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Une relative continuité du corridor méditerranéen depuis les années 1990

contexte historique : évolutions et mise en œuvre d’une vision

2 Avatars récents d’un projet ferroviaire au long cours : retour sur trente ans de planification

2.1 Le corridor méditerranéen dans les plans d’infrastructures espagnols

2.1.1 Une relative continuité du corridor méditerranéen depuis les années 1990

Le corridor méditerranéen apparaît dans les documents de planification des gouvernements espagnols successifs à partir du Plan général de Chemin de fer de 1979242, puis il est actualisé dans le Plan de Transport Ferroviaire de 1987243. Depuis, tous les plans d’infrastructures, qui à partir du Plan Directeur d’Infrastructures de 1993244 ne sont plus spécifiques au mode ferroviaire, mentionnent des projets sur l’axe méditerranéen245. Le corridor méditerranéen n’est pas nécessairement identifié sous ce nom et n’est pas toujours assimilé à un projet unique, mais il est présent à travers les actions programmées pour améliorer les liaisons ferroviaires littorales. Ces actions varient par leur nature (des améliorations de tronçons existants aux grands projets d’axes à plusieurs voies) et par l’importance qui leur est accordée dans le texte (cf. Tableau 4). En effet, entre 1979 et 2005, le projet est rarement identifié en tant que tel dans les documents. Il l’est pour la première fois sous le vocable « d’axe méditerranéen » dans le PIT 2000-2007246, ce terme recouvrant l’extension littorale du réseau radial. Il faut attendre le PEIT 2005-2020247 pour que le corridor méditerranéen soit présenté comme un projet à la cohérence propre. Toutefois, l’ensemble des documents prend en compte l’axe méditerranéen et y prévoit des actions de rénovation ou de création de voies, en faisant un élément clé de la carte du réseau de transports national (cf. Annexe 1).

242 Renfe et Ministerio de Fomento, Plan general de ferrocarriles 1980-91, Madrid, Ministerio de Fomento, 1979, 48 + 149 p.

243 Ministerio de Fomento, Plan de Transporte Ferroviario, op. cit.

244 Ministerio de Fomento, Plan Director de Infraestructuras 1993-2007, Madrid, MOPT, 1993, 379 p.

245 Ministerio de Fomento, PITVI, op. cit. ; Ministerio de Fomento, Plan de Infraestructuras de transporte

2000-2007, op. cit. ; Ministerio de Fomento, PEIT, op. cit.

246 Ministerio de Fomento, Plan de Infraestructuras de transporte 2000-2007, op. cit.

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Plan Gouvernement Ministre des Transports

Statut du document et priorités

Projets liés au corridor méditerranéen PGF1980-91 (1979) Adolfo Suárez (UCD, 1976-1981) Salvador Sánchez-Terán (La Rioja) - Plan considérant le réseau dans son ensemble - 160 km/h pour les trajets

de plus de 350 km - Amélioration de la qualité de service et de l’efficacité du réseau - Développement et intégration régionale - Augmentation de la part

modale du fer pour le fret

- « Réseau artériel » de la frontière française à La Encina

- Tracé littoral continu - Mise à double voie du

tronçon Valence-Tarragone - Nouvelles

infrastructures pour relier Alicante et Murcie

PTF (1987) Felipe González (PSOE, 1982-1996) Abel Caballero (Galice) - Modernisation et homogénéisation du « réseau de base » - Priorité aux services

interurbains de voyageurs - Priorité au transport de fret de masse - Points d’ancrage : Madrid et Barcelone - Projet de ligne de passagers - Valence-frontière française - 200-250 km/h (vitesse maximale envisagée sur le réseau) entre Jativa et Barcelone - Boucle à 200 km/h Madrid-Barcelone-Valence PDI 1993-2007 (1993) Felipe González (PSOE, 1982-1996) Josep Borrell (Catalogne) - Modernisation des principales lignes à plus de 200 km/h - LGV Madrid-Barcelone-Frontière française - Modernisation du réseau conventionnel - LGV Madrid-Barcelone + étude Madrid-Valence - Barcelone-Murcie à « vitesse élevée » (ajouté en 1994) - Barcelone comme nœud

entre les projets

PIT 2000-2007 (2000) José María Aznar (PP, 1996-2004) Rafael Arias (Madrid) - Projet interne au Ministère, présenté aux Communautés

autonomes, mais pas publié

- Propose une extension du corridor méditerranéen par rapport au PDI - L’axe méditerranéen

n’est pas nommé « corridor »

