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Il peut paraître paradoxal que les pratiques puissent être à la fois automatisées (donc plus ou moins inconscientes) mais également improvisées (et volontairement renouvelées). En effet, comment expliquer, chez un même enseignant, l’opposition entre les moments où il semble répéter des gestes assez codifiés et ceux où il prend une direction inédite, où il produit de manière subjective une manière singulière, voire nouvelle de procéder ?

Sans prétendre ici présenter toutes les réponses, notamment philosophiques, à cette vieille et difficile question (Renaut, 2006), nous pouvons partir du principe que les pratiques pédagogiques sont gouvernées par une rationalité qui met chaque praticien en rapport avec l’histoire, la culture, la science, la noosphère et la société. Deux logiques peuvent être identifiées dans ce rapport. D’un côté, celle qui entraînerait l’enseignant à faire preuve d’une rationalité de type mécanique et applicationniste : pour agir, il s’appuiera alors et essentiellement sur des programmes et des théories pédagogiques à réaliser plus ou moins tels quels. D’un autre côté, une logique de rationalité limitée qui pousserait le professionnel à exploiter au mieux ses marges de liberté (Crozier & Friedberg, 1977) : en fonction des situations qu’il rencontre et de son expérience passée, le praticien agira plutôt en faisant confiance à ses connaissances, y compris celles qui le convainquent du fait qu’il n’est pas omniscient, et qu’il doit prendre sur lui de s’engager dans son travail sans le contrôler entièrement.

En médecine ou en soins infirmiers, la science est une base légitime sur laquelle les praticiens doivent se fonder pour agir. Pour les enseignants, Claparède voulait que la doxa scientifique guide les futurs enseignants et leur pédagogie. Ce modèle applicationniste, régit par l’idée que la (bonne) pratique enseignante doit être le résultat d’une théorie attestée, a pu dominer un temps dans les écoles normales et leurs classes dites « d’application » (Perrenoud, 2001a, p. 4). Elle peut paraître dépassée aujourd’hui, mais le fait que les formations d’enseignants tertiarisées aient voulu passer « d’une logique de l’expertise professionnelle à une logique de connaissance scientifique » (p. 4) montre que les deux courants continuent de coexister : d’un côté, les pratiques pédagogiques peuvent se voir rationnalisées du dehors (par la science et les prescriptions institutionnelles), de l’autre, elles peuvent revendiquer leur autonomie et leur

En somme, comme le disait Perrenoud (1996a), reprenant les propos de Morin (1977) : « la complexité est à la base ». Les pratiques pédagogiques évoluent face et à travers un monde complexe. Ces pratiques, à la fois répétitives et créatives, semblent être le fruit de principes et de mécanismes eux-mêmes complexes, plus ou moins conscients, plus ou moins rationnels, plus ou moins fonctionnels et/ou réfléchis. Pour rendre compte de ces tensions, nous pouvons postuler que les pratiques sont aujourd’hui - et plus que jamais - gouvernées par un habitus plus ou moins réflexif. Nous allons le montrer en revenant aux travaux fondateurs de Bourdieu (1972, 1980, 1994), ceux qui conceptualisent l’habitus comme noyau subjectif d’un sens pratique se déclinant en manières de faire à la fois régulières et variables, spontanées et stratégiques, conditionnées et improvisées. Nous enrichirons ce modèle en lui adjoignant l’approche de Dubet (1994) qui présente trois logiques au principe des pratiques sociales contemporaines : l’intégration, la stratégie et la subjectivation. Si l’habitus est censé intégrer fonctionnellement ces logiques, il ne doit pas non plus nous inciter à les confondre dans l’analyse.

2.3.1 L’habitus : au principe de la répétition et de la création

L’école est a priori le lieu du savoir et de la rationalité. On peut attendre des maîtres, sinon des élèves, qu’ils agissent de manière conforme à ces savoirs et à cette rationalité. Mais en réalité, les enseignants sont d’abord et eux aussi des praticiens : ils pratiquent le savoir et la science comme les serruriers pratiquent la mécanique ou les médecins pratiquent la chirurgie.

Ils le font sans planifier, raisonner et délibérer chacun de leurs gestes, mais en mettant en œuvre un sens pratique irréductible à l’application de procédures et de conclusions théoriques.

