• Aucun résultat trouvé

L’axe méditerranéen, un axe historiquement « structurant » ?

contexte historique : évolutions et mise en œuvre d’une vision

1 Le corridor méditerranéen, une revendication de longue date

1.2 Le corridor méditerranéen : histoire d’une inadéquation entre structures territoriales et réseau de transport

1.2.2 L’axe méditerranéen, un axe historiquement « structurant » ?

Les revendications historiques du corridor méditerranéen se fondent essentiellement sur l’argument d’une cohérence économique de l’axe littoral. Cet argument s’appuie sur le constat du dynamisme des secteurs productifs – industriels et agricoles – espagnols, sur l’intensité des échanges qui ont lieu dans ces régions et sur leur poids démographique.

Dès la fin des années 1950, une mission de la Banque mondiale met en avant l’intérêt de l’axe méditerranéen en Espagne et rend ses conclusions publiques dans un rapport sur le développement économique du pays en 1963224. Il identifie l’axe méditerranéen comme l’un des espaces clés de développement et souligne qu’il souffre de carences en matière

220 « Ley 6/2015, de 2 de abril, de Reconocimiento, Protección y Promoción de las Señas de Identidad del Pueblo Valenciano. », Boletín Oficial del Estado, 28 avr. 2015p. 36852‑ 36866p.

221 D’après la Generalitat valencienne, ces marques sont : les symboles de la Communauté valencienne (drapeau, blason…), la langue, le Monastère royal de Santa María de la Valldigna, le Tribunal des Eaux de Valence, le Mystère d’Elche, les fêtes traditionnelles taurines, et la fête de la Virgen de la Salud.

222 R. Perpinyà i Grau, « L’interès collectiu economic a Catalunya i Valencia », art cit.

223 Susan L. Star, « This is Not a Boundary Object: Reflections on the Origin of a Concept », Science,

Technology & Human Values, 2010, vol. 35, no 5, p. 601‑617 ; Pascale Trompette et Dominique Vinck, « Retour sur la notion d’objet-frontière », Revue d’anthropologie des connaissances, 2009, vol. 3, no 1, p. 5‑27 ; Dominique Vinck, « De l’objet intermédiaire à l’objet-frontière », Revue d’anthropologie des connaissances, janvier 2009, vol. 3, no 1, p. 51‑72.

103

d’infrastructures de transport. Ce rapport paraît dans une période de creux dans la revendication du corridor méditerranéen, mais s’inscrit dans un contexte historique particulier. Au cours des années 1950, la dictature franquiste s’ouvre, l’Espagne adhère aux principales organisations internationales, et l’autarcie économique prend fin. Dans le même temps les autonomismes des régions méditerranéennes évoluent vers des revendications de plus en plus fortes. Dans ce double contexte, le projet prioritairement mis en avant par les auteurs du rapport de la Banque mondiale est celui d’une autoroute littorale méditerranéenne qui serait un axe majeur de communication pour la Péninsule :

« La seule nouvelle construction de grande ampleur susceptible d’être nécessaire dans un futur proche est l’autopista de la Côte Est, une route moderne à accès limité sur un nouveau tracé, avec des contournements et des interconnexions aux principales aires urbaines le long de la côte méditerranéenne de la frontière française à Murcie, soit une distance d’environ 730 km. Ce projet ambitieux est à l’étude en Espagne et nous soutenons l’approfondissement des études et de la planification le concernant. L’argument prima facie pour la construction d’une telle route est fort. Elle traverserait les espaces aux plus fortes densités et à la croissance du trafic la plus rapide en Espagne. Elle passerait par des espaces industriels et agricoles importants et desservirait quelques-unes des régions les plus touristiques du pays225. »226

Ce projet est inscrit dans une période de forte croissance du transport routier, et est cohérent avec l’ouverture économique de l’Espagne qui rend nécessaire l’amélioration de ses liaisons avec la France. Suivant les recommandations du rapport, l’A-17 (Autopista del Mediterráneo), devenue A-7 en 1986 et AP-7 en 2003, est inaugurée à la fin des années 1960. Il s’agit du premier axe de grande envergure ne passant pas par Madrid. Par ailleurs, le rapport de la Banque mondiale souligne la nécessité d’accroître les investissements dans le développement des infrastructures portuaires et d’améliorer les réseaux ferroviaires existants. La désignation d’un couloir méditerranéen comme axe prioritaire est étroitement liée à l’observation des données d’ordre géographique mises en avant par le rapport de la Banque mondiale et largement reprises par l’ensemble des protagonistes du corridor méditerranéen jusqu’à aujourd’hui (cf. Chapitre 5). En effet, les tendances observables au cours du XXe siècle désignent l’axe méditerranéen parmi les espaces les plus dynamiques d’Espagne. En

225 “The only major piece of new construction which is likely to be necessary in the near future is the East Coast autopista, a modern limited access road on a new right of way, with by-passes of, and interconnections with, the major urban areas along the Mediterranean coast from the French border to Murcia, a distance of about 730 km.This ambitious project is under consideration in Spain, and we endorse the further study and planning of it. The prima facie case for building such a road is strong. It would traverse areas of the highest traffic density in Spain (see Map 16) and of the most rapid traffic growth. It passes through important industrial and agricultural areas and serves some of the major tourist regions of the country.”

