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Ferenczi, l’alcoolisme comme conséquence :

Nous pourrions reprocher à Freud, comme à Abraham de ne pas avoir consacré une véritable étude clinique sur la dépendance à l’alcool. Les notations métapsychologiques de Freud sont fragmentaires et les remarques d’Abraham semblent spéculatives.

Ferenczi publie en 1911 un texte fondamental, Le rôle de l’homosexualité dans la paranoïa. Il étudie le cas d’un homme de 38 ans qui est marié à sa gouvernante. Ce travailleur de bureau se comporte auprès de Ferenczi comme un ouvrier zélé, un serviteur dévoué et un employé de bureau docile. Il met donc un point d’honneur à satisfaire le psychanalyste. Mais un jour, sa gouvernante vient lui raconter la violence de son mari à son égard. Il la néglige, la dispute et l’insulte sans cesse et sans raison. De plus, il la taxe d’être infidèle, elle coucherait avec tous les patients de Ferenczi. Le psychanalyste tente de mettre un frein à ces violences et de ramener la paix dans ce ménage. Mais, après quelques semaines, l’incident se répète et une fois encore, l’analyste intervient pour apaiser cette relation.

Ferenczi n’a pas de doute sur le diagnostic de cet homme : « paranoïa alcoolique ». Les incidents devenant de plus en plus violents et la place que joue Ferenczi dans son délire devenant de plus en plus importante, il décide de congédier ce couple. L’homme sombre alors dans une profonde mélancolie et il s’adonne complètement à la boisson. Il insulte, bat sa femme et il menace de poignarder le psychanalyste.

Ferenczi s’emploie alors à comprendre la genèse d’une telle jalousie dirigée envers sa propre femme : « L’alcool, qu’à bon droit on peut appeler poison de la censure intellectuelle et morale, a dépouillé de sa sublimation en grande partie (mais non totalement) son homosexualité sublimée en cordialité, serviabilité et soumission, et il attribuait tout simplement à sa femme l’érotisme homosexuel ainsi mis au jour et qui était incompatible avec la conscience de cet homme par ailleurs d’une haute moralité. Le rôle de l’alcool, à mon avis, ne consistait ici que dans la destruction de la sublimation, entraînant la mise en évidence de la véritable structure sexuelle psychique de l’individu, à savoir, un choix d’objet du même sexe » (Ferenczi, 1911, p. 46).

L’alcool n’est pas la cause profonde de la maladie de cet homme. Il n’est qu’un agent nécessaire à l’économie psychique de ce sujet. En effet, un conflit psychique animait ce patient et il se jouait entre ses désirs hétérosexuels conscients et ses désirs homosexuels inconscients. Mais l’alcool supprime les sublimations et il ramène à la surface cette homosexualité latente. Ce penchant étant inconciliable avec ce qui est admissible par le conscient, il va être projeté sur la personne de son épouse. Ce n’est pas lui qui aime Ferenczi, c’est sa femme qui l’aime et qui couche avec tous ses patients.

Dans une note, l’auteur évoque « l’agitation partisane des antialcooliques » qui s’évertuent à lutter contre l’alcoolisme en considérant que l’alcool soit la cause des névroses et non pas une conséquence des névroses. Comme Freud l’écrivit un jour à

propos de la masturbation, il faut d’abord découvrir et neutraliser les causes qui poussent le sujet à fuir dans la drogue. Par ailleurs, retirer à l’alcoolique son objet d’addiction ne solutionne pas le problème de fond puisque le psychisme trouvera toujours « d’innombrables voies pour fuir dans la maladie ».

Plusieurs points importants se dégagent de cette observation :

- Les passages à l’acte violents qui se caractérisent dans cette observation par des violences contre l’épouse de l’alcoolique sont fréquents dans la clinique de l’alcoolodépendance.

- L’épouse « victime » des heurts avec son mari vient se plaindre à l’analyste et elle lui raconte tout sauf ce qu’elle lui cache. Son attitude à son égard semble ambiguë.

- Le contre-transfert de Ferenczi apparaît dans cette observation à travers quelques propos : « Bel homme », « plus que sa femme », « attitude paternelle » et le cadeau d’une pipe.

- L’épouse avouait à Ferenczi l’alternance chez cet homme entre une période d’alcoolisme-mariage et une période d’abstinence-célibat.

- L’apparente normalité de cet homme (trop-normal ?) lorsqu’il n’a pas bu et la violence saisissante lorsqu’il consomme de l’alcool.

- La vie quotidienne du buveur qui se caractérise par son caractère cyclique et par la répétition du geste de boire.

Tout clinicien travaillant avec des sujets dépendants à l’alcool peut retrouver ces caractéristiques particulières mais elles pourraient être interprétées autrement que comme se référant à un délire de jalousie alcoolique.

Ferenczi en 1912, publie un autre texte sur la dépendance à l’alcool qu’il intitulait L’alcool et les névroses. Cet article répond aux critiques du docteur Bleuler, professeur à l’université de Zürich. Sans expliciter en détail les critiques du psychiatre, notons qu’il reprochait au psychanalyste d’émettre sur l’alcoolisme des opinions qui pourraient nuire au mouvement antialcoolique et qui pourraient favoriser les intérêts des producteurs d’alcool.

Dans ce contexte, l’auteur rappelle certaines données cliniques importantes issues d’une expérience de nombreuses années.

Il rappelle premièrement que l’intolérance à l’alcool n’est pas dépourvue d’éléments psychogènes et peut être même d’origine psychogène. Notons que ce n’est pas la dépendance à l’alcool qui est psychogène mais la tolérance du sujet au produit. Ferenczi suppose qu’une petite goutte d’alcool, voire la vue d’un verre d’alcool ou d’une bouteille, pourrait tout à fait déclencher les symptômes caractéristiques de l’ivresse, c’est-à-dire que le sujet s’abandonnerait à ses fantasmes agressifs ou interdits refoulés à l’état normal. De plus, cette libération des fantasmes produirait une amélioration de son état névrotique.

L’ébriété sans alcool produirait les mêmes effets qu’une absorption réelle d’alcool à tel point qu’il explique que les symptômes d’ébriété ne sont pas déterminés uniquement par la substance éthylique. Et la cause de ces symptômes ne peut être

recherchée, selon l’auteur, que du côté psychogénétique, c’est-à-dire au niveau des désirs profonds qui appellent la satisfaction. Le psychanalyste se propose dans cet écrit d’envisager l’alcoolisme chez un sujet comme une conséquence de la névrose et pas comme une cause puisque l’alcool permettrait aux sujets névrosés et intolérants de s’autoguérir inconsciemment : ils l’emploieraient consciemment et avec succès comme un médicament.