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Question et méthode de recherche En quête de l’influence supposée

8.4 Stratégie finale : trois praticiens filmés et interrogés

Pour saisir l’habitus, nous sommes donc partie des habitudes. Et pour observer ces habitudes, nous sommes entrée dans les classes et, autant que possible, dans le for intérieur des enseignants. Pour cela, nous avons combiné deux méthodes qualitatives et complémentaires d’analyse des pratiques (Blanchard-Laville & Fablet, 1996 ; Marcel, Orly, Rothier-Bautzer &

Sonntag, 2002) : l’une plutôt conçue pour observer la face visible des usages (prises de position), l’autre pour accéder à leur face invisible (les dispositions).

8.4.1 Filmer la face visible : les interactions en classe

Pour saisir le visible, nous avons filmé, durant l’année scolaire 2009-2010, toutes les activités d’enseignement de la préhistoire conduites par trois enseignants genevois du 6e degré primaire (élèves de 9-10 ans). Nous inscrivant résolument dans une volonté descriptive, nous avons voulu observer et comprendre ce qui se jouait du point de vue des savoirs au sein des interactions pédagogiques d’enseignement de la préhistoire (Blanchet, 1987 ; Leutenegger &

Sadaa-Robert, 2002 ; Schurmans, 2006 ; Vincent, 2014a, b). En d’autres termes, nous nous sommes concentrée sur les pratiques d’enseignement de la préhistoire tels qu’elles se donnaient à voir dans l’ordinaire du travail scolaire, dans un but de catégorisation ultérieure de leurs régularités et variations (Maulini et al., 2012 ; Maulini, 2016b ; Glaser & Strauss, 1967/2010).

Comment chaque enseignant donne-t-il forme aux savoirs scolaires sur la préhistoire à travers sa manière de les montrer, de les dire, de les écrire, de les dessiner, de les questionner et de répondre aux questions ? Comment utilise-t-il (ou pas) le document pédagogique officiel Préhistoire ? Quelles autres sources exploite-t-il ? Puise-t-il dans la littérature, le cinéma ou les documents de vulgarisation scientifique ? Quels savoirs paléontologiques et/ou paléoanthropologiques sont finalement enseignés ? Des savoirs d’autres disciplines et/ou origines sociales sont-ils formulés ? Dans quel usage, plutôt opératoire et/ou discursif ? Ce premier ensemble de questions fut destiné à localiser des singularités (variations et régularités) dans les pratiques d’enseignement de la préhistoire et à en induire des catégories susceptibles de révéler le rapport au savoir des enseignants observés. Aussi avons-nous orienté notre caméra vers l’enseignant et ce qu’il faisait ou disait, en interaction ou pas avec les élèves. Nous avons moins suivi ce que faisaient les élèves, bien que leurs réactions apparaissent le plus souvent dans les données recueillies.

En nous inspirant de Bourdieu (1980), nous cherchions à identifier comment le sens pratique des enseignants les amenait à sélectionner certains savoirs, objets ou manières de mettre en activité les élèves : usages discursif vs opératoire du savoir ; production de connaissance par rupture vs continuité ; etc. (Maulini, 2016d). Pour accéder au rapport au savoir, nous avons choisi d’observer d’abord les pratiques réelles de traitement du savoir, à la différence de la majorité des approches qui ont étudié le rapport au savoir des enseignants à travers des entretiens semi-directifs et/ou d’auto-confrontation (Vincent & Carnus, 2015). En effet, nous

pensions que les données provenant d’entretiens ne pouvaient que restituer, voire reconstruire et relater la pratique, parfois la déformer : une telle démarche aurait placé les sujets dans une posture discursive et plutôt rationalisante, masquant précisément la part inconsciente de la pratique que nous cherchions à dévoiler.

Du seul fait qu’il est interrogé et s’interroge sur la raison et la raison d’être de sa pratique, il [le sujet] ne peut transmettre l’essentiel, à savoir que le propre de la pratique est qu’elle exclut cette question : ses propos ne livrent cette vérité première de l’expérience première que par omission, au travers des silences et des ellipses de l’évidence (Bourdieu, 1980, p. 152).

Autrement dit, nous avons d’abord choisi d’observer la face visible des schèmes qui, sous l’emprise de l’illusio, se montraient à l’état pratique en-deçà de toute explication. Ceci pour mieux remonter aux strates inconscientes de l’habitus, par le biais d’entretiens pré- et post-interventions.