104

termes démographiques, si l’on excepte Madrid, ce sont les provinces méditerranéennes qui comptent le plus grand nombre d’habitants et qui ont connu des croissances le plus souvent supérieures à 100% depuis 1900, ce qui les place dans la situation la plus dynamique d’Espagne avec le Pays Basque (cf. Carte 4).

Carte 4- La population des provinces espagnoles en 2011 et son évolution depuis 1900

Source : INE227

Les données de 2011 correspondent au dernier recensement de la population espagnole disponible. Le recensement de 1900 est le plus ancien fournissant des données comparables.

En matière économique, les régions méditerranéennes connaissent également un fort dynamisme, à la fois dans les secteurs agricole, industriel et touristique. En effet, le secteur agricole est historiquement très développé dans les régions méditerranéennes, en particulier autour des agrumes228. Si le transport des oranges a marqué de son empreinte la revendication du corridor méditerranéen, le secteur agricole a évolué et la Méditerranée espagnole est devenue le principal fournisseur de produits maraîchers pour une grande partie de l’Europe,

227 INE, INEbase / Demografía y población / Cifras de población y Censos demográficos, http://www.ine.es/inebmenu/mnu_cifraspob.htm, (consulté le 22 juillet 2015).

105

grâce aux campagnes successives d’amélioration de l’irrigation des huertas229. Toutefois, le secteur agricole n’est plus le moteur principal des revendications en faveur du corridor, car il est supplanté en cela par le secteur industriel. Le développement de l’industrialisation espagnole au XIXe siècle a pris appui sur les traditions manufacturières et commerciales du Pays Basque d’une part et de la région de Barcelone d’autre part. Ces deux pôles de développement industriel restent dominants tout au long du XIXe siècle, dessinant un axe Cantabrie-Méditerranée230. Par ailleurs, l’industrialisation des villes portuaires progresse231, en particulier autour de petites structures qui forment un tissu dense sur lequel s’appuient les principaux secteurs comme le textile, le jouet ou la chaussure, organisés sous forme de clusters232. Au cours de la seconde moitié du XXe siècle, l’orientation des industries vers la sidérurgie et la chimie confère aux ports un rôle essentiel, ce qui renforce le poids de l’axe méditerranéen dans l’économie espagnole. Ce sont les acteurs industriels, en particulier ceux de la chimie et de l’automobile, ainsi que les associations d’entreprises représentant les petites structures et les clusters, qui ont pris le relais de la revendication du corridor méditerranéen. Enfin, le secteur du tourisme, qui avait participé aux expériences ferroviaires des années 1930 (cf. 1.1.2), a connu son essor dans les années 1960, avec une croissance annuelle de plus de 10% alimentée essentiellement par des touristes venus de France, d’Allemagne et du Royaume-Uni. L’ouverture économique et la mise en place d’un modèle fondé sur les stations balnéaires méditerranéennes ont permis à l’Espagne d’attirer un grand nombre de touristes grâce à l’autoroute littorale d’abord, puis grâce au développement des aéroports. Ce modèle est désormais remis en cause, mais il représente toujours une activité très importante dont les acteurs revendiquent désormais un corridor ferroviaire à grande vitesse.

C’est dans ce contexte de dynamisme démographique et économique marqué que les projets ferroviaires de corridor méditerranéen prennent leur sens. L’ensemble de ces facteurs et les évolutions qui les caractérisent au cours du XXe siècle expliquent l’intérêt des régions méditerranéennes pour un axe ferroviaire qui les relierait à l’Europe, leur marché historique. Ce qui semble constituer un axe fonctionnellement pertinent et un couloir de développement

229 Roland Courtot, Agriculture irriguée et organisation de l’espace dans les huertas de Valencia et de Castellon,

Espagne, Thèse de doctorat, Université Paris 7, Paris, 1986, 840 p.

230 Ramón Tamames et Antonio Rueda Serón, Estructura económica de España, 24. ed., Madrid, Alianza, 2000, 1035 p ; Gabriel Tortella Casares, El desarrollo de la España contemporánea: historia económica de los siglos

XIX y XX, Madrid, Alianza, 1994, 427 p.

231 Roland Courtot, « Industrialisation et villes en Pays valencien », Méditerranée, 1978, vol. 34, no 4, p. 66‑ 70.

232 Jean-Pierre Houssel, « L’industrialisation spontanée dans la région de Valence (Espagne). », Les Cahiers

Nantais, 1983, no 22, p. 174‑ 180 ; Florent Le Bot et Cédric Perrin (dir.), Les chemins de l’industrialisation en

Espagne et en France: les PME et le développment des territoires, XVIIIe-XXIe siècles, Bruxelles / New York,

106

majeur en Espagne s’avère en effet être mal relié au reste de l’Europe et souffrir de mauvaises liaisons internes.

Outline

Documents relatifs