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Le Diagnostic and Statistical manual of Mental disorders (DSM) de l’association APA a considérablement évolué de 1952 jusqu’à nos jours. Le premier et le deuxième DSM proposaient un unique diagnostic d’alcoolisme sous la bannière des troubles de la personnalité et des névroses mais il n’y avait aucun critère permettant de caractériser précisément la maladie (Aubin, Auriacombe, Reynaud, & Rigaud, 2013). Puis, une série de critères diagnostiques apparaîtront et seront à la base du DSM-III en 1980 et ils présentent l’intérêt d’être génériques puisqu’ils peuvent être applicables à la plupart des substances addictives (le DSM-III-R est allé dans ce sens).

Le DSM-III reconnaît donc deux troubles liés à la consommation de substances : l’abus et la dépendance qui, en s’appliquant à l’alcool, créent donc l’abus d’alcool et la dépendance à l’alcool. L’histoire des idées nous enrichit donc d’un système hiérarchisé bimodal permettant l’identification soit d’un abus d’alcool, soit d’une dépendance à l’alcool.

Il faut attendre le DSM-III-R publié en 1987 et le DSM-IV en 1994 pour que la description de la dépendance soit modifiée, notamment en intégrant les travaux d’Edwards et Gross en 1976.

4.1.6.1 Les travaux d’Edwards et Gross et les spécialistes de l’O.M.S

En charge d’un groupe de travail sur l’alcoolisme à l’OMS, Edwards et Gross (1976) proposent plusieurs critères pour décrire le syndrome de dépendance :

1) La fixation des modalités de consommation d’alcool : le répertoire des comportements d’alcoolisation, au départ, est large et plutôt varié jusqu’à ce qu’il se rétrécisse peu à peu et qu’il devienne chez le sujet dépendant de plus en plus fixe et ritualisé. En effet, le sujet dépendant se caractérise, selon les auteurs, par l’usage quotidien d’une seule boisson alcoolisée et à un niveau élevé.

2) L’importance de la recherche d’alcool : le sujet dépendant priorise la recherche d’alcool sur toutes les autres activités que ce soit familiales, professionnelles, de loisirs, etc.

3) L’augmentation de la tolérance à l’alcool : pour rechercher le même effet, le sujet dépendant absorbe de plus grandes quantités d’alcool.

4) La répétition des symptômes liés au syndrome de sevrage : lorsque le sujet dépendant manque d’alcool, des symptômes de sevrage apparaissent et ils se manifestent par de fortes trémulations, des nausées, des sueurs et des troubles de l’humeur se manifestant sous la forme d’une humeur dépressive ou par de l’anxiété.

5) L’évitement des symptômes de sevrage par la prise d’alcool.

6) Le sentiment subjectif d’une compulsion à boire : c’est une expérience personnelle pénible et difficile à mettre en mots. Les patients parleraient de

« perte de contrôle », de « besoin irrépressible », « d’obsession alcoolique » pour tenter de communiquer cette expérience innommable. Il suffit, très souvent, d’un verre pour que ce puissant désir de continuer à boire réapparaisse.

7) La réinstallation rapide après une phase d’abstinence de ce syndrome.

Cette première approche du syndrome de dépendance à l’alcool a été révisée par un groupe d’experts de l’OMS en 1978. Edwards et ses collaborateurs insistent sur la nécessité d’envisager la question en fonction d’un « syndrome » dit « syndrome de dépendance ». Ils substituent ainsi « le syndrome de sevrage » à l’alcoolisme, à l’alcoolomanie et à la dépendance alcoolique. De plus, ajouter le terme « syndrome » suggère donc un état diagnosticable de grande importance, si bien qu’il n’existerait pas une seule forme et que les suites psychobiologiques des alcoolisations ne dérivent pas forcément de « ce syndrome de dépendance ».

L’idée de syndrome implique donc un certain nombre d’éléments qui se regroupent avec une fréquence suffisante. Ces experts se reposent sur l’article princeps qui a été publié par Edwards et ils étoffent ces sept critères initiaux nécessaires à l’établissement d’un diagnostic.

Ils préconisent donc d’évaluer trois types de symptômes 1) L’altération du comportement vis-à-vis de l’alcool :

 Le sujet présenterait une manière de boire qui n’est pas admissible par le milieu culturel que ce soit en termes de quantité d’alcool absorbée ou alors des moments dans la journée où il consomme.

 Le sujet manifesterait une moindre variabilité des habitudes en matière d’absorption d’alcool. Ses habitudes peuvent être si limitées et si ritualisées que deux possibilités peuvent s’offrir à lui : soit l’abstinence, soit l’alcoolisation massive.