- Ligne frontière française-Almeria - Possibilité de

raccordement Almeria-Grenade pour compléter l’axe

- Pas de précision sur les vitesses et affectations - « axe méditerranéen » =

prolongement de la ligne radiale vers Almeria PEIT 2005-2020 (2005) José Luis Zapatero (PSOE, 2004-2011) Magdalena Álvarez (Andalousie) - Le corridor

méditerranéen est évoqué à travers d’autres entrées (intermodalité, transfrontalier…) - Priorité à la connexion avec la France et à l’interopérabilité - Corridor méditerranéen

identifié dans toute sa longueur, sans étude de faisabilité - Frontière française-Valence (+ extension Carthagène) comme corridor important de fret - Corridor frontière française-Algesiras identifié comme tel pour le fret et les passagers (trafic mixte)

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L’évolution de la place du corridor méditerranéen dans les plans d’infrastructures successifs témoigne de l’importance de cet axe dans le réseau ferroviaire national, ainsi que des enjeux politiques qu’il représente. En effet, il s’agit de l’axe qui connaît les modifications de projet les plus fréquentes et importantes en Espagne. Dans le PGF 1980-91 de 1979, l’ensemble du tracé du corridor méditerranéen est représenté, mais chaque tronçon est concerné par des opérations différentes. Les voies comprises entre Tarragone et Valence doivent être mises à double voie, mais le doublement de l’infrastructure n’est pas prévu plus au nord, ce qui est à l’origine de l’actuel goulot d’étranglement d’une quarantaine de kilomètres entre Tarragone et Vandellós. Le plan distingue un réseau dit « artériel », terme qui reprend la métaphore organiciste souvent employée à propos des infrastructures de transport en Espagne et en Europe (cf. Chapitres 8 et 9), plus important que le réseau principal. Le corridor méditerranéen, de la frontière française à La Encina (entre Valence et Alicante) bénéficie de cette distinction. À partir du PTF de 1987, la question de la réalisation d’un réseau ferroviaire à grande vitesse est soulevée. On retrouve, outre la ligne Madrid-Séville et le projet de liaison vers le nord du pays, l’axe littoral, entre Valence et Barcelone, parmi les lignes à plus de 200 km/h, en association étroite avec les lignes Madrid-Barcelone et Madrid-Valence, l’ensemble formant une boucle reliant la capitale à la Méditerranée. Par ailleurs, l’axe reliant les deux principales villes littorales est l’un des deux seuls axes interurbains transversaux envisagés, avec l’axe Cantabrie-Méditerranée. Les plans d’infrastructures suivants, le PDI 1993-2007 et sa déclinaison du PIT 2000-2007, revoient cette question de la grande vitesse : dans la première édition du PDI, l’axe Barcelone-Valence n’apparaît plus dans le réseau à grande vitesse et, face à la contestation des régions méditerranéennes, il est ajouté en 1994 comme axe à « vitesse élevée », c’est-à-dire comme axe conventionnel amélioré et non comme LGV. La cartographie présentée dans le PIT quelques années plus tard rendra au corridor sa place dans le réseau à grande vitesse en construction. Enfin, le principal changement introduit par le PEIT, publié au lendemain de la révision des RTE-T de 2004 qui faisait sortir le corridor méditerranéen des projets prioritaires européens, est la prise en charge de la question du fret ferroviaire sur l’axe méditerranéen par le biais d’un projet de ligne mixte à écartement européen, alors que les plans précédents concentraient l’amélioration des infrastructures littorales autour de la question des voyageurs. Ce mouvement de va-et-vient dans l’importance accordée à l’axe littoral témoigne des hésitations des gouvernements successifs quant à son affectation, mais également des pressions exercées par les Communautés autonomes littorales.

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L’analyse précise de ces plans d’infrastructures montre que des actions sont prévues sur l’axe méditerranéen de manière continue, mais qu’elles varient fortement dans le temps, rendant hypothétique la mise en place d’un corridor continu et fonctionnel. Dans le même temps, les projets concernant directement le corridor méditerranéen sont de plus en plus dispersés dans les différentes parties du plan d’infrastructures. Le corridor apparaît dans les objectifs des gouvernements successifs en matière de transport ferroviaire de passagers et de fret, mais la présentation de ces objectifs évolue dans les différents plans selon le contexte. Ainsi, le Plan d’infrastructures de transport 2000-2007 se proposait dans son introduction de moderniser l’Espagne et de la relier à l’Europe :

« Dans cette perspective, la politique du Ministerio de Fomento a pour objectif premier d’amener à leur point culminant des projets basiques en matière d’infrastructures qui nous permettent d’avancer dans la modernisation de l’Espagne, de manière solidaire, afin d’en finir avec le déficit existant en infrastructures par rapport à l’Europe248. »249

Quelques années plus tard, le PEIT de 2005 reprend l’idée que les connexions frontalières doivent faire l’objet de mesures spécifiques afin de faciliter les relations culturelles et économiques entre l’Espagne et l’Europe. L’insertion du fret dans le marché international doit notamment passer par l’amélioration de ces connexions par le rail et les autoroutes de la mer, avec pour objectif :