Pour Bourdieu, le sens pratique n’est pas un pis-aller. Il ferait plutôt le lien entre le comportement d’un agent (gouverné par autrui) et celui d’un sujet (orientant lui-même et efficacement son action). Les sujets humains sont ainsi et aussi des agents « dotés d’un sens pratique », c’est-à-dire équipés d’un système de schèmes de pensées et d’action qui leur permet de faire face aux situations de manière généralement fluide et plus ou moins réflexive.

Les « sujets » sont en réalité des agents agissants et connaissants dotés d’un sens pratique, […]

système acquis de préférences, de principes de vision et de division (ce que l’on appelle d’ordinaire un goût), de structures cognitives durables (qui sont pour l’essentiel le produit de l’incorporation de structures objectives) et de schèmes d’action qui orientent la perception de la situation et la réponse adaptée. L’habitus est cette sorte de sens pratique de ce qui est à faire dans une situation donnée – ce que l’on appelle, en sport, le sens du jeu, art d’anticiper l’avenir du jeu qui est inscrit en pointillé dans l’état présent du jeu (Bourdieu, 1994, p. 45).

Ainsi, le sujet est un agent doté d’un habitus, d’un sens pratique qui gouverne la façon dont il joue et se joue, de manière plus ou moins (in)consciente, des situations qu’il rencontre. Ce jeu est le résultat d’une expérience vécue en contexte et d’une ressaisie réflexive et intériorisée de cette expérience. L’expérience et la réflexivité sur cette expérience sont cruciales pour (sur)vivre dans les sociétés et les cultures contemporaines. C’est aussi par le jeu entre ces deux processus que l’habitus se construit, s’incorpore, s’intériorise, évolue. Il est le produit de l’expérience humaine en général, mais aussi celui de l’expérience subjective de chacun. De ce point de vue, l’habitus est un concept central pour les théories de la socialisation (Lahire, 2006).

Produit de l’histoire, l’habitus produit des pratiques individuelles et collectives, donc de l’histoire, conformément aux schèmes engendrés par l’histoire ; il assure la présence active des expériences

passées qui, déposées en chaque organisme sous la forme de schèmes de perception, de pensée et d’action, tendent, plus sûrement que toutes les règles formelles et toutes les normes explicites, à garantir la conformité des pratiques et leur constance à travers le temps (Bourdieu, 1980, p. 91).

Plusieurs aspects caractérisent cette définition. D’abord, l’habitus est à la fois le fruit de l’histoire humaine et celui de l’histoire personnelle de chaque agent. Il est ainsi au principe des « pratiques individuelles et collectives » : il est à la fois structurant pour elles et structuré par elles. Ensuite, il est vivant et actif, car « il assure la présence active des expériences passées [...] déposées en chaque organisme sous la forme de schèmes de perception, de pensée et d’action » : il est donc continuellement mobilisé durant la vie des gens. Enfin, il permet d’assurer la permanence des pratiques à travers le temps. On peut le définir finalement comme « un système de dispositions durables et transposables qui, intégrant toutes les expériences passées, fonctionne à chaque moment comme une matrice de perceptions, d’appréciations et d’actions et rend possible l’accomplissement de tâches infiniment différenciées, grâce aux transferts analogiques de schèmes permettant de résoudre les problèmes de même forme » (Bourdieu, 1972, cité par Perrenoud, 1994b, pp. 26-27).

Bien que Bourdieu s’en soit défendu, le concept d’habitus fondant sa théorie de la reproduction sociale par l’école et sa critique des pédagogies et des modes discriminatoires de sélection scolaire (Bourdieu & Passeron, 1970), a fait et fait toujours l’objet de critiques (Prost, 1970 ; Snyders, 1976). Ces reproches attribuent principalement au sociologue une posture trop déterministe à propos d’un habitus vu essentiellement comme un artefact rigide, engendrant une reproduction mécanique des pratiques et des positions dans l’espace social, sans prise en compte des possibilités de variations subjectives inhérentes aux individus. En effet et a priori, pour Bourdieu (1980), l’habitus est le sens pratique des agents, le sens du jeu, la capacité de sentir inconsciemment comment il faut agir dans des situations. Il conduit ceux qu’il appelle des « sujets » entre guillemets, à percevoir, apprécier et agir de manière plus ou moins pragmatique, répétée et « quasi naturelle » dans des situations semblables.

