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Mémoire, conscience et période neuronale :

Ce principe d’inertie a des incidences particulières puisqu’il explique la distinction nécessaire de deux types de neurones : les neurones phi laissent passer la quantité d'excitation en raison d'une absence de barrière de contact et les neurones psy ne laissent passer que difficilement ou partiellement la quantité d'excitation en raison de la présence de barrières de contact. Freud en déduit qu'il existe « des

neurones perméables (n'exerçant aucune résistance et ne retenant rien), au service de la perception et des neurones imperméables (dotés de résistance et retenant Qn) qui sont les supports de la mémoire » (Freud, 1895, p. 607). Freud pose ainsi une hypothèse qui jalonnera son œuvre, à savoir que mémoire et perception s’excluent mutuellement.

Pour l’auteur, les neurones imperméables seraient les supports de la mémoire. Cependant, Freud ajoute quelques hypothèses pour rendre compte des caractères généraux de la mémoire : les barrières de contact des neurones psy sont modifiées de façon permanente par le cours de l’excitation.

De cette manière, l’excitation se fraye un chemin à travers les neurones psy devenant de cette manière moins imperméables et plus semblables aux neurones phi. Puis, Freud conclut que « la mémoire est constituée par les frayages existant entre les neurones psy » (Freud, 1895, p. 608). Mais les neurones psy ne peuvent être frayés de la même manière puisque cela ne rendrait pas compte des caractères généraux de la mémoire. La mémoire est donc constituée par les différences dans les frayages entre les neurones.

Freud se heurte ensuite au problème de la qualité et il introduit un troisième type de neurones pour le résoudre. Ces qualités se caractérisent par leur grande variété et ils sont « d'une autre nature, et dont la nature autre est différenciée en fonction des relations au monde extérieur » (Freud, 1895, p. 616). Ces qualités ne peuvent apparaître ni à l'extérieur ni dans les systèmes phi et psy. Il existerait alors les neurones oméga qui seraient caractérisés par la transformation des quantités externes en qualités et ce processus implique que la quantité d’excitation soit le plus possible mise hors-circuit. De plus, ces neurones sont perméables et ils assurent un plein frayage qui ne provient pas d'une quantité. Comment fonctionnent ces neurones ? Freud répond à cette question de cette manière : « La période du mouvement neuronal se propage partout sans être inhibée, en quelque sorte comme un processus d'induction » (Freud, 1895, p. 618).

Les neurones oméga s'approprient donc la période de l'excitation et la conscience en résulterait. Seulement Freud note que les neurones psy ont aussi une période mais qui reste dépourvue de qualité et il les qualifie de « monotones ». Pour qu’il y ait une qualité, une autre condition est nécessaire : « Les écarts par rapport à cette période psychique qui leur est propre arrivent à la conscience en tant que qualité » (Freud, 1895, p. 618). Ce sont ces écarts par rapport à cette période monotone ou période-seuil qui engendrent la notion de qualité.

2.4.3 « Proton Pseudos » :

Freud, dans cet écrit novateur, rompt d’une certaine manière avec le déterminisme autrefois supporté par Breuer dans l’élaboration des études sur l’hystérie. La clinique de l’hystérie au travers le cas d’Emma lui impose de réviser ses positions théoriques et il élabore le proton pseudos pour rendre compte de l’étiologie de cette affection.

Emma présente une incapacité à rentrer seule dans un magasin et elle justifie ceci par l’évocation d’un souvenir remontant à sa douzième année : « Alors qu’elle faisait des courses dans un magasin, elle vit deux commis – elle se souvient de l’un deux – qui riaient ensemble, et saisie d’une sorte d’affect d’effroi, prit la fuite » (Freud, 1895, p. 657).

Cependant, il manque, entre le souvenir des commis et l’incapacité à se rendre seule dans un magasin, des éléments intermédiaires pour comprendre le lien que pose la patiente entre ces deux éléments. Le souvenir des commis laisse sa place à ce que Freud nomme la scène I : « Enfant, à l’âge de huit ans, elle est allée deux fois seule dans le magasin d’un épicier pour acheter des friandises. Le patron lui agrippa les organes génitaux à travers ses vêtements » (Freud, 1895, p. 658).

La liaison entre les deux scènes est fournie par le rire des commis. À l’époque de la scène I, la petite Emma n’avait pas les capacités psychologiques et physiques pour comprendre un tel acte. Le rire des commis est associé inconsciemment avec la scène I éveillant une « déliaison sexuelle » chargée d’angoisse impossible à élaborer au temps présexuel. Rentrer seule dans le magasin pourrait donc susciter une répétition de l’attentat commis par le patron. La scène I n’a acquis une valeur traumatique que dans l’après-coup.

L’après-coup ainsi théorisé rompt donc avec le déterminisme classique dans la mesure où un temps T2 donne toute son importance et son sens à un événement passé en T1. Dans une optique déterministe, il serait plus pertinent de dire qu’un évènement passé impacte le présent. Cependant, l’après-coup ainsi théorisé restructure ce qui est entendu par événement. L’événement n’est pas un tout structuré ayant en propre son sens. Laget (1998) abonde dans ce sens lorsqu’elle souligne la rupture entre la forme du temps et les présupposés ordinaires du déterminisme que constitue l’après-coup.

Freud invente une temporalité psychique précieuse qui est censée répondre à la causalité du symptôme. Dans ce cadre, la cause de la névrose ne suit pas cette détermination temporelle « T1 → T2 », mais celle-ci : « T2 → T1 ». L’origine du

symptôme repose sur un aller et retour, entre le passé et le présent puisque le passé ne peut être perçu comme une cause que s’il existe un présent qui l’interprète de cette manière et le présent ne prend sa valeur affective, pour un sujet, que dans la mesure où son passé en latence s’y accomplit.

Par ailleurs, une telle temporalité psychique invalide et subvertit l’idée d’un originaire premier, d’une cause originaire qui déterminerait l’ensemble. Les inscriptions des traces existent bien comme le montre la théorie freudienne de la trace mais elles ne sont pas « figées ». Une certaine mobilité les caractérise.