Par cette démarche plutôt ethnographique, et bien que notre posture d’observatrice et de chercheuse ne soit jamais neutre (Bourdieu, 1986), nous avons tenté d’avoir accès aux pratiques ordinaires des trois enseignants observés, en les biaisant le moins possible par notre présence. Nous nous sommes postée au fond de la classe, près de la caméra, et ne sommes que très peu intervenue durant les séances (la plupart du temps à la demande de l’enseignant et de manière très ponctuelle).

Nous prenions des notes pendant les séances d’enseignement. Les films et nos notes permettaient de préparer les entretiens où, hormis celui qui a précédé le début des enseignements, nous confrontions l’enseignant avec des schémas pratiques observés de manière récurrente dans les images filmées. Les variations interpersonnelles (entre enseignants) et les régularités intrapersonnelles (chez chacun d’eux) se répondaient les unes les autres et permettaient de produire et d’affiner peu à peu la catégorisation.

8.4.2 Interroger la pratique : les entretiens de confrontation

Pour mieux saisir l’invisible, nous avons effectué trois entretiens semi-directifs pour chaque enseignant observé (Kaufmann, 1996). Le premier était le moins formel et s’est déroulé avant les enseignements. Il n’était pas forcément enregistré et nous y avons essentiellement pris des notes. Nous questionnions l’enseignant sur sa planification de l’enseignement de la préhistoire en termes d’objectifs, de documents pédagogiques et de déroulement des activités : par quel thème allait-il commencer, comment et pourquoi ? Quels savoirs paléontologiques voulait-il que les élèves maîtrisent à la fin de la période d’enseignement ? Enfin, nous interrogions l’enseignant sur son rapport à la préhistoire : ce qu’il en aimait, ce qu’il en savait et s’il avait des souvenirs de son enseignement, soit en tant qu’élève, soit en tant qu’enseignant.

Les deux autres entretiens étaient destinés à confronter l’enseignant avec la récurrence de certains de ses schémas pédagogiques. Nous avons effectué un entretien pendant la période d’enseignement et un autre à la fin ou même après. Par schémas pédagogiques récurrents, nous entendions l’insistance que l’enseignant mettait, en situation, sur tel ou tel savoir et sur telle ou telle manière de l’enseigner. Là encore, variations inter-sujets et régularités intra-sujet se complétaient naturellement.

Nous pourrions parler d’entretiens d’explicitation et/ou d’auto-confrontation (Mollo &

Falzon, 2004 ; Vermersch, 1994). Mais les investigations filmées constituant déjà le corpus de données majeur de notre recherche, nous avons choisi de ne pas alourdir le dispositif des entretiens en confrontant l’enseignant à sa pratique enregistrée. Nous avons plutôt opté pour une confrontation simple, médiatisée par les observations de la chercheuse. En parallèle de l’enregistrement vidéo, nous prenions des notes pendant les séances d’enseignement. Puis, hors séance, nous visionnions nous-mêmes les films pour identifier les répétitions de schémas pédagogiques. Nous pouvions alors construire un canevas d’entretien adapté à chaque informateur (voir un exemple en annexe 5).

D’une manière générale, le canevas d’entretien suivait le raisonnement de notre question de recherche, en partant des schémas pédagogiques observés pour remonter au rapport au savoir.

Il reposait sur deux grands axes qui constituaient déjà, d’une certaine manière, des débuts d’analyse de pratiques pédagogiques :

1. Les schémas pédagogiques, notamment ceux de type interrogation-réponse-feedback, et leur manière de formuler certains savoirs plutôt que d’autres, d’une certaine manière plutôt que d’une autre (entre textualisation et opérationnalisation, entre continuité et rupture). Nous confrontions également les enseignants aux types d’activités pédagogiques qu’ils choisissaient régulièrement (leçons ou projets, cours dialogué ou non, etc.) et à leurs modalités spatiales (organisation de la classe, lieux d’enseignement, etc.), matérielles (documents officiels, autres supports, images, etc.) et sociales (travaux de groupes, individuels, en collectif, etc.). Pour chaque schéma repéré en amont, nous questionnions l’enseignant sur ses raisons.

