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L'influence du rapport au savoir des enseignants sur leurs pratiques pédagogiques : le cas de l'enseignement de la préhistoire à l'école primaire à Genève

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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Thesis

Reference

L'influence du rapport au savoir des enseignants sur leurs pratiques pédagogiques : le cas de l'enseignement de la préhistoire à l'école

primaire à Genève

VINCENT, Valérie

Abstract

La thèse porte sur l'influence du rapport au savoir des enseignants sur leurs pratiques pédagogiques. La transposition didactique de la préhistoire n'allant pas de soi, le cas de son enseignement est particulièrement étudié. Selon une focale dispositionnaliste, sociologique et anthropologique, nous étudions les pratiques pédagogiques ordinaires pour enseigner la préhistoire de trois enseignants primaires genevois. Par induction croisée des régularités et des variations par rapport au curriculum formel de la préhistoire, nous ciblons les savoirs formulés et les schémas, voire les schèmes de formulation de ces savoirs par les trois enseignants. L'enjeu est de cibler la variable de leur rapport au savoir comme système de dispositions et de prises de position ordinaires vis-à-vis du savoir, constituant une part de leur habitus et susceptible d'influencer leurs usages du savoir en classe. Les résultats montrent que le rapport au savoir des enseignants est à la fois de l'ordre de la valeur qu'ils accordent au savoir et du pouvoir de validité qu'il exerce sur eux. Le rapport au savoir des enseignants et [...]

VINCENT, Valérie. L'influence du rapport au savoir des enseignants sur leurs pratiques pédagogiques : le cas de l'enseignement de la préhistoire à l'école primaire à Genève. Thèse de doctorat : Univ. Genève, 2017, no. FPSE 657

DOI : 10.13097/archive-ouverte/unige:93921 URN : urn:nbn:ch:unige-939215

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:93921

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Section des sciences de l’éducation

Sous la direction d’Olivier MAULINI

L’influence du rapport au savoir des enseignants sur leurs pratiques pédagogiques

Le cas de l’enseignement de la préhistoire à l’école primaire à Genève

THESE

Présentée à la

Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation de l’Université de Genève

pour obtenir le grade de Docteur en sciences de l’éducation par

Valérie VINCENT de Montilliez VD Thèse No 657

GENEVE Janvier 2017 N° étudiante : 98-316-995

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Il y a une relation archaïque au savoir dont nous ne nous défaisons sans doute jamais complètement.

Émotionnellement, nous vivons toute conquête de vérité comme réparation d’une privation immémoriale, comme victoire obtenue, non sur l’ignorance, qui n’est que de notre fait, mais sur une certaine volonté de secret, venue d’on ne sait où, mais évidente par son mystère même.

Yves Chevallard, 1991

Ce que le professeur montre d’abord [aux élèves], de manière directe et immédiate, ce n’est pas le monde (ou plus exactement, le bout du monde dont il est l’expert), mais son propre rapport passionné à ce bout de monde.

Eirick Prairat, 2013

Pourquoi la disparition des dinosaures vous fascine-t- elle autant ?

Jean à ses élèves, dans cette recherche

Est-ce qu’on descend du singe ?

Alice à ses élèves, dans cette recherche

Qu’est-ce qui vous terroriserait ?

Toni à ses élèves, dans cette recherche

(5)

Table des matières

Remerciements*...*7*

Introduction**Avenir*de*l’école,*aube*de*l’humanité…*...*8!

Pourquoi!cette!recherche!?!...!10!

D’un!processus!sinueux!à!la!linéarité!d’un!texte!...!12!

Plan!du!texte!...!16!

Partie*I* Problématique*et*cadre*conceptuel** Le*rapport*au*savoir*des*enseignants*:*déterminant*pour*leurs*pratiques*?*...*18*

Chapitre*1* Des*apprentissages*des*élèves*aux*pratiques*des*enseignants*...*21!

