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Parmi les phénomènes temporels, Minkowski évoque l’activité, l'attente, le désir, l'espoir, la prière et l'acte éthique.

L’activité et l’attente s'opposent puisque le premier phénomène comporte le facteur de l'avenir. Par ailleurs, l’être vivant, par son activité, se porte en avant de soi et il crée son avenir devant soi. L'activité ouvre donc l'être vivant à l'avenir immédiat.

Le désir et l'espoir entretiennent un rapport différent avec l'avenir par rapport aux deux phénomènes temporels précédents. Le désir et l'espoir dépassent l'immédiateté et ils tendent vers un lointain. En outre, ils élargissent la perspective que le sujet ait de l'avenir. Le désir exprime donc un dépassement de l'activité qui lui se cantonne à l'immédiat. Ce « plus loin » se manifeste à travers le désir et il ouvre le sujet à l'avenir médiat. De surcroît, le désir vise à obtenir « un avoir plus » représentant « un ne pas avoir ». Le désir donne donc un but à l'activité puisque tout désir mène quand il se réalise, à l'augmentation de mon avoir.

Le désir et l'activité entretiennent une relation particulière puisque le désir se présente comme une représentation vécue de l'activité. L'espoir quant à lui dépasse l'attente, il tend lui aussi vers un plus loin, le sujet s'ouvre à un avenir libéré de l'immédiateté. L'avenir vers lequel le sujet tend est un avenir déployant toutes ses richesses et ses promesses.

Dans le registre du lointain, la prière implique un recueillement. Une forme de retrait du monde semble être traduite par l'attitude du recueillement. Il s'agirait donc de s'abstraire du monde pour rentrer en soi, ce que Minkowski nomme « l'intériorisation totale vécue ». Le contact avec le devenir ambiant se perd mais dans un autre mouvement, la prière partant du fond de soi-même s'élève pour côtoyer l'infini, l'au-delà et le mystère. L’auteur met donc l’accent sur la capacité que nous avons de nous élever « au-dessus de nous-mêmes ainsi que de tout ce qui nous entoure et portons nos regards dans le lointain, vers un horizon infini » (Minkowski, 1968, p. 95). La prière « part de soi » pour s'élever et pour projeter le soi hors de lui- même si bien qu’elle se lie avec l'avenir puisque le sujet « attend et espère en même temps ». Plus loin que l'attente et plus loin que l'espoir, la prière jette son regard du côté de l'infini.

Ricœur et le temps raconté :

Notre recherche repose sur les discours des patients recueillis sur la base d’entretiens non-directifs. Nous proposons d’étudier la temporalisation des sujets dépendants à l’alcool à travers les récits s’insérant au sein de ces discours.

Ricœur, philosophe français du XXe siècle, témoigne de l’importance de la temporalisation de l’expérience humaine à travers l’ensemble de son œuvre. Il établit une correspondance entre l’activité de raconter une histoire et le caractère temporel de l’expérience humaine et il ajoute que cette « corrélation n’est pas purement accidentelle, mais présente une forme de nécessité transculturelle » (Ricœur, 1983, p. 105).

Pour Ricœur, le temps du monde est incommensurable au temps humain c’est pourquoi une médiation s’impose pour transformer ce temps du monde en un « temps humain » dans la mesure où « il est articulé sur un mode narratif, et que le récit atteint sa signification plénière quand il devient une condition de l’existence temporelle » (Ricœur, 1983, p. 105).

Le récit et le caractère temporel de l’expérience humaine semblent bien consubstantiels. La définition du présent doit prendre en compte l’activité de raconter qui implique que quelqu’un parle. Cette activité implique la coïncidence entre un évènement et le discours qui l’énonce, il faut donc en passer par le « temps linguistique » (Ricœur, 1985).

L’œuvre complète Temps et récit épuise la phénoménologie du temps puisque la temporalité ne tient pas tout entière dans ce discours. À mesure que l’instrument d’analyse s’affine, la tâche d’exprimer le vécu du temps le plus immédiat devient de plus en plus aporétique. Sans préciser les apories que l’auteur distingue à travers Husserl, Heidegger, Kant et Saint-Augustin, nous retiendrons l’idée selon laquelle la poétique du récit traite, règle et dénoue ces obstacles. Mais qu’est-ce que cette poétique du récit ? Comment opère-t-elle ?

L’auteur, dans son tome I, met en contraste la discordance du temps vécu et la concordance de la mise en intrigue. Dans le quotidien, c’est-à-dire dans la diversité de notre champ pratique, il existe des causes, des hasards de l’existence et des buts qui peuvent être rassemblés à travers l’unité temporelle d’une action totale et complète.