2. Le rapport à la thématique de la préhistoire et aux savoirs qu’elle regroupait. En particulier, nous cherchions à repérer l’évolution de ce rapport en cours d’enseignement de la préhistoire, par rapport à ce que chaque enseignant nous en avait dit lors du premier entretien. Nous interrogions ce rapport au savoir d’un point de vue conceptuel (connaissances stables ou pas, considérées comme vraies ou fausses, ayant telle ou telle valeur, etc.), philosophique et/ou religieux (théories problématiques, croyances, raisons, etc.), didactique et pédagogique (document pédagogique Préhistoire, contenus importants à enseigner, type de pédagogie valorisé, etc.).

Ce deuxième axe a évolué au cours de la récolte de données. Au début, nous nous inspirions passablement des travaux de Beillerot et al. (2000) et interrogions donc plutôt l’histoire personnelle de ces rapports au savoir. Mais notre recherche allant en s’affinant, nous avons de plus en plus axé nos questions sur les raisons, les ressorts des schémas de pratiques qui pouvaient ou non nous renvoyer à l’histoire de la personne (Lahire, 2001/2011).

En somme, les entretiens nous ont permis de récolter des données sur les soubassements des schèmes observés dans les pratiques réelles d’enseignement de la préhistoire, ceci afin de passer éventuellement des usages observables du savoir à un questionnement des quatre types de rapports au savoir identifiés au chapitre 5 (fonctionnel, opératoire, discursif, académique).

8.4.3 Jean, Alice, Toni : contexte de travail et rapport au savoir

Durant l’année 2009-2010, nous avons récolté la totalité des séances d’enseignement de la préhistoire chez trois enseignants primaires genevois. Le choix du nombre de trois personnes

peut s’expliquer. D’abord, le fait de nous engager sur l’analyse de pratiques pédagogiques filmées d’enseignants primaires en termes de savoirs formulés et de schémas de formulation, allait produire une grande quatité de données. De plus, pour déceler les prises de position dans leurs détails, nous projettions de retranscrire toutes les interactions de toutes les séances d’enseignement de chaque enseignant. Par ailleurs, il nous tenait à coeur d’entrer déjà dans l’analyse par la retranscription, de « baigner » dans le monde pédagogique de chacun. Ainsi, dans le temps qui nous était imparti pour la recheche doctorale, nous avons réduit le nombre d’enseignants à trois, voire quatre, afin de pouvoir tout de même comparer qualitativement les régularités et les variations dans les prises de position (Maulini, 2012, 2016c ; Maulini et al., 2012). Ensuite, observer l’enseignement de la préhistoire à l’école primaire à Genève, signifiait réduire le contexte d’investigation au seul degré +4 de la scolarité primaire, où la préhistoire était enseignée (Département de l’instruction publique, 2007, p. 4). Enfin, pour trouver des volontaires, nous avons d’abord prospecté chez les 15 enseignants dont nous avions exloré la pratique et le rapport au savoir (voir chapitre 7). Pas tous en 2009 n’avaient de classe du degré +4, et sur les deux enseignantes qui en avait une, une seule, Alice, par ailleurs amie et ancienne collègue de formation, s’est engagée avec nous. Il nous a fallu alors trouver au moins deux autres enseignants, finalement repérés parmi nos connaissances, l’un, Jean, également ancien collègue de formation et Toni, ancien maître de stage pendant notre formation pédagogique. Ces trois enseignants avaient des profils et travaillaient dans des lieux sociologiquement contrastés : deux hommes et une femme, soit un maître chevronné (Toni) et deux plus jeunes (Alice et Jean), travaillant dans une école de milieu favorisé et deux écoles de milieu populaire. Ces variables et quelques autres sont résumées dans le tableau qui suit.

Tableau 8a – Trois profils contrastés enseignant exerçait ; ensuite le contexte aménagé, celui que cet enseignant créait en fonction

de son histoire et de son habitus. Nous étudiions le second, mais il était clair que le contexte de travail pouvait peser sur les marges de liberté des enseignants.

Toni et Alice enseignaient par exemple dans des milieux socio-économiques défavorisés : leurs établissements respectifs étaient inscrits dans le Réseau d’enseignement prioritaire à Genève. Le but de ce réseau est de favoriser l’égalité des chances en matière de réussite scolaire dans les quartiers sociologiquement et économiquement défavorisés. Il offre des prestations spécifiques aux écoles qui en font partie, selon une triple logique : une baisse des effectifs par classe, la présence d’un éducateur par établissement et la nomination d’une direction d’établissement (Richard, 2008). Les enseignants engagés dans ce réseau doivent donc a priori adopter une posture particulièrement soucieuse de l’accès aux savoirs des élèves, sans s’abriter derrière leur origine culturelle, sociale ou économique. Cela ne signifie pas que Jean n’avait pas ces préoccupations, mais plutôt qu’il travaillait dans un contexte où les obstacles à l’apprentissage étaient peut-être moins importants.

