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Freud (1920) dans l’Au-delà du principe de plaisir, analyse le jeu de son petit- fils alors âgé de 1 an et demi. Il a l’habitude de jeter loin de lui tous les petits objets dont il peut se saisir en émettant avec satisfaction le son o-o-o-o fort et prolongé signifiant pour sa mère « parti ». Puis Freud (1920) observe que son petit-fils s’amuse avec une bobine en bois et il jette souvent avec adresse la bobine qu’il retient par la ficelle en exprimant de nouveau le son o-o-o-o. Il retire ensuite la bobine en tirant la ficelle et prononce alors le son « da ».

L’enfant répète un comportement qui lui procure du déplaisir : comment concilier avec le principe de plaisir la répétition d’un tel comportement ? Freud (1920) considère que le jeu lui permet de maîtriser en étant actif un évènement qu’il ne peut que subir, à savoir le départ de la mère. En outre, il propose une autre interprétation selon laquelle l’enfant se venge de sa mère qui est partie loin de lui. Le jet de la bobine peut ainsi être considéré comme étant une bravade.

Concernant son petit-fils, Freud affirme qu’il répète une impression désagréable parce qu’il attend un gain de plaisir d’une autre sorte qui est lié à cette répétition. Seulement, il ajoute que si l’on pousse plus loin l’analyse, alors on verrait que « les enfants répètent dans le jeu tout ce qui leur a fait dans la vie une grande impression, qu’ils abréagissent ainsi la force de l’impression et se rendent pour ainsi dire maîtres de la situation » (Freud, 1920, 61-62).

À travers cette activité pourtant banale, Freud (1920) met en relief le rôle décisif que joue la perte dans la structuration de la psyché de l’enfant. Mais c’est aussi le moment où l’enfant entre dans le monde du langage. Selon Lacan (1953- 1954), l’enfant joue avec le seul fait de sa présence et de son absence. La bobine devient un objet transformé c’est-à-dire un objet de fonction symbolique amenant l’enfant à passer dans le monde du langage.

Le jeu de la bobine pourrait se décomposer de cette manière : une activité rythmique et la transformation de l’objet en un symbole, c’est-à-dire en objet perdu. Ainsi, c’est sur fond d’un retour périodique d’un évènement qu’une symbolisation émerge.

Le stade du miroir pour Lacan :

Plusieurs chercheurs en psychologie du développement et en psychanalyse se sont intéressés au stade du miroir. Wallon (1945) a été le premier à révéler l’importance du miroir dans la construction psychologique de l’enfant. Puis d’autres théoriciens se sont intéressés au stade du miroir comme Zazzo, Winnicott, Dolto et Lacan.

Par ailleurs, Lacan titre sa communication faite au XVIe congrès international de psychanalyse, le 17 juillet 1949 Le stade du miroir comme formateur de la fonction du Je telle qu’elle nous est révélée dans l’expérience psychanalytique. Il s’inspire des recherches éthologiques et neurologiques du développementaliste Wallon (1945) et il mesure l’importance que revêt le miroir dans l’émergence de l’identité d’un enfant dont l’âge se situe entre 6 et 18 mois.

Ce titre implique « la fonction du « Je » et il exclut la formation de la fonction du moi. Nasio (2013) définit le « moi » comme le fait de se sentir installé « dans un corps, obéissant à des besoins, traversé par des désirs et produit d’une histoire » (Nasio, 2013, p. 125). Il s’agit donc du sentiment d’être soi, de l’affirmation affective et imaginaire de notre être.

Le stade du miroir s’inscrit dans une « dialectique temporelle » puisque cette « formation de l’individu » se fait en plusieurs étapes qui se succèdent.

Dans un premier temps, l’infans vivrait dans une véritable confusion entre soi et l’autre. Le spectateur pourrait être étonné par le comportement de l’enfant qui n’a pas encore acquis la maîtrise de la marche et qui dans un affairement jubilatoire surmonte les entraves du soutien humain ou artificiel. Il suspend « son attitude en une position plus ou moins penchée et ramener, pour le fixer, un aspect instantané de l’image » (Lacan, 1949, p. 93). L’enfant est confronté à une image dans le miroir qu’il imagine être celle d’un autre enfant. En outre, cet autre enfant est un double de lui-même comme l’atteste le phénomène du « transitivisme normal » se déroulant entre 6 mois et deux ans et demi : l’enfant qui bat croit être battu (Lacan, 1953- 1954).

Dans un deuxième temps, l’autre du miroir ne désigne plus un autre enfant mais il s’agit pour le sujet d’une image.

