiellement dans l’exemple du corridor méditerranéen. Les critères incomplètement remplis sont en gris.

Ainsi, la pluralité intrinsèque de l’objet « corridor méditerranéen » est irréductible. Il est traversé par des logiques (économiques, urbaines, d’aménagement) qui reprennent celles recensées dans la littérature scientifique. Il s’agit d’un objet politique pris entre une approche par le bas (les composantes principales définissant un corridor sont mises en évidence et valorisées) et une approche par le haut (les institutions appliquent un objet sur le territoire pour faire advenir la cohérence espérée entre les différentes composantes).

Conclusion

La littérature scientifique sur les corridors de transport montre l’évolution de la notion dans le temps et l’espace, parallèlement aux mutations du contexte économique et politique. Elle leur accorde une largeur variable et une extension définie par les flux qu’ils drainent et par leur dimension multimodale. En outre, la littérature montre la nécessité de considérer les corridors

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de manière résolument pluridisciplinaire et en tenant compte des différentes logiques qui les traversent. La logique marchande, qui met au centre la question des échanges, est omniprésente, et son poids tend à se renforcer au fil du temps, tandis que la logique géopolitique fondatrice tend à s’estomper avec la fin des grands conflits mondiaux, ou à changer de forme, s’orientant vers des questions de rapports de forces institutionnels. Enfin, la planification est une dimension centrale. Ce dernier élément est décisif pour distinguer les corridors des simples axes de transport. Une ligne unique de transport ne suffit pas à définir un corridor, qui prend nécessairement en compte un ensemble d’éléments liés à des structures fortes d’échanges ancrés dans des territoires, c’est-à-dire dans les politiques d’aménagement qui, au fil de leur évolution, redéfinissent la notion même de corridor.

La notion de corridor est aussi opérationnelle. Dans les publications institutionnelles, en particulier en Europe, les éléments évoqués dans la littérature scientifique sont repris pour définir les corridors pan-européens ou transeuropéens, mais avec une certaine plasticité, afin de donner un cadre souple à des projets dont la réalisation est déléguée aux États membres. La mutation des termes utilisés dans les discours institutionnels accompagne la mutation des objectifs politiques européens, de la politique de voisinage à l’est à la cohésion de l’Union européenne élargie en passant par le renforcement de la compétitivité des territoires. La mise en œuvre du concept de corridor dans un cadre institutionnel européen appelle une analyse prenant en compte l’ensemble des niveaux de décision ainsi que les différentes échelles auxquelles les projets d’infrastructures de transport sont associés.

Le corridor méditerranéen est marqué par la multiplicité des approches de la notion même de corridor. Projet avant tout ferroviaire, il vise l’intermodalité avec les ports, les aéroports et la route. En outre, les éléments de dynamisme économique qui sont censés sous-tendre les corridors sont également présents sur la façade méditerranéenne espagnole, ainsi que les grandes villes pouvant être les points d’ancrage, bien que l’urbanisation reste discontinue. Enfin, le projet semble bien s’inscrire dans un ensemble de stratégies et dans un processus de gouvernance singulier. Le corridor méditerranéen semble donc correspondre aux principaux critères de définition des corridors énoncés par la littérature scientifique et repris par les institutions. Néanmoins, l’articulation entre le projet et les réalisations observées ou prévues, de même que l’analyse fine des processus de prise de décision et du contexte peuvent amener à remettre en cause certains de ces éléments. La finalité du corridor méditerranéen, son contenu et ses formes ont largement varié au cours du temps long de la constitution du projet.

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Chapitre 2

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