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La naissance de « l’alcoolisme » en 1849 :

Huss (1807-1890) est un médecin suédois de renommée internationale. Ses études, comme ses recherches ultérieures ont été remarquées par ses pairs.

Rappelons le contexte historique : lors de la première moitié du XIXe siècle, une grande période d’alcoolisation débute. En effet, les trois millions d’habitants du pays ont consommé 100 millions de litres d’alcool. Selon Sournia (1986), les quelques 8 millions de suédois consomment 50 millions de litres d’alcool chaque année. Ainsi, l’ivrognerie gagne la Suède et elle commence à alarmer certains esprits, à tel point que cette conduite « intempérante » est mise en relation avec la dégradation des mœurs, la pauvreté et le crime. Ces esprits inquiets établissent un véritable mouvement de « tempérance » qui connait un succès notable dans les classes populaires.

Huss publie sa thèse de médecine en 1835 ce qui l’amène, après de nombreux voyages, à rédiger de nombreux travaux dans le champ médical et surtout à publier en 1849, un ouvrage fondamental : Alcoholismus chronicus ou « alcoolisme chronique ». Il forge cette entité clinique « alcoolisme » en utilisant la terminaison savante en « -isme » qui était usitée dans de nombreux noms de maladies et en particulier pour désigner les infections (ergotisme, saturnisme, botulisme, etc.). Pour l’auteur, l’alcoolisme est d’abord une intoxication de l’organisme dans le sens où les maladies alcooliques chroniques partageraient un antécédent pathologique, à savoir la consommation excessive et prolongée de boissons alcooliques.

À ce titre, l’alcoolisme ne désigne pas une dépendance à l’alcool, c’est-à-dire une incapacité pour le sujet de s’abstenir d’alcool. Sournia (1984) met bien en évidence le désintérêt de Huss pour cette question : « Il ne s’en préoccupait guère, classant ces cas dans la « dipsomanie », c’est-à-dire la manie de boire, qui n’était pas son sujet » (Sournia, 1984).

Le Docteur Huss entreprend donc une étude des maladies diverses dans leur forme apparente et il identifie un lien entre elles, qui est fondé sur une seule et même origine : l’usage ou l’abus de l’eau-de-vie. Comme l’indique Renaudin (1953), lecteur de Huss, l’alcoolisme chronique désigne « une individualité pathologique ». Huss, dans l’édition de 1852, explique dès la page de garde ses intentions : « Sous ce terme j’entends décrire l’ensemble des manifestations du système nerveux, aussi bien psychiques que motrices et sensorielles, se constituant progressivement, sans relation directe ou essentielle avec des remaniements du tissu nerveux central ou périphérique, ni pathognomoniques du vivant de la maladie, ni visibles à l’œil nu après sa mort, et qui surviennent chez des personnes ayant consommé pendant de

longues années des quantités excessives de boissons alcooliques » (Huss, 1949, cité par Sournia, 1984, p. 69-70).

Les descriptions anatomo-pathologiques confèrent à l’alcool une double action : localement, il irriterait les organes digestifs et il aurait une action générale puisqu’il modifierait la nutrition, la vitalité et les systèmes nerveux et circulatoires. 4.1.1.1 Ivresse et delirium tremens :

Huss distingue dans son ouvrage, deux phénomènes survenant dans la période aiguë de l’alcoolisme à savoir « l’ivresse » et le « delirium tremens ». L’ivresse dépend d’un usage passager d’alcool tandis que le délirium tremens serait conditionné par une habitude invétérée.

Au sujet de l’ivresse, l’auteur note, au niveau psychologique, une certaine animation des facultés intellectuelles, une parole facilitée et une humeur plus enjouée. Puis, le sommeil succède à cette période d’euphorie. Cependant, dans le second degré de l’ivresse la succession des phénomènes est moins régulière : une excitation et une dépression tant physique que morale alternent. Cet état conduirait « l’ivrogne » à « un état de fureur » qui le conduirait aux actes les plus répréhensibles par la loi, ne laissant derrière lui aucune mémoire de ce qu’il s’est passé.

Le délirium tremens est la suite d’une intoxication progressive et graduelle résultant de la consommation de plus en plus massive d’alcool, brisant la tolérance du sujet. Ce trouble serait caractérisé par l’insomnie, des hallucinations et un tremblement musculaire.

Huss constate dans son ouvrage que l’abus d’alcool serait la cause perturbatrice la plus puissante de la vie morale et intellectuelle. Il y range les hallucinations, la stupidité, la manie furieuse et la démence.