Finalement, dans un troisième temps, l’enfant s’identifie à l’image dans son miroir. Cette identification désigne « la transformation produite chez le sujet, quand il assume une image, dont la prédestination à cet effet de phase est suffisamment indiquée par l’usage, dans la théorie, du terme antique d’imago » (Lacan, 1949, p. 93). L’enfant met au point une forme totale de son corps, une gestalt qui apparaît « plus constituante que constituée ». Le stade du miroir assure à l’enfant une maîtrise imaginaire de son corps qui devance la maîtrise réelle de son corps en raison de l’inachèvement du développement. Cette maîtrise imaginaire lui permet de donner un cadre à toutes les pulsions, aux désirs, à toutes les tendances, existants entremêlés dans un chaos originel. C’est par le jugement d’existence – ou bien c’est / ou bien ce

n’est pas – qu’agit l’image du corps dans le sens où c’est la première forme qui lui permette de situer ce qui est du moi et ce qui ne l’est pas (Lacan, 1953-1954). De plus, cette forme primordiale correspondrait au « je-idéal » : « Cette forme situe l’instance du moi, dès avant sa détermination sociale, dans une ligne de fiction, à jamais irréductible pour le seul individu » (Lacan, 1949, p. 93-94).

Le « Je » prend donc naissance dans la dimension imaginaire, à travers cette identification à l’image spéculaire qui n’est en fait qu’un leurre et que le sujet humain passera toute sa vie à tenter de retrouver. Mais, l’enfant paye cette gestalt unifiée d’une « forme orthopédique » c’est-à-dire « d’une armure enfin assumée d’une identité aliénante, qui va marquer de sa structure rigide tout son développement mental » (Lacan, 1949, p. 96). En même temps, cette gestalt unifiée a une fonction stabilisante dans le sens où elle assure « une permanence mentale du Je ». Autrement dit, l’image spéculaire a deux dimensions :

 La première est la dimension aliénante de l’image irréductible du moi (fonction de méconnaissance et du leurre). À ce propos, Lacan écrit : « Ce rapport érotique où l’individu humain se fixe à une image qui l’aliène à lui- même, c’est là l’énergie et c’est la forme d’où prend origine cette organisation passionnelle qu’il appellera son moi » (Lacan, 1948, p. 112).  La deuxième est la dimension stabilisante puisque le stade du miroir met fin

à l’angoisse de morcellement par la permanence d’un soi structuré.

Enfin, le stade du miroir est aussi le moment qui fait basculer tout le savoir humain dans la médiatisation par le désir de l’autre. Autrement dit, pour l’auteur, la fonction de l’imago est « d’établir une relation de l’organisme à sa réalité – ou, comme on dit, de l’Innenwelt à l’Umwelt ». (Lacan, 1949). L’enfant, en assumant cette image, assume dans le même temps l’image de la forme de l’autre. Le stade du miroir permet de reconnaître le « Je » comme une entité distincte des autres mais en même temps semblable aux autres. C’est précisément en passant par l’autre, par un mouvement de bascule, d’échange avec l’autre que l’homme se réalise comme corps (Lacan, 1953-1954).

C’est par le truchement de l’autre, que le désir est reconnu par le sujet. Sans la dimension du langage, le sujet s’aliène dans son image spéculaire qui n’est aussi que la forme de l’autre. Puis une rivalité et une concurrence avec autrui s’installent et elles engendrent une grande tension dont l’issue ne peut être que la disparition de l’autre en tant qu’il supporte le désir du sujet.

Le séminaire 1 de 1953-1954 ajoute la dimension du symbolique, c’est-à-dire que le désir du sujet est médiatisé par l’autre : « Chaque fois que, dans le domaine de l’autre, quelque chose apparaît qui permet à nouveau au sujet de re-projeter, de re- compléter, de nourrir, comme dit Freud quelque part, l’image de l’Idealich, chaque fois que se refait de façon analogique l’assomption jubilatoire du stade du miroir, […], et bien, le désir revient dans le sujet. Mais il revient verbalisé » (Lacan, 1953- 1954, p. 267).

Le développement psychique selon Aulagnier :

Aulagnier (1923-1990) est une importante figure de la psychanalyse italienne et française. Elle fut l’élève de Lacan et une héritière de son œuvre mais à la suite de désaccords, notamment sur la question de la formation des analystes, elle fonda le quatrième groupe avec Valagreba, Perrier et d’autres. Dans son ouvrage La violence de l’interprétation, elle développe une conception originale de la psyché et du développement psychique.