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4.2.1 Freud et l'alcool : une tâche aveugle dans la théorie ?

4.2.1.2 Correspondance Freud-Fliess :

Dans son Manuscrit H daté du 24 janvier 1895, Freud explore l’économie psychique de la paranoïa. Cette forme psychopathologique serait une manière pour le moi de se défendre contre une représentation inconciliable en projetant son contenu dans le monde extérieur. Et, il serait plus facile pour le sujet d'attribuer la cause de la modification interne à l'extérieur plutôt que d'en accuser la responsabilité. Dans ce contexte, le sujet dépendant à l’alcool fit son apparition : « L'alcoolique ne s'avouera jamais que c'est parce qu'il boit qu'il est devenu impuissant. Autant il supporte l'alcool, autant il ne supporte pas cette façon de voir. Donc c'est la femme la coupable » (Freud, 1895, p. 144).

L’alcool reconstituerait une puissance sur le fond d’une impuissance qu’il ne peut pas s’avouer. De quelle puissance s’agit-il ? S’agit-il de la toute-puissance

narcissique renvoyant à des enjeux prégénitaux ? S’agit-il d’une impuissance génitale renvoyant à des enjeux génitaux ? L’impuissance est-elle un symptôme névrotique au sens d’une compromission de la satisfaction de la pulsion par le principe de réalité ? L’alcoolique ne pourrait pas s’avouer son impuissance : s’agit-il ici d’une forclusion, d’un déni ou d’une dénégation ? De quelle femme s’agit-il ? La femme- mère ? L’imago maternelle ? Autant de questions qui restent pour le moment sans réponses.

En 1896, dans le manuscrit K, Freud donne ses lettres de noblesse à la théorie de la séduction. Il reprend les psychopathologies classiques à savoir l'hystérie, la névrose de contrainte et une forme de paranoïa pour les analyser à travers sa neurotica. Ces trois entités cliniques se produiraient selon deux conditions : la circonstance déclenchante doit être sexuelle et elle doit avoir eu lieu à l'époque précédant la maturité sexuelle.

Dans les névroses dites de refoulement, la maladie se déroulerait de la même façon : l'expérience vécue potentiellement traumatique doit être refoulée, puis une circonstance ultérieure réveille son souvenir ce qui entraîne l'apparition d’un ou de plusieurs symptômes primaires. Cependant, ce premier stade de défense ne permet pas l’éclosion d’une psychopathologie précise. Mais, ces représentations refoulées peuvent faire retour et rentrer en conflit avec le moi. Par conséquent, des symptômes potentiellement invalidants pour le sujet peuvent faire leur apparition.

Dans le cas de la névrose de contrainte, l’expérience sexuelle vécue dans un temps présexuel s’accompagne de plaisir. Plus tard, elle peut faire retour et engendrer ainsi la déliaison de déplaisir et un reproche conscient. Le souvenir et le reproche sont certes refoulés mais d’une manière imparfaite puisqu’il se forme dans la conscience une grande scrupulosité.

Précisément, ce conflit psychique s'organise comme suit : une représentation de contrainte se confronte au moi conscient mais il lui refuse sa croyance à l'aide d'une contre-représentation comme la scrupulosité. De plus, des symptômes secondaires peuvent surgir quand la contrainte se transfère sur des impulsions motrices dirigées contre la représentation de contrainte comme « le fait de ruminer les choses, de boire (dipsomanie), sur le cérémonial de protection, etc. (folie de doute) » (Freud, 1896, p. 213).

Dans une lettre datée du 11 janvier 1897, Freud prend le cas d'un de ses patients hystériques. Cet homme aurait conduit sa sœur à déclencher une « psychose hystérique » qui se serait terminée par « un état de complète confusion ». Freud en bon généalogiste retrouve la trace du séducteur de son patient. Rappelons que ces spéculations s’enracinent dans la théorie de la séduction : ce séducteur serait l’oncle de son patient, un « homme génial, pervers, dipsomane depuis l’âge de 50 ans ».

Voilà ce que Freud dit de cet homme : « Ces accès débutaient régulièrement soit par de la diarrhée soit par un rhume et de l'enrouement (système sexuel oral !) donc par la reproduction de ses propres expériences vécues passives. Or cet homme était, jusqu’à ce qu’il tombe lui-même malade, un pervers, et donc bien portant. La dipsomanie apparaît par renforcement, mieux, par substitution de cette impulsion à l’impulsion sexuelle qui lui est associée. (Même chose probablement pour la manie

du jeu chez le vieux F.) Arrivent alors les scènes entre ce séducteur et mon patient ; la petite sœur, qui a moins d’un an est impliquée dans certaines de ces scènes. Plus tard, le patient a des relations avec celle-ci et elle devient psychotique à la puberté. Tu peux voir comme la névrose s’intensifie pour devenir une psychose à la génération suivante, ce qu’on appelle dégénérescence, simplement du fait que c’est un âge plus tendre qui est sollicité » (Freud, 1897, p. 283).

Cette lettre de Freud montre bien qu’il est pris par les préoccupations de son temps. La théorie de la dégénérescence a acquis ses lettres de noblesse depuis la publication par Morel en 1857, de son traité sur cette question. Freud semble donc fidèle à cette théorie puisqu’il reprend l’idée selon laquelle la dipsomanie d’un parent a comme conséquence de dégénérer la lignée et d’engendrer ainsi l’apparition de la psychose de la sœur. La névrose du patient par l’intervention de l’oncle pervers générera une psychose à la génération suivante (par rapport à celle de l’oncle).

Freud développe dans la lettre du 22 décembre 1897 une idée importante : il associe la masturbation qu'il qualifie « d'addiction originaire » avec les autres addictions puisqu’elle s’y substitue.