Produits par la pratique des générations successives, dans un type déterminé de conditions d’existence, ces schèmes de perception, d’appréciation et d’action qui sont acquis par la pratique et mis en œuvre à l’état pratique sans accéder à la représentation explicite fonctionnent comme des opérateurs pratiques à travers lesquels les structures objectives dont ils sont le produit tendent à se reproduire dans les pratiques (p. 159).

Nous venons cependant de voir, notamment grâce aux approches de Perrenoud (1994b, 1996c, 1996e), que l’influence de l’habitus sur les destins peut se nuancer et se comprendre aussi comme possibilité de création, de liberté et donc de variabilité dans les pratiques. La figure de l’enseignant stratège, par exemple, ne s’oppose pas d’un bloc à l’agent de l’État supposé neutre, loyal et obéissant.

L’habitus ne fonctionne pas contre la stratégie, le scénario, les règles de conduite dont dispose le maître. Il en tient compte au même titre que des autres éléments de la situation, cherchant à marier le tout. [...] L’habitus est justement cet espèce d’ordinateur qui, fonctionnant en temps réel, transforme ces données en une action plus ou moins efficace, plus ou moins réversible (Perrenoud, 1994b, p.27).

On peut a priori voir dans un concept qui garantirait « la conformité des pratiques et leur constance à travers le temps », une idée de reproduction de celles-ci. Mais on peut également juger que l’habitus permet au sujet d’agir et de réagir dans des situations habituelles, en faisant l’économie d’une réflexivité ou du moins d’une adaptation trop calculée à la situation.

Pour fonctionner, l’habitus a besoin de ressources automatiques et inconscientes pour

dire que le sujet agit dans les situations de manière dangereuse ou insensée, mais au contraire qu’il le fait adroitement et intelligemment, au moyen d’une intelligence incorporée directement pertinente, sans passage permanent, coûteux et parfois justement dangereux par la délibération (Wacquant, 2010).

L’habitus ne produit pas automatiquement des pratiques efficaces et intelligentes Il permet au sujet de mobiliser ses schèmes pour faire face – comme il le peut – aux situations. Dans cette optique, l’habitus peut ne pas être considéré seulement dans ses dimensions déterministes, mais au contraire comme un principe flexible permettant une adaptation subjective, pragmatique et permanente aux situations, générant donc des pratiques qui peuvent se ressembler ou non, varier ou non, selon les nécessités du contexte et du moment.

Échappant à l’alternative des forces inscrites dans l’état antérieur du système, à l’extérieur des corps, et des forces intérieures, motivations surgies, dans l’instant, de la décision libre, les dispositions intérieures, intériorisation de l’extériorité, permettent aux forces extérieures de s’exercer selon la logique spécifique des organismes dans lesquelles elles sont incorporées, c’est-à-dire durable, systématique et non mécanique : système acquis de schèmes générateurs, l’habitus rend possible la production libre de toutes les pensées, toutes les perceptions et toutes les actions inscrites dans les limites inhérentes aux conditions particulières de sa production, et de celles-là seulement (Bourdieu, 1980, p. 92).

Dans ce développement, on comprend que l’habitus – dans les « limites inhérentes aux conditions particulières de sa production » – permet de mobiliser les mêmes dans des situations habituelles, mais également de produire librement des pratiques nouvelles (pensées, actions et perceptions), selon les conditions extérieures. C’est ce que montre aussi Perrenoud (1994b, 1996e) lorsqu’il décrit les manifestations de l’habitus dans la gestion des situations habituelles et/ou dans le bricolage ou l’improvisation réglée des pratiques pédagogiques vis-à-vis d’une situation qui demande des stratégies différentes. C’est aussi le cas d’un développement d’Hilgers (2006), qui remet passablement en question le procès déterministe fait à l’habitus.