 Le sujet serait particulièrement « résistant » aux conséquences négatives de l’alcoolisation qu’elles soient psychiques, physiques ou sociales.

2) L’altération de l’état subjectif :

 Le sujet présenterait une « diminution de la maîtrise de soi », c’est-à-dire qu’il est incapable de limiter, voire de stopper sa consommation.

 Il serait habité par « le désir obsédant de boire » (craving), quel que soit le degré de ce « désir ».

 Le sujet dépendant à l’alcool serait affaité « d’une obsession alcoolique ». Des images liées à la consommation d’alcool s’imposeraient à lui et il peut décider de planifier des actions dans le but de satisfaire « ce besoin » d’alcool à tel point qu’ils prennent le pas sur tous ses autres projets.

3) Altération de l’état psychobiologique :

 Le sujet présenterait des symptômes de sevrage qui peuvent apparaître dès que l’alcoolémie est en baisse.

 Il utiliserait l’alcool pour annuler ces symptômes de sevrage après une nuit d’abstinence.

 Le sujet présente une accoutumance à l’alcool avec une augmentation progressive de sa tolérance à l’alcool.

4.1.6.2 Les travaux de Goodman

Une véritable révolution s’annonce lorsque Goodman, célèbre psychiatre américain, publie un article en 1990 Addiction : definition and implications. Il propose de nouveaux critères, une nouvelle classification et il réévalue le concept d’addiction.

L’ambition de l’auteur est de proposer une définition de l’addiction qui soit scientifiquement utile, pleine de sens et non-redondante. L’addiction se définit de cette manière : « A process whereby a behavior, that can function both to produce pleasure and to provide relief from internal discomfort, is employed in a pattern characterized by (1) recurrent failure to control the behavior (powerlessness) and (2) continuation of the behavior despite significant negative consequences (unmanageability) “ (Goodman, 1990, p. 1404).

Cette définition s’organise donc autour de deux éléments indispensables, à savoir la faillite récurrente pour contrôler le comportement et la poursuite du comportement en dépit des conséquences négatives. Par ailleurs, cette définition du trouble addictif ou addiction s’arme d’une nouvelle catégorie hiérarchique qui subsume les troubles addictifs individuels. De plus, ces nouveaux critères constituent une véritable pierre de touche pour déterminer si un syndrome comportemental

Les critères de l’addiction (Goodman, 1990, p.1405)

(A) Recurrent failure to resist impulses to engage in a specified behavior. (B) Increasing sense of tension immediately prior to initiating the behavior. (C) Pleasure or relief at the time of engaging in the behavior.

(D) A feeling of lack of control while engaging in the behavior. (E) At least five of the following:

(1) frequent preoccupation with the behavior or with activity that is preparatory to the behavior

(2) frequent engaging in the behavior to a greater extent or over a longer period than intended (3) repeated efforts to reduce, control or stop the behavior

(4) a great deal of time spent in activities necessary for the behavior, engaging in the behavior or recovering from its effects

(5) frequent engaging in the behavior when expected to fulfill occupational, academic, domestic or social obligations

(6) important social, occupational or recreational activities given up or reduced because of the behavior

(7) continuation of the behavior despite knowledge of having a persistent or recurrent social, financial, psychological or physical problem that is caused or exacerbated by the behavior

(8) tolerance: need to increase the intensity or frequency of the behavior in order to achieve the desired effect or diminished effect with continued behavior of the same intensity

donné est un trouble addictif (Goodman, 1990). Comme le suggèrent Jacquet et Rigaud (2000), la contribution de Goodman est décisive puisqu’elle permet l’avènement du trouble addictif et donc le remaniement des classifications (comme celle du DSM-III).

4.1.6.3 Du DSM-IV au DSM-V

Le concept bidimensionnel est alors adopté par le DSM-III-R puis conservé par le DSM-IV et la CIM-10 distinguant ainsi la dépendance à l’alcool d’un côté et l’abus d’alcool de l’autre. Explorons alors la notion de dépendance à partir du DSM IV-TR. Cette notion est définie comme suit : « Un mode d’utilisation inadapté d’une substance conduisant à une altération du fonctionnement ou une souffrance, cliniquement significative, caractérisé par la présence de trois (ou plus) des manifestations suivantes, à un moment quelconque d’une période continue de 12 mois » (DSM IV – TR p. 228).

Les critères de dépendance à une substance sont consultables ci-dessous. Nous pouvons noter que la dépendance se fonde sur les évaluations de la tolérance à l’alcool, des caractéristiques du sevrage et des conséquences sociales, judiciaires et familiales attribuées à cette consommation.