De plus, la mise en intrigue (Muthos) assure la concordance de la configuration narrative par la représentation d’une action. La mimésis désigne la représentation de l’action vécue sans pour autant que cette représentation ne soit le décalque d’un réel préexistant. Il s’agit d’une « imitation créatrice ». Cette coupure qu’opère la mimésis entre l’action vécue et la représentation ouvre l’espace de la fiction puisqu’elle est la liaison engageant la transposition métaphorique du champ pratique par le Muthos (Ricœur, 1983).

La première est dite « mimésis I », elle est une préfiguration du champ pratique qui est une précompréhension du monde et de l’action, de ses structures intelligibles, de ses ressources symboliques et de son caractère temporel (Ricœur, 1983).

Cette précompréhension du monde et de l’action est définie par la maîtrise ou par la connaissance de trois types d’organisateurs du champ pratique :

 La maîtrise du réseau conceptuel est attendue dans son ensemble. Il s’agit d’identifier l’agent, le motif et le but de l’action, c’est-à-dire le « qui », le « pourquoi » et le « quoi » de l’action.

 Il s’agit de maîtriser les ressources symboliques de l’action, à savoir les règles, les normes et les signes. C’est en fonction de cette médiation symbolique que les actions peuvent être comprises et qu’une action est organisée au sein d’un système symbolique qui lui donne son sens.

 L’acte narratif s’organise sur les caractères temporels de l’expérience pratique. Cela renvoie au fait que tout être humain a un passé et un avenir, quels qu’ils soient.

Le philosophe met au point une deuxième étape de la mimésis à savoir la configuration. Ce rapport mimétique ouvre la voie à la fiction, elle permet la configuration de l’expérience pratique préfigurée. C’est le moment de la mise en intrigue proprement dite.

Une première dimension dite « épisodique » du récit s’ancre dans une représentation linéaire puisque les épisodes se suivent selon un ordre irréversible.

La deuxième dimension dite « configurante » s’oppose à la dimension épisodique parce que « l’arrangement configurant transforme la succession des évènements en une totalité signifiante qui est le corrélat d’assembler les évènements et fait que l’histoire se laisse suivre » (Ricœur, 1983, p. 130).

Les évènements ne sont donc plus des éléments épars sans connexion les uns avec les autres mais ils forment une totalité pleine de sens qui ne peut plus être conçue comme la somme des parties. De plus, la configuration de l’intrigue impose à la suite indéfinie des incidents le sens du point final. Ceci a des incidences étonnantes : dans la reprise de l’histoire, la conclusion ou le point final amène à orienter autrement la droite du temps. La fin devient d’une certaine manière ce qui origine la totalité puisqu’elle lui donne sens.

Enfin, Ricœur invente un dernier rapport mimétique qui est la refiguration par la réception de l’œuvre. La lecture d’un livre racontant un évènement quelconque engendre son effet propre.

Dans l’ensemble de son œuvre Temps et récit, Ricœur met à l’épreuve ce schéma sur le récit historique et sur le récit de fiction. Il identifie un point en commun : ces deux types de récits partagent la même opération configurante qui relève de la mimésis II. Les différences ne concernent pas le schéma préfiguration, configuration et refiguration, mais la prétention à la vérité de ces récits. Par le procédé de la mimésis, l’être-racontant devient un être-raconté harmonisant ainsi

son rapport avec « le silence éternel des espaces infinis ». Il fabrique donc un temps humain.

Conclusion :

Notre aventure philosophique nous a permis de poser les premiers jalons d’une réflexion sur la question du temps. Nous ne dénombrons plus les apories auxquelles nous avons dû nous opposer pour comprendre les tenants et les aboutissants d’une telle question sans lui trouver, bien sûr, une réponse. La philosophie nous donne certes les outils conceptuels pour tenter de définir le temps mais il nous faut prendre en compte les acquis et les nouvelles difficultés que la psychanalyse freudienne a apportées. C’est sur la base d’un dispositif de recherche et d’une technique soignante que Freud renouvelle la manière de poser la question puisqu’il y insère l’hypothèse de l’inconscient.

2 L’arbre du temps freudien :

« Freud n’a-t-il jamais cessé de s’occuper d’autre chose que du temps tout au long de son œuvre ? On aurait le droit d’en douter » (Green, 2000, p. 21).

Introduction :

L’inventeur de la psychanalyse a fait du temps un point d’orgue de l’ensemble de son œuvre sans pour autant le thématiser dans un écrit en particulier. C’est donc l’ensemble de la toile, « l’arbre du temps », qu’il faut retrouver dans l’œuvre freu- dienne. Il faut partir de l’idée que Freud subvertit les conceptions classiques du temps et qu’il approche cette question d’une nouvelle manière, c’est-à-dire avec l’hypothèse des processus inconscients. Il est nécessaire d’explorer toutes les formes que prend le temps dans l’œuvre freudienne comme nous l’explique Duparc : « Rythmes, répétition, régression, effets de rétroaction et d’après-coup, émergence de l’atemporalité de l’inconscient, paradoxes temporels de la cure » (Duparc, 1997, p. 1432). Ce projet orientera notre étude du temps selon l’œuvre freudienne.