L’habitus est un système de dispositions durables et transposables. L’analogie de l’expérience facilite à la fois le recours à des schèmes identiques pour des situations différentes et la capacité d’improvisation des agents, l’adaptation improvisée ou non, à de nouveaux contextes. (p. 4)

Ainsi et d’une manière générale, l’habitus peut-il être vu comme un générateur des pratiques, tant répétées que nouvelles, en fonction de la situation dans laquelle est plongé le sujet. Il échappe largement à la conscience – lorsqu’il est en action – au profit d’une économie pratique et d’une réponse fonctionnelle aux conditions présentes de la situation. La permanence et la stabilité de cette structure permettent au sujet d’improviser de nouvelles pratiques lorsque les nécessités de la situation l’exigent. Au fil de l’expérience, donc des situations vécues, ce système de se ramifie ou s’adapte, laissant de côté certains schèmes inutiles pour en adopter d’autres, découverts et mobilisés lors d’expériences nouvelles.

L’habitus est à la fois stable et évolutif, générant des pratiques variées d’un sujet à l’autre, quand bien même les personnes seraient inscrites et auraient évolué dans la même société.

Ainsi, l’habitus est-il un concept fondamental pour les théories de l’action et des dispositions préfigurant cette action (Lahire, 2006, 2001/2011).

Lahire (ibid.) propose carrément de relativiser l’idée d’unicité de l’habitus, et particulièrement celle des conditions sociales vécues par le sujet. En effet, si l’on suit la théorie de Bourdieu jusqu’au bout, pour que le système de schèmes que constitue l’habitus soit transposable d’une situation à une autre, il faut que les conditions sociales vécues par chaque individu soient aussi homogènes et similaires. Or, les sujets contemporains semblent

plutôt vivre et construire leurs expériences dans des situations de plus en plus variées et souvent même contradictoires. Selon Lahire, ce phénomène diffère de celui observé initialement par Bourdieu (dans la société kabyle des années ’60) et présentant une organisation sociale coutumière, favorisant le vécu d’expériences et de situations relativement homogènes, donc la construction d’habitus potentiellement ressemblants d’un agent à l’autre.

Lahire propose ainsi une réinterprétation de la théorie bourdieusienne, en considérant l’habitus comme un ensemble de schèmes structurés en une grammaire qui influence certes les pratiques, mais qui est mobilisée de différentes manières selon des « déclencheurs » présents dans les situations, comme si l’on puisait dans un stock de conduites organisées.

Un acteur pluriel est donc le produit de l’expérience – souvent précoce – de socialisation dans des contextes sociaux multiples et hétérogènes. Il a participé successivement au cours de sa trajectoire ou simultanément au cours d’une même période de temps à des univers sociaux variés en y occupant des positions différentes. On pourrait par conséquent émettre l’hypothèse de l’incorporation par chaque acteur d’une multiplicité de schèmes d’action [...], d’habitudes [...], qui s’organisent en autant de répertoires que de contextes sociaux pertinents qu’il apprend à distinguer – et souvent à nommer – à travers l’ensemble de ses expériences socialisatrices antérieures. [...]

Pour filer jusqu’au bout la métaphore du stock, on pourrait dire que celui-ci est composé de produits (les schèmes d’action) qui ne sont pas tous nécessaires à tout moment et dans tout contexte. Ces produits (de la socialisation) sont souvent à usages différés, mis temporairement ou durablement en réserve, et attendent donc les déclencheurs de leur mobilisation (Lahire, 2001/2011, pp. 60-62).

