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Tausk et le délire d’action des alcooliques :

Tausk est né en 1879 en Slovaquie et il fut l’un des psychanalystes de la première heure. Il découvrit la psychanalyse en 1905 et il fut aidé financièrement par Freud et le groupe viennois pour lui permettre d’entreprendre et de réussir ses études de médecine et de psychiatrie. Mobilisé comme psychiatre et médecin au front, il en reviendra avec l’idée de commencer une analyse avec Freud. Le fondateur de la psychanalyse l’orienta alors vers Hélène Deutsch mais le traitement fut interrompu trois mois plus tard à la demande de Freud. Il se suicida l’année d’après en 1919.

Dans son article daté de 1908, Tausk explore la question du délire d’action des alcooliques. Il critique tout d’abord les études biologiques ou celles qui se sont attachées à montrer que certains produits toxiques conduisent aux « psychoses alcooliques ». Ils passent à côté de la genèse véritable de « la maladie ». Ce choix théorique l’inscrit alors dans la lignée freudienne suivie par Abraham et Ferenczi.

Pour commencer, Tausk énumère les conséquences psychiques des intoxications comme la désorientation temporelle et spatiale, la méconnaissance du milieu et de manière secondaire l’idée de persécution, les hallucinations et pendant la période de crise, la peur. Puis, il distingue l’hallucinose du délirium tremens puisque l’hallucinose désigne un sujet confronté à des hallucinations angoissantes sans qu’il ne présente de désorientation temporelle et spatiale tandis que le delirium tremens se caractérise par un état de désorientation totale accompagnée d’hallucinations dans tous les domaines sensoriels et par un délire d’action.

Ensuite et comme d’autres analystes, Tausk rappelle la fonction désinhibitrice de l’alcool : « Le poison paralyse l’appareil inhibiteur (théorie de la fonction inhibitrice du cortex cérébral et du rôle d’attaque corticale des poisons), et chacun peut remarquer lorsque quelqu’un a un peu trop bu, et l’on sait également que la suspension des fonctions inhibitrices entraîne l’irruption des passions contenues » (Tausk, 1908, p. 53).

Tausk fait l’hypothèse que la psychologie du délire d’action peut s’expliquer à partir de l’analyse des rêves d’activité. Pour mettre à l’épreuve son intuition, il prend l’exemple d’un rêve d’activité qui se caractérise par la peur de ne pas arriver au bout de l’activité entreprise.

Cependant, quelque chose empêche l’analogie de s’établir entre le délire d’action des alcooliques et le rêve d’activité. En effet, dans le délire d’action, la peur n’est pas présente tandis que dans le rêve d’activité, elle est présente. Soit, les

patients n’avaient aucun intérêt pour tout ce qui relève de l’affectif, soit ils avaient de la peur une autre conception.

Un jour, le psychanalyste doit s’occuper d’un cas de délire « abortif » chez une jeune femme qui est en mesure de fournir des indications sur son état pathologique, ce qui permet son étude. Cette jeune patiente justifie ces alcoolisations par la mésentente entre elle et son mari ce qui lui fait dire : « Je suis contente quand mon mari me laisse la paix ». Elle est capable de critiquer son délire dans le sens où elle se rend compte de son état psychique. Lorsqu’elle est affectée par ce délire d’action, elle est occupée à empiler du linge. Et Tausk remarque les efforts précipités de la part de la patiente pour arriver au bout de la tâche entreprise tandis qu’une certaine angoisse s’installe progressivement sans que cela n’aboutisse à un accès de peur caractérisé.

L’auteur y voit le point culminant permettant d’établir l’analogie entre le délire d’action et le rêve d’activité. Et il est important de noter la qualité de l’approche de l’auteur témoignant d’une rencontre avec cette patiente : « Que je n’aie pas eu de meilleures réponses plus tôt, tenait à ma façon de questionner que j’ai appris petit à petit à adapter au malade » (Tausk, 1908, p. 72).