1.1!Faire!apprendre!?!Histoire!d’une!préoccupation!...!21!

1.1.1!Vers!un!peuple!«!sujet!de!luiBmême!»!...!22!

1.1.2!Entre!libération!et!normalisation!...!24!

1.1.3!Inégalités,!modernité,!complexité!...!26!

1.2!L’effet!enseignant!...!30!

1.2.1!Un!enseignant!efficace!?!...!31!

1.2.2!Contexte,!pouvoir!d’action!et!critères!de!légitimité!pédagogique!...!31!

Chapitre*2* Des*pratiques*des*enseignants*à*leur*habitus*...*34!

2.1!Une!improvisation!réglée!...!34!

2.1.1!Entre!curriculum!formel!et!curriculum!réalisé!...!35!

2.1.2!Opportunisme!et!bricolage!...!37!

2.2!Une!transaction!asymétrique!...!39!

2.2.1!Le!praticien!transformé!par!sa!pratique!...!39!

2.2.2!Des!pouvoirs!inégaux!...!41!

2.3!Un!habitus!plus!ou!moins!réflexif!au!principe!des!pratiques!...!43!

2.3.1!L’habitus!:!au!principe!de!la!répétition!et!de!la!création!...!44!

2.3.2!Trois!logiques,!un!sujet!...!47!

Chapitre*3* L’habitus*:*un*rapport*ordinaire*au*monde*...*52!

3.1!L’habitus!:!un!système!de!schèmes!à!double!face!...!52!

3.1.1!Les!schèmes!:!particules!invariantes!de!la!pratique!...!52!

3.1.2!L’habitus!incorporé!:!à!l’interface!de!l’intraB!et!de!l’intersubjectivité!...!55!

3.1.3!Un!système!de!dispositions!:!la!face!intrasubjective!de!l’habitus!...!57!

3.1.4!Les!prises!de!position!:!la!face!intersubjective!de!l’habitus!...!60!

3.2!Du!sens!du!jeu!à!l’intérêt!pour!le!jeu!:!le!rôle!de!l’illusio!...!61!

3.2.1!De!l’intérêt!à!s’engager!dans!une!situation!...!61!

3.2.2!Du!sens!à!s’engager!dans!une!situation!...!62!

3.2.3!Un!rapport!ordinaire!au!monde!...!64!

(6)

Chapitre*4*

Le*travail*scolaire*:*un*rapport*savant*au*monde*?*...*67*

4.1!Un!rapport!plus!ou!moins!distant!au!monde!...!67!

4.2.!L’imposition!du!monde!humain!:!de!la!famille!à!la!forme!scolaire!...!71!

4.2.1!L’imposition!du!monde!:!une!double!socialisation!...!71!

4.2.2!L’école!:!un!rapport!évidemment!savant!au!monde!?!...!74!

4.2.3!Les!savoirs!scolaires!:!entre!la!vie!et!la!science!...!77!

Chapitre*5** Du*rapport*savant*au*monde*au*rapport*ordinaire*au*savoir*...*82*

5.1!Le!rapport!au!savoir!:!histoire!et!enjeux!dans!le!champ!scolaire!...!82!

5.2!Le!«!rapport!à!»!dans!le!concept!de!rapport!au!savoir!...!85!

5.3!Le!«!savoir!»!dans!le!concept!de!rapport!au!savoir!...!89!

5.3.1!Le!rapport!à!l’activité!de!savoir!...!90!

5.3.2!Le!rapport!à!l’objet!‘savoir’!...!91!

5.4!Vers!une!définition!heuristique!du!savoir!...!92!

5.4.1!Connaissance,!croyance!et!savoir!:!trois!dimensions!de!la!cognition!...!94!

5.4.3!Le!savoir!:!un!objet!externe,!discuté!et!discutable,!prétendant!à!la!véracité!objective!...!95!

5.5!Les!usages!du!savoir!...!96!