4.1.1.2 Les différentes formes cliniques de l’alcoolisme :

Huss (1845) distingue plusieurs formes cliniques de l’alcoolisme en fonction de la prédominance des symptômes : somatique, psychique, ou alors la coordination des deux types de symptômes.

L’auteur admet donc six types de formes cliniques :

Premièrement, Huss identifie la forme prodromique : cette forme précéderait la forme paralytique d’où son nom. Elle est caractérisée par un appareil symptomatique homogène et conscient et par une durée limitée. Au niveau des symptômes physiques, il identifie des tremblements des mains, des autres membres et de la langue, ce qui affecte la parole. Ces symptômes dépendraient de la quantité de boissons absorbées et d’autres facteurs inhérents à la personne concernée (idiosyncrasiques). Ces patients accuseraient « une faiblesse des nerfs » et « une accumulation de mucosités dans l’estomac ». L’alcool viserait à neutraliser ces symptômes et à rétablir l’équilibre normal des fonctions.

Ensuite, la forme « paralytique » fait son apparition : elle se rapprocherait du « delirium tremens chronique ».

Pour le lecteur de Huss, cette forme traduirait « le phénomène toxique produit dans le système nerveux périphérique ou central et ayant pour première manifestation une diminution de forces, un état d’engourdissement dans le système moteur » (Renaudin, 1853, p. 75).

La forme « paralytique » est donc caractérisée par des tremblements qui se propagent de la périphérie jusqu’au centre (les mains d’abord), la face « hébétée » du patient, la teinte ictérique de l’œil, une modification de la couleur de la peau et par un amaigrissement. Au niveau psychique, le patient serait victime d’un affaiblissement de son intelligence et il souffrirait d’hallucinations, ce qui témoignerait de l’installation d’un véritable délire. Ces modifications restent inaperçues pendant longtemps et elles apparaissent subitement et avec une grande intensité.

Ensuite, Huss décrit la forme anesthésique qui est caractérisée principalement par « une obtusion du sentiment » sans aucune altération de la motilité. Précisément, une insensibilité se manifeste au niveau des extrémités inférieures et supérieures et elle tend à devenir continue et chronique si le traitement ne vient pas l’enrayer. Au niveau de l’intelligence, l’auteur remarque que les pensées se forment lentement et qu’elles sont souvent imprécises. Si cet état se prolonge, alors le sujet évoluera vers une démence ou un état de paralysie générale, voire vers son décès.

En miroir de la forme anesthésique, Huss met au jour la forme hyperesthésique qui reste néanmoins très rare. Le sujet hyperesthésique présente de fortes douleurs au niveau périphérique (jambes, mollet, peau) qui peuvent céder au changement de milieu et d’habitude de vie.

De plus, Huss évoque la forme compulsive qui a son point de départ dans le tremblement caractérisant la forme prodromique. La convulsion se manifeste d’abord par accès mais après l’apparition des symptômes prodromiques et avec le temps, ils peuvent augmenter d’intensité ou se prolonger. Cependant, l’auteur n’a pas déterminé une période fixe dans leur retour et les convulsions affectent de manière aléatoire les régions corporelles. La cause déterminante de cette forme-ci est les émotions vives éprouvées par le sujet pendant l’ivresse.

Enfin, Huss termine sa description des formes de l’alcoolisme par la forme épileptique qui ne doit pas être confondue avec la forme différente. L’affection épileptique d’origine alcoolique se déclare par des accès répétés de délirium tremens. Cette épilepsie spécifique peut être guérie par un changement de régime ou par l’avancée en âge des sujets. Par ailleurs, cette forme affecte particulièrement les facultés intellectuelles et ces sujets seraient les plus dangereux pour la société.

4.1.1.3 Étiologie selon Huss

Huss n’a pas l’intention, dans son livre, d’examiner les causes du penchant des êtres humains à consommer de l’alcool puisqu’il ne s’intéresse qu’à l’intoxication proprement dite.

L’intoxication générale et locale de l’organisme ne s’explique, pour l’auteur, que par la consommation d’alcool, l’eau-de-vie précisément. Cependant, Huss évoque des facteurs prédisposant comme un logement insalubre et mal aéré, le

mauvais exemple donné par les parents, le fait de boire sans manger, la rigueur du climat, un mauvais style de vie (adopté par la classe ouvrière), etc. Malgré tout, l’auteur n’affirme pas que « ces mauvaises habitudes » soient le résultat de l’hérédité mais elles résulteraient plutôt de « l’exemple ». Cette question sera longuement débattue après lui.