Appliquée à l’alcool, cette notion de « dépendance » suggérerait qu’il existerait « un mode d’utilisation adapté » de l’alcool. Il serait pertinent de définir ce que serait un tel usage « adapté » de l’alcool. De plus, cette notion de dépendance évaluable par des critères « objectifs » évacue la notion de « dépendance psychique » qui sera explorée dans cette recherche.

En outre, l’abus d’une substance se définit par ce mode d’utilisation inadéquat mis en évidence par des conséquences indésirables, récurrentes et significatives, liées à cette utilisation répétée. La personne qui abuserait d’une substance présenterait une difficulté voire une incapacité à remplir ses obligations majeures, des problèmes sociaux, des problèmes judiciaires, une consommation dans des situations inappropriées, voire dangereuses, etc.

Le DSM-V, quant à lui propose la disparition de la distinction entre l’abus d’alcool et la dépendance au profit d’un continuum de sévérité : le trouble de l’usage d’une substance.

Notre aventure historique met en évidence la tentation classificatrice d’auteurs confrontés à la figure de protée que représente la dépendance à l’alcool. Un tel sujet dépendant à l’alcool est-il alcoolique (Renaudin, 1853) ? Est-il dégénéré (Morel, 1857) ? Souffre-t-il d’une addiction (Goodman, 1990), d’une maladie alcoolique (Fouquet, 1951, 1977), d’un syndrome de dépendance à l’alcool (Edwards & Gross, 1976), d’un trouble de l’usage d’une substance (DSM-V) ? Peut-on dire, en prenant les acquis théoriques les plus actuels, qu’il souffre d’une « maladie primaire et chronique du cerveau caractérisée par le dysfonctionnement d’un certain nombre de circuits neuronaux, en particulier le circuit de la récompense » (Aubin, Auriacombe, Reynaud, & Rigaud, 2013, p. 311) ?

La frénésie classificatoire n’est-elle pas une manière pour ces auteurs d’étouffer la subjectivité de sujets qui semblent s’y prêter ? Compte tenu du travail

difficile avec ces sujets, n’est-elle pas une manière d’organiser et d’harmoniser des stratégies de soins plus efficaces ?

Comprendre l’alcoolodépendance sous l’angle strictement comportemental et des critères de diagnostics nous amène à des obstacles puisque cette piste ne dit rien du sujet dépendant à l’alcool, de sa parole et de sa complexité psychopathologique. Nous devons donc nous tourner vers les psychanalystes pour que le sujet alcoolodépendant ait enfin la voix au chapitre.

Critères de dépendance à une substance (DSMIV-TR, 228-229)

La dépendance se définit comme étant le mode d'utilisation inadapté d'une substance conduisant à une altération du fonctionnement ou une souffrance, cliniquement significative, caractérisé par la présence de trois ou plus des manifestations suivantes, à un moment quelconque d'une période continue de 12 mois :

(1) La tolérance est définie par l'un des symptômes suivants :

a) Besoin de quantités notablement plus fortes de la substance pour obtenir une intoxication ou l'effet désiré

h) Effet notablement diminué en cas d'utilisation continue d'une même quantité de la substance

(2) Sevrage caractérisé par l'une ou l'autre des manifestations suivantes :

a) Syndrome de sevrage caractéristique de la substance (voir les critères A et B des critères de Sevrage à une substance spécifique)

b) La même substance (ou une substance très proche) est prise pour soulager ou éviter les symptômes de sevrage

(3) La substance est souvent prise en quantité plus importante ou pendant une période plus prolongée que prévu

(4) Il y a un désir persistant, ou des efforts infructueux, pour diminuer ou contrôler l'utilisation de la substance

(5) Beaucoup de temps est passé à des activités nécessaires pour obtenir la substance (p. ex., consultation de nombreux médecins ou déplacement (sur de longues distances)), à utiliser le produit (p. ex., fumer sans discontinuer), ou à récupérer de ses effets

(6) Des activités sociales, professionnelles ou de loisirs importants sont abandonnées ou réduites à cause de l'utilisation de la substance

(7) L’utilisation de la substance est poursuivie bien que la personne sache avoir un problème psychologique ou physique persistant ou récurrent susceptible d'avoir été causé ou exacerbé par la substance (par exemple, poursuite de la prise de cocaïne bien que la personne admette une dépression liée à la cocaïne, ou poursuite de la prise de boissons alcoolisées bien que le sujet reconnaisse l'aggravation d'un ulcère du fait de la consommation d'alcool)

Spécifier si :

Avec dépendance physique : présence d'une tolérance ou d'un sevrage (c.-à-d. des items 1 ou 2) Sans dépendance physique : absence de tolérance ou de sevrage (c.-à-d. tant de l'item 1 que de l'item 2)

Psychopathologie psychanalytique de l’alcoolisme