5.5.1!La!forme!discursive!et!opératoire!de!la!connaissance!...!97!

5.5.2!L’usage!scolaire!du!savoir!...!101!

5.6!De!deux!usages!du!savoir!à!quatre!rapports!variables!au!savoir!...!103!

Chapitre*6* Le*rapport*au*savoir*de*l’enseignant*:*passager*clandestin*de*sa*pratique*pédagogique*? *...*107!

6.1!Transposer!le!savoir!:!quel!rapport!au!savoir!?!...!107!

6.1.1!Rapport!au!savoir!et!transposition!didactique!...!108!

6.1.2!La!part!de!l’enseignant!...!109!

6.2!Formaliser!ou!finaliser!l’accès!au!savoir!:!une!tension!ordinaire!...!111!

6.3!Transmettre!plus!que!du!savoir!:!son!rapport!au!savoir!...!115!

Partie*II* Question*et*méthode*de*recherche* En*quête*de*l’influence*supposée*...*119*

Chapitre*7* Rapport*au*savoir*et*pratique*de*l’enseignement*:*question*et*stratégie*initiale*...*121!

7.1!Point!de!départ!:!le!rapport!au!savoir!d’enseignants!primaires!à!Genève!...!121!

7.2!Question!initiale!:!quels!rapports!au!savoir!pour!quelles!pratiques!pédagogiques!?!....!122!

7.3!Stratégie!initiale!:!quinze!entretiens!exploratoires!...!123!

7.3.1!En!quête!des!ressorts!des!pratiques!pédagogiques!...!124!

7.3.2!Premières!dimensions!exploratoires!du!rapport!au!savoir!des!enseignants!...!126!

Chapitre*8* Question*et*stratégie*finale*:*le*cas*de*la*préhistoire*...*130!

8.1!Un!champ!flexible!et!bien!identifié!:!la!préhistoire!...!130!

(7)

8.1.1!Qui!trop!embrasse…!...!130!

8.1.2!Choisir!la!préhistoire!...!131!

8.2!La!préhistoire!:!de!quoi!parlonsBnous!?!...!134!

8.2.1!La!préhistoire!pour!la!science,!ou!la!lutte!entre!savoir!et!croyance!...!136!

8.2.2!La!préhistoire!pour!la!société,!ou!l’imaginaire!des!origines!...!138!

8.2.3!La!préhistoire!pour!l’enseignement,!ou!le!mystère!dévoilé!...!141!

8.3!Question!finale!:!quel!rapport!au!savoir!pour!quel!enseignement!de!la!préhistoire!?!..!147!

8.4!Stratégie!finale!:!trois!praticiens!filmés!et!interrogés!...!148!

8.4.1!Filmer!la!face!visible!:!les!interactions!en!classe!...!148!

8.4.2!Interroger!la!pratique!:!les!entretiens!de!confrontation!...!149!

8.4.3!Jean,!Alice,!Toni!:!contexte!de!travail!et!rapport!au!savoir!...!150!

8.4.4!Traitement!des!données!...!153!

8.4.5!Analyser!les!pratiques!enseignantes!:!une!approche!inductive!...!154!

8.4.6!Thèmes!abordés,!savoirs!formulés!et!schémas!de!formulation!...!156!

8.4.7!Le!rapport!au!texte!du!savoir!:!fil!rouge!et!présentation!des!résultats!...!161!

Partie*III* Analyse*et*constats* Trois*pratiques,*leurs*variations*et*leurs*régularités*...*162*

Chapitre*9* Jean*et*l’autorité*de*la*science*...*168!

9.1.!Déroulement!de!l’enseignement!:!le!texte!du!savoir!comme!base!de!travail!...!168!

9.2!Les!accents!:!entre!autorité!du!texte!et!intérêts!des!sujets!...!182!

9.2.1!Thèmes!abordés,!savoirs!formulés!...!182!