L’auteur montre ici que l’habitus est organisé en une multiplicité de répertoires que l’acteur mobilise selon les situations plurielles contemporaines. Il n’est plus question « d’agent », mais « d’acteur » et même « d’acteur pluriel ». Le passage d’un substantif à l’autre n’est pas anodin. Dans les sociétés modernes et démocratiques, le concept d’acteur ou celui de sujet permettent d’envisager plus clairement la marge de manœuvre des individus observés et leurs objectifs d’individuation (Touraine, 1995 ; Touraine & Khosrokhavar, 2000). « L’agent » de Bourdieu renvoie à l’idée d’une personne gouvernée par le haut, par des normes et des contraintes qui le rendent plus objet que sujet. Parce que les sociétés sont passées de systèmes communautaristes (où l’individu, sa liberté et sa volonté n’avaient que peu de place sous le joug de normes et contraintes communes et rigides) à des sociétés de marché et d’affirmation de soi (où domine la consommation matérielle et symbolique), l’agent « est passé à l’acte » si l’on peut dire, en devenant de plus en plus acteur au sein des organisations et des systèmes (Crozier & Friedberg, 1977), c’est-à-dire plus libre vis-à-vis des contraintes et des normes de la société dans laquelle il s’inscrit. Cet acteur peut même penser et revendiquer ses préférences personnelles, ce qui en fait le « sujet » réflexif que l’école se donne à former et que nous choisissons pour notre part de considérer comme un idéaltype englobant l’acteur et l’agent dont il exprime le dépassement, mais pas la négation. Nous avons ainsi vu que les buts de la socialisation moderne sont plutôt d’amener l’individu à combiner des contraintes, des pratiques et des normes avec ses désirs et ses projets personnels. Aussi, les enseignants et les élèves dont il s’agit dans ce travail sont-ils à considérer comme des sujets potentiels, parce qu’ils jouent un rôle défini socialement, mais en développant des pratiques et des pensées dans un rapport plus ou moins réflexif et critique à leur environnement.

2.3.2 Trois logiques, un sujet

Comme nous l’avons vu, la complexité est aujourd’hui à la base du rapport des sujets avec les systèmes sociaux dans lesquels ils évoluent. Cette évolution impacte les sciences humaines

entre les individus et les collectivités. Dans ce contexte, Dubet (1994) propose de considérer chaque expérience sociale au croisement de trois logiques d’action : (1) l’intégration ; (2) la stratégie ; (3) la subjectivation. Selon l’auteur, ces trois logiques correspondent à trois grands types de systèmes qui peuvent s’autonomiser dans les sociétés d’aujourd’hui, alors qu’ils étaient autrefois intimement imbriqués : (1) la communauté ; (2) l’économie ; (3) la culture.

Chaque acteur, individuel ou collectif adopte nécessairement ces trois registres de l’action qui définissent simultanément une orientation visée par l’acteur et une manière de concevoir les relations aux autres. Ainsi, dans la logique de l’intégration, l’acteur se définit par ses appartenances, vise à les maintenir ou les renforcer au sein d’une société considérée alors comme un système d’intégration. Dans la logique de la stratégie, l’acteur essaie de réaliser la conception qu’il se fait de ses intérêts dans une société conçue alors “comme” un marché. Dans le registre de la subjectivation sociale, l’acteur se représente comme un sujet critique confronté à une société définie comme système de production et de domination (p. 111).

Lorsque nous nous intégrons, nous sommes agents. Lorsque nous calculons, nous sommes acteurs. Et lorsque nous réfléchissons au peu que nous jouons, nous devenon sujets plus ou moins en surplomb de notre situation. Ce que Bourdieu englobe, Dubet le hierarchise, en nous incitant à considérer le sujet, non comme une fiction, mais comme une aspiration à laquelle les sciences humaines elles-mêmes font de facto allégeance.

Si la logique de l’intégration vise à maintenir, renforcer ou changer les appartenances du sujet, elle procède d’une volonté plus ou moins inconsciente de maintenir son identité à l’intérieur d’une ou plusieurs communautés. Elle est d’une certaine manière une posture que le sujet adopte « sur la société, sur les autres et sur lui-même » (p. 118) et qui est inhérente à son passé et à l’histoire collective de la société dans laquelle il s’inscrit. En fait, il s’agirait d’une logique collectiviste de socialisation, telle que Bourdieu l’a développée avec le concept d’habitus.

L’« inconscient » [...] n’est jamais que l’oubli de l’histoire que l’histoire elle-même produit en réalisant les structures objectives qu’elle engendre dans ces quasi-natures que sont les habitus.

Histoire incorporée, faite nature, et par là oubliée en tant que telle, l’habitus est la présence agissante de tout le passé dont il est le produit : partant, il est ce qui confère aux pratiques leur

Histoire incorporée, faite nature, et par là oubliée en tant que telle, l’habitus est la présence agissante de tout le passé dont il est le produit : partant, il est ce qui confère aux pratiques leur