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La structuration autour des premiers congrès et d’Ignasi Villalonga

contexte historique : évolutions et mise en œuvre d’une vision

1 Le corridor méditerranéen, une revendication de longue date

1.1 Genèse du corridor méditerranéen

1.1.3 La structuration autour des premiers congrès et d’Ignasi Villalonga

Dans les années 1930, les entrepreneurs de la région de Valence se structurent autour d’un objectif commun : développer l’économie valencienne en renforçant son ouverture aux marchés européens. C’est dans ce contexte qu’est créé le Centre d’Études économiques valencien (CEEV) en 1929, premier centre de ce genre en Espagne. Il est à l’origine de la première Conférence économique du Pays valencien, qui se tient de mai à décembre 1934 dans plusieurs villes de la région, et qui a pour objectif de mettre la connaissance au service du développement économique régional :

« Il s’agissait de créer, dans la droite ligne de la pensée de l’époque, une « pensée » économique valencienne qui pourrait être unanimement défendue par les différents partis politiques valenciens, dans un contexte changeant dans lequel s’entrecroisaient les efforts d’unification européenne et d’ouverture aux échanges économiques mondiaux190 »191

À l’origine de ce congrès, Ignasi Villalonga, juriste et homme politique porteur de l’idée de valencianisme politique192, prend notamment parti pour la réalisation des aménagements ferroviaires nécessaires afin de relier la région de Valence à Barcelone et à l’Europe dans de bonnes conditions, sans passer par Madrid. Cette revendication porte essentiellement sur la réalisation d’un corridor ferroviaire méditerranéen pour les marchandises, afin de favoriser l’économie valencienne et de renforcer son poids en Espagne.

190 “Es tractava de crear, en la línia del pensament del moment, un “criteri” econòmic valencià que poguera ser

defensat unànimement pels diferents partits polítics valencians, dins d’un context canviant en què els esforços d’unificació europea i d’obertura als corrents econòmics mundials s’entrecreuaven.”

191 Josep Vicent Boira i Maiques, « Conèixer per actuar: un repte de ciència humana », Mètode, 2011, no 44, p. 8.

192 Frederic Ribas, « Ignasi Villalonga, el valencianisme modern: tradició i dinamisme », Revista de Catalunya, 2007, no 230, p. 18‑28 ; Rafael Valls, « Ignasi Villalonga i el valencianisme » dans Borja de Riquier Permanyer (dir.), Història, política, societat i cultura dels Països Catalans, Barcelone, Enciclopèdia Catalana, 1997, vol.9, p. 1930‑1939.

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D’autres penseurs des années 1930 prennent parti pour un corridor méditerranéen au nom du même principe de rapprochement entre la Catalogne et Valence et d’ouverture de leurs économies vers la France et l’Europe. Romà Perpinyà i Grau, économiste valencien, fait également partie du CEEV et participe à la Conférence économique de 1934. Il publie dans la revue Economia i Finances le texte de son intervention à l’Union catalane justifiant l’intérêt d’un rapprochement économique entre les deux régions catalanophones193. Dans ce texte, l’auteur fait référence à la crise économique mondiale et explique que l’économie valencienne, fondée sur les exportations agricoles et la petite industrie familiale, est étroitement dépendante du contexte international :

« Voici les besoins ou conditions de prospérité de l’économie valencienne : prospérité européenne, liberté commerciale et prix bas en Espagne194. »195

Romà Perpinyà met également en cause les effets d’une orientation commerciale exclusive vers le marché intérieur espagnol, responsable selon lui d’un déséquilibre des flux du port de Barcelone, essentiellement importateur alors que les industries catalanes sont puissantes et qu’il devrait donc être exportateur. Partant du constat que les ports catalans et valenciens représentent 50% du commerce extérieur de la Péninsule, l’auteur met en avant l’intérêt de l’axe méditerranéen, et en particulier de l’alliance entre la Catalogne et Valence, pour l’économie ibérique. Il met ainsi au centre de son argumentaire les rapports entre les principales villes espagnoles et la question du rapport entre les différentes régions. À l’opposition entre Barcelone et Madrid, la première étant décrite comme économiquement inféodée à la seconde, s’ajoute la question du rapport entre la Catalogne et Valence, deux régions qui se tournent le dos mais dont les intérêts convergent dans son esprit. De l’analyse des structures économiques des deux régions, Romà Perpinyà déduit en effet la nécessité d’une coopération accrue dans le cadre d’une économie ouverte sur l’Europe en reconstruction :

« Je parle, donc, d’une économie méditerranéenne non pas comme un marché clos mais comme l’organisation de la partie la plus importante des activités économiques de la Péninsule196. »197

193 Romà Perpinyà i Grau, « L’interès collectiu economic a Catalunya i Valencia », Economia i Finances, 1931, p. 354‑377.

194 “Heus ací les necesitats o requisits de prosperitat de l’economia valenciana: prosperitat europea; libertat

comercial, i baixos costos espanyols.”

195 R. Perpinyà i Grau, « L’interès collectiu economic a Catalunya i Valencia », art cit, p. 374.

196 “Parlem, doncs, d’economia mediterrània no com a un clos, sinó com ordenación de la part més important

de l es activitats econòmics de la Península.”