9.2.2!Les!schémas!de!formulation!...!216!

9.3!Jean!ou!un!rapport!souscripteur!au!savoir!...!230!

9.3.1!Une!pratique!dispensant!et!revalidant!les!faits!révélés!par!la!science…!...!230!

9.3.2!…sousBtendue!par!un!attachement!aux!savoirs!scientifiques!...!231!

9.3.3!Un!rapport!souscripteur!au!savoir,!s’incarnant!dans!un!partage!directif!du!savoir!...!232!

9.3.4!Point!de!situation!:!rapport!souscripteur!au!savoir!et!fidélité!au!texte!du!savoir!...!234!

Chapitre*10* Alice*et*le*mystère*de*l’Homme*...*236!

10.1.!Déroulement!de!l’enseignement!:!le!texte!du!savoir!interrogé!...!236!

10.2.!Les!accents!:!enseigner!les!faits!ou!les!questionner!...!247!

10.2.1!Thèmes!abordés,!savoirs!formulés!...!247!

10.2.2!Les!schémas!de!formulation!...!266!

10.3!Alice!ou!un!rapport!soucieux!au!savoir!...!279!

10.3.1!D’une!pratique!préoccupée!par!les!difficultés!épistémiques!de!la!classe…!...!279!

10.3.2…à!une!mise!en!question!des!savoirs!scolaires!et!scientifiques!...!281!

10.3.3!Un!rapport!soucieux!au!savoir!s’incarnant!dans!l’expression!de!doutes!à!partager!...!282!

10.3.4!Point!de!situation!:!rapport!soucieux!au!savoir!et!interrogation!du!texte!du!savoir!...!283!

Chapitre*11* Toni*et*le*partage*des*émotions*...*285!

11.1.!Déroulement!de!l’enseignement!:!le!texte!du!savoir!intériorisé!...!285!

11.2.!Les!accents!:!enseigner!l’essentiel!des!savoirs!pour!(sur)vivre!en!société!...!291!

11.2.1!Thèmes!abordés,!savoirs!formulés!...!291!

11.2.2!Les!schémas!de!formulation!...!332!

11.3!Toni!ou!un!rapport!affranchi1au!savoir!...!344!

(8)

11.3.3!Un!rapport!affranchi!au!savoir!s’incarnant!dans!une!pratique!prédicative!du!savoir!...!347!

11.3.4!Point!de!situation!:!rapport!affranchi!au!savoir!et!éloignement!du!texte!du!savoir!...!348!

Chapitre*12* Rapport*au*savoir*de*l’enseignant*et*pratiques*pédagogiques*:*quelles*corrélations*? *...*350!

12.1!Souscription,!souci!ou!affranchissement!:!trois!rapports!au!savoir!...!350!

12.2!Confrontation!avec!le!cadre!théorique!...!353!

12.3!Le!rapport!au!savoir!:!deux!variables!à!croiser!...!355!

12.4!L’énigme!préférée!:!une!variation!significative!...!356!

12.5!L’influence!du!rapport!au!savoir!sur!les!pratiques!pédagogiques!...!360!

Conclusion*générale*...*364*

À*l’école*des*pratiques*ordinaires*...*364!

Le!rapport!au!savoir!:!entre!valeur!et!pouvoir!...!365!

L’écran!de!l’habitus1:!pour!le!meilleur!et!pour!le!pire!...!367!

Retour!sur!le!grain!:!savoirs!formulés!et!schémas!de!formulation!...!368!

Au!revers!du!savoir!:!l’énigme!...!370!

Entre!raison!théorique!et!sens!pratique!...!371!

État!de!l’art,!questionnement!des!pratiques!et!formation!des!enseignants!...!373!

Références*bibliographiques*...*375*

Table*des*figures,*images*et*tableaux*...*391*

Annexes*...*393!