Le déterminisme psychique :

Freud en tant que chercheur est pris par l’épistémologie de son temps : le déterminisme oriente donc sa démarche intellectuelle. Laget (1998) considère qu’il est postulé par tous les modèles de l’esquisse jusqu’à la lettre 52.

Le déterminisme, dans sa formulation laplacienne, implique que « nous devons donc envisager l'état présent de l'univers comme l'effet de son état antérieur, et comme la cause de celui qui va suivre. Une intelligence qui pour un instant donné connaîtrait toutes les forces dont la nature est animée et la situation respective des êtres qui la composent, si d'ailleurs elle était assez vaste pour soumettre ces données à l'analyse, embrasserait dans la même formule les mouvements de plus grand corps de l'univers et ceux du plus léger atome : rien ne serait incertain pour elle, et l'avenir, comme le passé, serait présent à ses yeux » (Laplace, 1814).

Dans ce cadre, le chercheur connaissant toutes les conditions initiales pourrait prévoir l’état du système à venir. Ce principe déterministe sous-entend une inéluctabilité et une irréversibilité du temps à l’image d’une droite vectorisée. Sur cette droite seraient posés des instants du temps séparés, de sorte que t-1 figurerait t. De plus, une telle conception du déterminisme suppose qu’une connaissance parfaite de la situation présente permettrait de reconstituer d’une manière théorique tout le passé qui y a conduit.

Un ordre temporel ou un ordre de parcours obligé déterminerait les modèles développés par Freud qui s’opposeraient à la théorie de l’après-coup qu’ils prétendent expliquer.

L’ordre des modèles maintenu :

Le dernier chapitre des Études sur l’hystérie publié par Freud en 1895 développe une conception de la mémoire ordonnée : « La première et très forte impression produite par une semblable analyse tient certainement au fait que les matériaux psychiques pathogènes soi-disant oubliés, dont le moi ne dispose pas et qui ne jouent aucun rôle dans les associations et le souvenir, sont malgré tout présents et rangés en bon ordre. Il s'agit seulement d'écarter les résistances qui nous empêchent de parvenir jusqu'à eux » (Freud, 1895, p. 232).

Les matériaux psychiques sont donc rangés selon un ordre précis et régis par un principe de cohérence. Trois stratifications comparables à des cercles concentriques organiseraient ces matériaux psychiques : la première serait constituée par « le noyau des souvenirs » responsable de la formation de l’idée pathogène et du facteur traumatique. Entourant ce noyau, « des matériaux mnémoniques » seraient présents en grande quantité. Ces matériaux mnémoniques ne sont pas organisés arbitrairement mais suivent une « évidente disposition chronologique linéaire » (Freud, 1895, p. 233).

Freud se présente comme un historien dépouillant des archives organisées chronologiquement. Ensuite, la troisième strate, la plus accessible est constituée par tous les souvenirs conscients qui reviennent plutôt facilement à la mémoire. Si ces archives sont donc tenues et disposées selon un ordre chronologique alors il serait possible dans le cadre de la théorie de la séduction de retrouver et dater le développement des traces mnésiques et des structures pathologiques selon un schéma chronologique linéaire.

Par ailleurs, un autre modèle semble être régi par un ordre particulier : il s’agit du principe de constance. Il est élaboré à la fois dans l’esquisse d’une psychologie scientifique à travers le principe d’inertie neuronale et dans les études sur l’hystérie. Breuer définit ainsi ce principe de constance : « Nous devons en conclure que la suppression d’un excès d’excitation constitue un besoin de l’organisme et nous nous trouvons ici, pour la première fois, devant le fait d’une tendance dans l’organisme à maintenir constante l’excitation intracérébrale (Breuer, 1895, p. 156).

Autrement dit, un excès d’excitation suppose une éconduction ou une décharge, ce modèle impliquant une voie à sens unique, un parcours obligé et prédéfini : dans un temps t-1, un excès d’excitation apparaît et implique selon le principe de constance une décharge dans un temps t.

À partir de ce modèle, Freud et Breuer pensent l’étiologie de l’hystérie à partir d’un affect coincé qui agit même après plusieurs années et qui provoque un état de tension inassimilable pour la psyché nécessitant une éconduction. Dans ce cadre, le symptôme hystérique peut être considéré comme une décharge différée. Ce qui gouverne ce modèle reste l’idée déterministe, à savoir la supposition d’un parcours obligé et vectorisé permettant de comprendre l’origine du trouble. Dans ce

cadre déterministe, il serait possible de dater précisément la cause de l’apparition de la névrose.