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Pour l’auteur, c’est là que résident les principaux arguments justifiant un corridor ferroviaire méditerranéen, doublé d’un axe maritime de cabotage :

« On entre ainsi de plain-pied dans le grand problème ferroviaire espagnol d’une part, et dans le développement du commerce de cabotage d’autre part. Permettez-moi de ne rien dire pour l’instant des rails ; d’autres plus qualifiés que moi le feront. Mais permettez-moi de souligner deux voies pour une coopération spécialement catalano-valencienne. Par la terre et par la mer. Par la terre. La Catalogne, comme la Belgique, a une situation magnifique de région de transit ; mais il lui manque un attribut indispensable. Passer la frontière rapidement et avec le moins de dépenses possibles. Il faut donc que s’établisse une coopération décisive pour que prenne forme la voie à l’écartement international depuis les régions valenciennes riches jusqu’à ladite frontière catalane des Pyrénées.

Par la mer, il faut considérer le littoral valenciano-catalan non comme une mer mais comme un fleuve. Il faut intensifier le commerce maritime entre la Catalogne et Valence. Si cela est fait, Valence absorbera beaucoup plus de produits catalans et la Catalogne achètera plus à Valence. Et le long de la côte s’établira l’une des régions les plus prospères d’Europe, comme se sont établis le long des grands fleuves européens les grands hinterlands des grandes villes européennes198. »199

Ce raisonnement, fondé sur l’intérêt commun de la Catalogne et de Valence à la construction du corridor méditerranéen, souligne que ces deux régions sont bien les moteurs de la revendication dès les années 1930. En outre, l’énergie avec laquelle Romà Perpinyà défend cet intérêt commun est liée à la volonté de surpasser les tensions identitaires et politiques entre les deux régions au nom d’une meilleure intégration dans l’économie européenne. En effet, la question de l’arrière-pays européen est essentielle dans son argumentaire car le débouché continental est présenté comme un supplétif au marché intérieur espagnol qui, quoiqu’essentiel, semble d’après l’auteur limiter le développement des ports méditerranéens. En outre, il est intéressant de noter que l’auteur fait référence à l’organisation du commerce européen le long de grandes routes fluviales comme à un horizon d’attente et à un modèle de

198 “Aixó entra de pie en el gran problema ferroviari espanyol d’una banda, i en el desenvolupament del comerç

de cabotage. Deixeu-me que no toqui ara els carrils; persones més capacitades que jo ho faran. Però deixeu-me remarquí dues menes de collaboracions especialmente catalano-valencianes. Per terra i per mar. Catalunya com Bèlgica, està en actuació magnífica de regió de transit; per això la falta, però, un requisit. Salvar la frontera ràpidament i amb les menys despenses possibles. Cal, doncs, que s’estableixi una decidida collaboració per tal de que siguí aviat un fet la via d’ample internacional desde les regions riques valencianes fins a la mateixa frontera catalana dels Pireneus.

Per mar, cal que considerem a la costa valenciano-catalana no com un mar, sinó com un riu. Cal que intensifiquem el comerç marítim entre Catalunya i València. Si aixó fem, València absorvirà molts més productes catalans i Catalunya comprarà més a València. I al llarg de la costa s’establirà una de les regions més pròsperes d’Europa, com s’han establert al llarg dels graus rius europeus els grans hinterland de les grans ciutats europees.”

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développement économique. Le transport ferroviaire, combiné au cabotage maritime, formerait donc pour la Méditerranée espagnole, un véritable corridor, au sens de faisceau d’axes de communications, qui lui permettrait de se rapprocher tant matériellement (en facilitant le passage de la frontière) que symboliquement du centre économique de l’Europe en intensifiant les échanges entre la Catalogne et Valence. Ce dernier argument rejoint celui de la création d’une « mégarégion »200 mis en avant par de nombreux acteurs dans une perspective de développement fondée sur les processus de métropolisation. Aujourd'hui, l’Institut Ignasi Villalonga d’Économie et d’Entreprise (IIVEE) – association à but non lucratif regroupant des entreprises, des institutions et des experts – est l’héritier de ce courant de pensée inauguré dans les années 1930. Établi à Valence et résolument régionaliste, l’Institut continue de produire des rapports sur le sujet201 et de participer activement au débat et aux revendications autour du corridor méditerranéen. Il y voit une manière privilégiée d’œuvrer en faveur de son objectif de promotion de la coopération entre les régions du nord-ouest de la Méditerranée.

Les projets d’infrastructures de la première moitié du XXe siècle sur l’axe méditerranéen constituent le socle des revendications actuelles, et en particulier de celles des groupes de pression (cf. Chapitre 6). Il faut noter que si les ambitions se sont élargies avec les nouvelles perspectives technologiques et l’ouverture européenne, les revendications restent les mêmes. Les projets mis en œuvre actuellement reprennent en grande partie les bases posées il y a près d’un siècle. Or la continuité de cette vision d’un corridor méditerranéen comme une colonne vertébrale202 met en lumière les antagonismes territoriaux en Espagne et traduit la quête toujours renouvelée d’une place dans le réseau de transport qui refléterait l’importance démographique et économique des régions méditerranéennes.

200 R. Florida et I. Ayres, « Megaregions », art cit ; R. Florida, T. Gulden et C. Mellander, « The rise of the mega-region », art cit.

201 L. Català i Oltra, L’Eix Castello-Tortosa-Tarragona. Economia, poblacio i infraestructures al node central de

l’arc mediterrani, op. cit. ; Institut Ignasi Villalonga, La Via economica de l’Euram. 10 anys, op. cit. ; Mateu

Turro, Libre blanc de les infraestructures de l’euroregio de l’Arc Mediterrani (EURAM), Valencia, IIVEE, 2010, 50 p.

202 José Ortega y Gasset, España invertebrada: bosquejo de algunos pensamientos históricos, Édition originale 1921., Madrid, Espasa-Calpe, 2007, 140 p.

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1.2 Le corridor méditerranéen : histoire d’une inadéquation entre

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