(9)

Remerciements

Ces quelques lignes ne suffiront pas à remercier toutes les personnes qui, de près ou de loin, ont déposé une pierre sur le chemin de cette aventure scientifique. Mais tel le Petit Poucet, je souhaite retourner un instant sur mes pas en récoltant les pierres : je peux ainsi vous montrer la direction de ma reconnaissance.

Merci aux trois enseignants primaires genevois Jean, Alice et Toni, qui m’ont donné leur confiance, ouvert leur classe, leurs pratiques pédagogiques pour enseigner la préhistoire et leur rapport au savoir. Leur prénom a été modifié conformément à l’usage.

Merci aux quinze enseignants primaires qui m’ont confié le récit et leur questionnement sur leur pratique pédagogique et leur rapport au savoir, dans mes premiers pas exploratoires.

Merci aux trois scientifiques et médiateurs de la préhistoire à Genève, qui ont répondu à mes interrogations de communication et de transposition de cette thématique dans l’espace scientifique, social et scolaire.

Merci aux collègues présents et passés du Laboratoire Innovation-Formation-Education (LIFE) : Aline Meyer pour avoir été la réviseuse linguistique de ce manuscrit, Danielle Bonneton pour avoir été la réviseuse du rapport au savoir, ainsi que Laetitia Progin, Andreea Capitanescu Benetti, Manuel Perrenoud, Laetitia Rousselle, Monica Gather-Thurler, Ting Li, Carole Veuthey, Geneviève Mottet, Katia Vanini, Myriam Radouhane, Nancy Bresson, Marie-Ange Barthassat, Etiennette Vellas, Michèle Bolsterli, Cynthia Mugnier, Marilyn Baumann, Sophia Bastos, Carl Denecker, Nanimian Nodjigoto, Roberta Marques et Sandrine Breithaupt. Amicalement et scientifiquement, ils m’ont soutenue dans mon projet depuis ses débuts, l’ont lu, écouté, discuté : un laboratoire comme on les aime et qui m’a touchée.

Merci aux collègues, chercheurs et amis pour les échanges, les aides ou les soutiens rapprochés : Coralie Delorme, Nilima Changkakoti, Valérie Hutter, Walther Tessaro, Sabine Vanhulle, Cecilia Mornata, Marie-France Carnus, Dorothée Baillet, Geneviève Therriault, Stéphane Clivaz, Caroline De Rham, Séverine Mailler, Pascal Mischler et Roland Isidro.

Merci à François Audigier, Claudine Blanchard-Laville et Christian Orange qui me font l’honneur de siéger dans ma commission de thèse. Merci pour les travaux qu’ils développent, leur intérêt pour mon projet et le travail de lecture et d’évaluation de la thèse qu’ils ont accepté de faire.

Merci à Alain Müller, membre de LIFE et de la commission de thèse : je lui dois quelques apprentissages en écriture académique et mes interrogations sur les dispositions.

Merci à Philippe Perrenoud, professeur honoraire en sciences de l’éducation pour avoir toujours été là : je lui dois la pierre de l’habitus et de la préhistoire.

Merci à Olivier Maulini, professeur en sciences de l’éducation et directeur de ma thèse : je lui dois la pierre décisive de ma question de recherche et de toute l’aventure qui en a découlé.

Les pierres de la rigueur scientifique, du rapport au savoir et du savoir, d’un pragmatisme bien salvateur et d’un certain rapport poétique à la théorie, sont celles qu’il m’a toujours données sans compter. Je lui suis aussi reconnaissante pour le soutien inconditionnel dont il a fait preuve à la thésarde, mais aussi chargée d’enseignement et jeune maman.

Merci à ma famille et mes amis : je leur dois mes moments de détente, mais aussi une autre manière d’envisager ma recherche, plus ancrée dans la vie.

Merci à Rui et Abriel : je leur dois le soleil qui éclaire mes pierres.