« [la] structuration de l’ensemble du système logistique et de transport de marchandises autour d’un réseau de nœuds régionaux, pleinement intégrés dans le territoire et qui constituent les centres d’articulation logistiques de leurs hinterlands. Ces nœuds s’articulent à travers une série de corridors multimodaux de transports de marchandises qui ajoute aux corridors traditionnels (radiales, axe méditerranéen et corridor de l’Ebre) quelques axes alternatifs transversaux250. »251

C’est donc dans le PEIT, au chapitre consacré au transport de marchandises, qu’apparaît l’idée de corridors multimodaux, directement tirée des objectifs des RTE-T énoncés en

248 “Desde esta perspectiva, la política del Ministerio de Fomento tiene como objetivo fundamental la

culminación de proyectos básicos en materia de infraestructuras que nos permita avanzar en la modernización de España, desde la solidaridad de tal manera que logremos acabar con el déficit de infraestructuras existente con respecto a Europa.”

249 Ministerio de Fomento, Plan de Infraestructuras de transporte 2000-2007, op. cit.

250 “Estructuración del conjunto del sistema logístico y de transporte de mercancías en torno a una red de nodos

regionales, plenamente integrados en el territorio y que constituyen los centros de articulación logística de sus hinterlands. Esos nodos se articulan a través de una serie de corredores multimodales de transporte de mercancías, qua añade a los corredores tradicionales (radiales, eje Mediterráneo y Corredor del Ebro) algunos ejes alternativos transversales.”

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2005 par la Commission européenne252. On voit alors émerger une vision territoriale organisée en réseau et autour de grands axes, les corridors espagnols. Il est intéressant de noter que dans ce document, l’axe méditerranéen est envisagé comme l’un des « corridors traditionnels », au même titre que les grandes radiales, alors même qu’il n’est toujours qu’un projet. Cette expression prend acte de l’histoire déjà longue du corridor méditerranéen dans les plans d’infrastructures espagnols et européens, mais présente aussi le risque de le considérer comme un acquis et non comme un projet prioritaire. Cet argumentaire volontariste traduit également le désir d’affirmer le corridor méditerranéen comme un projet central en Espagne au moment où les RTE-T l’ont écarté de la liste des projets prioritaires pour ne retenir que la liaison avec Madrid.

Le corridor méditerranéen reste un sujet essentiel, abordé également dans des communiqués de presse et déclarations du Ministerio de Fomento253 et dans des publications institutionnelles254. Portée par des exigences environnementales accrues et fondée sur le constat de l’existence d’échanges importants, la nécessité d’améliorer l’axe ferroviaire méditerranéen semble admise par l’ensemble des gouvernements espagnols, quelle que soit leur couleur politique, comme en témoigne la permanence de projets le long du littoral dans les plans d’infrastructures. Cet axe représente également une opportunité de financement européen, puisqu’il fait partie des corridors prioritaires des RTE-T tels qu’ils sont définis en 1996255. Toutefois, au-delà de la continuité de l’axe méditerranéen dans les documents de planification, les termes du débat varient quant à la nature du corridor, qui s’inscrit dans la double logique du transport de passagers (notamment par la structuration d’un réseau à grande vitesse) d’une part, et de l’amélioration du transport de marchandises et de l’interconnexion avec l’Europe, sa vocation première dans les revendications historiques, d’autre part.

252 Commission européenne, Réseau Transeuropéen de Transport. RTE-T, axes et projets prioritaires 2005, Luxembourg, Office des publications officielles des Communautés européennes, 2005, 73 p.

253 Ministerio de Fomento, Plan estratégico para el impulso del transporte ferroviario de mercancías en España, Madrid, Présentation du Ministère, 2010 ; Ministerio de Fomento, Analyse géopolitique de la construction d’une

LIGNE FERROVIAIRE À GRANDE VITESSE entre la France (Perpignan) et l’Espagne (Figuières), Madrid,

Rapport au Sénat, 2012 ; Ministerio de Fomento, Proyecto de implantación del ancho UIC en el Corredor

Ferroviario Mediterráneo, op. cit. ; Ministerio de Fomento, Nota aclaratoria sobre el Corredor de Mercancías no6 y el Corredor Mediterráneo, op. cit.

254 José Luis Ordóñez, « Inversiones en infraestructura ferroviaria para el corredor mediterráneo. Lazos de hierro », Revista MOPTMA, 1995, p. 22‑27 ; M. de Álamo, « Finalizada la primera fase del corredor mediterráneo para velocidad alta. A todo tren », art cit.

255 Parlement européen, « Décision n°1692/96/CE de Parlement européen et du Conseil, du 23 juillet 1996, sur les orientations communautaires pour le développement du réseau transeuropéen de transport », art cit.

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2.1.2 Grande vitesse ou vitesse élevée ? L’étoile, l’axe et la priorité aux

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