Puis il établit les étapes du délire d’action : tout d’abord, le malade commence une activité quelconque d’une manière guillerette mais au bout d’un moment, le travail n’avance plus. Soit le travail semble ne plus avancer, soit la tâche apparaît comme une épreuve de force entraînant un sentiment d’incapacité. Le sujet se fatigue de plus en plus et un sentiment d’angoisse émerge. Mais avant que cet affect n’atteigne son plus haut niveau, le malade change d’occupation et la machinerie infernale recommence. Un sentiment de soulagement coïncide avec l’apparition de la nouvelle activité.

Tausk retrouve certaines caractéristiques qui appartiennent au « rêveur d’activité » dans l’histoire de l’alcoolique. Ces traits sont les suivants : des relations sexuelles avec des connaissances passagères ou alors avec des prostitués, une mésentente conjugale ou une discorde dans un ménage légitime ou non, la sensualité brutale de leurs relations sexuelles et le manque de respect à l’égard de l’autre sexe, frigidité pour les femmes et coït pratiqué sous l’empire de l’alcool pour les hommes.

C’est ainsi que Tausk fournit les conditions préalables à l’alcoolisme : « Chez l’homme par la déception éprouvée à la suite des rapports avec des femmes, par la perte de l’amante, par la peur de l’impuissance à la suite d’une maladie vénérienne, et chez la femme, par la disparation de l’affection conjugale et du respect de l’homme » (Tausk, 1908, p. 75).

Les crises alcooliques se déclencheraient à la suite de la perte d’une relation conjugale satisfaisante. Mais quelle est la fonction de l’alcool ? Tausk prétend qu’il insensibiliserait le sujet d’une réalité trop douloureuse et qu’il procurerait un substitut à la jouissance sexuelle. Pour autant, les expériences amoureuses malheureuses n’amènent pas toutes à la dépendance alcoolique. C’est pourquoi, Tausk suppose que le futur sujet alcoolique serait prédisposé : il présenterait une fixation à la zone orale, l’homosexualité et le narcissisme seraient prééminents chez lui.

La paranoïa et l’alcoolisme partagent donc la même prédisposition. Par l’alcool, l’alcoolique gagnerait sa paranoïa qui se manifesterait par une exagération de son narcissisme et de son homosexualité, ce qui le détournerait de l’autre sexe. De plus, la rencontre du sexe différent confronterait l’alcoolique à son impuissance d’où son attrait pour la rencontre de personnes du même sexe. Cependant, il existe tout de même des situations où les hommes et les femmes boivent ensemble mais il ne faut pas s’y méprendre : l’alcool libère les instincts hétérosexuels. Ainsi, le contact hétérosexuel provisoire est rendu possible par l’alcool mais cela dure peu de temps et il laisse très vite la place à la dispute. Cette composante homosexuelle reste néanmoins inconsciente, la table du café en est la sublimation et la paranoïa en est l’achèvement. Tout ceci s’accorde avec les considérations freudiennes sur la paranoïa et son étiologie.

En outre, l’auteur constate que les alcooliques ne se masturbent jamais, c’est pourquoi l’auto-érotisme ne concernerait pas le sujet dépendant à l’alcool dans le sens où sa libido, si elle est rendue active, reste axée sur un objet (l’alcool). De plus, l’alcoolique n’a pas accès à la régression homosexuelle.

Ainsi, confronté à son impuissance et à son incapacité à réaliser ses désirs sexuels, le sujet alcoolique est obligé de délirer pour espérer une satisfaction de ses désirs sexuels : « il est plein de talents » - « ça c’est un travail qu’il sait faire ». Ce travail, c’est le coït, mais ce travail n’avance pas, même dans le délire, qui est donc un délire de crainte de l’impuissance.

Dans le cas de la psychose alcoolique, le délire d’action mettrait en scène le désir de coït mais il échouerait. L’alcoolique serait donc animé par le souhait ardant de vivre une relation amoureuse satisfaisante mais les consommations d’alcool le rendent impuissant et le délire incarne donc la représentation du souhait de se rassasier de l’autre sexe.