Du point de vue du rapport au savoir, l’enjeu pouvait être double pour Toni ou Alice. D’une part, ils pouvaient être confrontés à des rapports au savoir d’élèves souvent éloignés de la culture scolaire, qui en voyaient peu le sens d’un point de vue identitaire, cognitif et épistémique (Bernardin, 1997/2002). Peut-être devaient-ils dès lors fournir un effort particulièrement important en termes de gestion des apprentissages et de différenciation.

D’autre part, la confrontation constante des enseignants de ce réseau avec ce type de rapport au savoir dominant chez les élèves était susceptible d’induire chez eux, et en retour, un certain type d’attitudes, certaines manières de valoriseret/ou de contourner les connaissances à connotation académiques (Rochex, 1998), ainsi qu’une production de certains savoirs plutôt que d’autres. Autrement dit, nous pouvions émettre l’hypothèse que Toni et Alice allaient présenter un certain type de rapport à certains savoirs, compte tenu du contexte en Réseau d’enseignement prioritaire dans lequel ils enseignaient (Vincent, 2012b). Mais la singularité des cas devait aussi nous inciter à la prudence : en amont des analyses, rien ne nous disait que Toni et Alice allaient partager un seul et même rapport au savoir, ni qu’ils se différencieraient d’ailleurs de Jean en ces termes.

L’analyse reprendra certaines informations de ce tableau, notamment celles concernant l’organisation spatiale des pupitres et les postures de l’enseignant face à la classe, la question de l’influence de l’expérience (personnelle et professionnelle) de chacun sur son rapport au savoir (et donc dans sa pratique pédagogique) et la différence dans le nombre de séances d’enseignement données.

8.4.4 Traitement des données

Pour les trois enseignants, nous avons récolté une totalité de 35 heures d’enseignement de la préhistoire et 9 entretiens d’une durée de 90 minutes environ chacun.

Toutes les données filmiques ont été numérisées par nos soins en format mp4, pratique pour transcrire dans les détails les séances. Pour chaque enseignant, nous avons mis par écrit la moitié du total de séances d’enseignement données (en tout 20 heures sur 35). Comme nous l’avons dit, notre but initial était de retranscrire toutes les séances de chaque enseignant.

Cependant, d’une part le temps imparti pour notre recherche ne nous a pas permis de tout transcrire. D’autre part et surtout, le fait d’avoir mis par écrit la moitié de la totalité de

construire une grille d’analyse systématique des savoirs formulés et des schémas de formulation, analyse qui pouvait donc se passer de la transcription mot à mot des autres séances. Ainsi, pour chaque enseignant avons-nous étudié toutes les séances, mais la moitié des analyses s’est effectuée à partir de transcriptions et l’autre directement à partir des vidéos.

Nous entendions par séance d’enseignement, l’idée d’une leçon entière d’enseignement de la préhistoire. Chacune d’elle durait entre 70 et 80 minutes. Etant donné que les curricula laissaient libre chaque enseignant, non seulement d’enseigner la préhistoire en alternance avec la géographie et les sciences de la nature, mais aussi de choisir la période où elle serait abordée, nous avons récolté les données filmées pour chacun d’eux à différents moments de l’année. Ce fut d’abord le tour d’Alice (automne 2009), puis de Toni (hiver 2009-2010) et de Jean (printemps 2010).

Nous avons retranscrit toutes les interactions verbales entre les élèves et l’enseignant, indiqué ses gestes, postures corporelles et déplacements majeurs, ainsi que les documents et supports utilisés. En réalité, rien que par le choix de transcrire tel ou tel aspect des films, nous commencions déjà à effectuer des premiers essais d’analyse, notamment avec une grille de lecture évolutive des données (voir un exemple en annexe 6).

L’entierté des entretiens de confrontation de chacun des enseignants a en outre été enregistrée sous format audio mp3 avant d’être retranscrite.

8.4.5 Analyser les pratiques enseignantes : une approche inductive

Nous l’avons déjà dit : des approches s’inscrivant plutôt en didactique des disciplines étudient généralement des pratiques dans une discipline particulière du plan d’étude, pour en déduire les logiques et les difficultés, et ainsi produire une analyse critique des enjeux réunissant l’enseignant, l’élève et le savoir (Brousseau, 1986 ; Chevallard, 1991 ; Schubauer-Leoni, 2008). « C’est la focalisation sur les contenus et sur leurs relations à l’enseignement et aux apprentissages qui spécifient les didactiques » (Reuter et al., 2013, p. 65). La plupart du temps, des liens sont ensuite établis entre les résultats de ces recherches et la formation des enseignants, en termes de préconisations de pratiques censées avoir des effets (ou de meilleurs effets) sur les apprentissages des élèves. Cette posture est en tension avec une autre, qui s’intéresse plutôt à la didactique réellement pratiquée : citons par exemple l’approche d’Audigier (1998, 2000) et d’Audigier et Tutiaux-Guillon (2004) dans le domaine de l’enseignement de l’histoire, de la géographie et de la citoyenneté, ou encore celle de Schneuwly & Thévenaz-Christen (2006) qui analysent les objets enseignés dans l’enseignement du français. Quoi qu’il en soit, l’intérêt commun de l’ensemble de ces courants est de placer le savoir au centre de leurs préoccupations, quitte à adopter une posture critique sur les manières de faire observées et a en préconiser de plus efficaces.

Mais dans le champ des sciences de l’éducation, le souci de soutenir voire d’améliorer les pratiques peut aussi utiliser des détours. L’entrée par l’étude des schèmes des enseignants permet par exemple de transcender la vision d’une pratique comme application directe des normes et des gestes pédagogiques et/ou didactiques codifiés, et de la considérer dans sa complexité et ses potentialités créatives en relation avec son contexte. Elle amène également, et par exemple, à décrire et à analyser les « gestes professionnels » (Alexandre, 2010 ; Clot, 1999 ; Jorro, 2002), c’est-à-dire ce qui fait le style pédagogique d’un enseignant par rapport à un autre, et qui le distingue des gestes globalement codifiés et attendus du métier.

D’un point de vue épistémologique, chercher à analyser les pratiques enseignantes, c’est chercher à en rendre raison, à les conceptualiser et à en identifier les principes. Cette quête est utile, dans le sens où elle permet de mieux comprendre – du moins en partie – les logiques influençant non seulement les pratiques enseignantes mais, en fin de compte, les apprentissages des élèves. Cette démarche s’inscrit dans un contexte épistémologique bien plus vaste, qui donne un rôle central au concept d’habitus, non seulement en matière de socialisation des groupes et des individus, mais également de production de leurs pensées et de leurs actions.

Les travaux de Garcia-Debanc et Sanz-Lecina (2008) à propos des schèmes professionnels des enseignants affirment cette volonté de mise à plat des invariants pratiques sans prétendre les normer in fine. Ces chercheuses étudient les pratiques lors de l’enseignement de la grammaire, afin de déterminer chez les enseignants « les modèles disciplinaires en actes » et certains « schèmes professionnels » (p. 151). En s’appuyant notamment sur les approches de Goigoux et Vergnaud (2005), elles étudient les choix opérés par les enseignants, particulièrement dans la gestion des imprévus, selon différentes contraintes et inspirations :

« les programmes d’enseignement, les connaissances qu’ils ont des notions à enseigner, le matériel d’enseignement à leur disposition, mais aussi sur les prescriptions secondaires diffusées par les institutions de formation, les habitudes disciplinaires, la culture d’établissement, des routines professionnelles ou leur propres souvenirs d’élèves » (op.cit., p. 152). À partir de cette analyse, elles identifient les décalages et les contradictions entre les pratiques pédagogiques et les modèles disciplinaires de référence, ce qui leur permet d’expliquer les écarts entre le prescrit et le réel. Elles établissent des catégories de « schèmes professionnels », non pour en déduire une bonne pratique, mais pour favoriser une réflexion

« les programmes d’enseignement, les connaissances qu’ils ont des notions à enseigner, le matériel d’enseignement à leur disposition, mais aussi sur les prescriptions secondaires diffusées par les institutions de formation, les habitudes disciplinaires, la culture d’établissement, des routines professionnelles ou leur propres souvenirs d’élèves » (op.cit., p. 152). À partir de cette analyse, elles identifient les décalages et les contradictions entre les pratiques pédagogiques et les modèles disciplinaires de référence, ce qui leur permet d’expliquer les écarts entre le prescrit et le réel. Elles établissent des catégories de « schèmes professionnels », non pour en déduire une bonne pratique, mais pour favoriser une réflexion