(10)

Introduction

Avenir de l’école, aube de l’humanité…

(11)

Autant le dire toute de suite : l’enquête qui va suivre fait un grand écart. Elle s’interroge sur l’avenir de l’école, en particulier l’évolution des pratiques des enseignants1 et de ce qui peut socialement les conditionner en arrière-fond. Mais pour étudier empiriquement les variations et les tensions observables au présent, elle se concentre sur ce que les maîtres généralistes présentent, en somme, de plus ancien à leurs élèves : les temps préhistoriques, la naissance de l’espèce Homo, l’invention du langage, de la culture et du savoir, bref l’aube de l’humanité, voire l’évolution naturelle (physique, puis biologique) qui l’a précédée. Ce choix n’est pas un hasard, et nous devons d’emblée nous en expliquer.

Notre point de départ se situe dans l’école d’aujourd’hui, au cœur du travail et des pratiques des enseignants. Il tient pour acquis deux constats établis par la recherche, ceux qui montrent régulièrement (1) combien les pratiques pédagogiques ordinaires peuvent conditionner les apprentissages des élèves (Feyfant, 2011 Tardif & Lessard, 1999/2004), (2) en quoi ces pratiques dépendent elles-mêmes d’intentions et/ou prédispositions plus ou moins bien identifiées, dont la mise à jour peut soutenir la formation de professionnels réflexifs, capables et soucieux d’interroger collectivement la pertinence de leurs idées et de leurs actions (Maulini, 2005a, 2007 ; Perrenoud, 1994b, 1996a, 1996e). Qui veut étudier l’écologie de ces pratiques – et leur impact potentiellement différent sur les apprentissages des élèves – doit trouver le moyen (peu simple) de les rendre comparables, donc de les situer dans un domaine d’enseignement à la fois assez défini pour leur donner un fond commun et assez ouvert pour autoriser (voire encourager) l’initiative singulière de chaque praticien. Au carrefour des sciences humaines et des sciences naturelles, dans un champ de savoirs bien circonscrit mais situé en marge des procédures d’évaluation formelle et standardisée, aux abords de questions philosophiques (« D’où venons-nous, qui sommes-nous, où allons-nous, qu’en savons-nous, etc. ») que les enseignants sont personnellement libres de valoriser ou non, le thème de la préhistoire s’est imposé comme un analyseur potentiellement fécond (Audigier, Crémieux &

Tutiaux-Guillon, 1994 ; Département de l’instruction Publique, 2007 ; Maulini, 2005a ; Orange, 2008a ; Picq, 2005 ; Tort, 2008). Il faudra bien sûr vérifier cette hypothèse tout au long de la recherche dont elle a initialement fixé les contours.

Nous allons donc nous intéresser à l’influence du rapport au savoir de l’enseignant primaire sur ses pratiques pédagogiques, c’est-à-dire sur les conditions d’apprentissage qu’il offre au quotidien à ses élèves. Cette intrigue se nouera dans le champ de l’enseignement de la préhistoire, abordée à Genève au degré +4 de la scolarité obligatoire (élèves de 9-10 ans). En tant que chercheuse, mais aussi formatrice d’enseignants et ancienne enseignante nous-même, nous chercherons moins à identifier une ou même plusieurs « bonnes » manières de faire (ce qui supposerait de poser une norme a priori) que les régularités et les variations observables du dehors, pour remonter ensuite à ce qui peut sous-tendre les pratiques dans le for intérieur des enseignants (y compris des normes, des valeurs ou des aspirations d’autant plus puissantes qu’elles échappent à la conscience). En trois temps, nous présentons ici (1) les intérêts et les préoccupations qui ont donné naissance à notre propre travail de recherche, (2) le récit d’un déroulement de l’enquête plus sinueux que le produit final ne peut le laisser supposer, (3) le plan formel du texte finalement rédigé pour en rendre compte de la manière la plus éclairant possible pour le lecteur.

(12)

Pourquoi cette recherche ?

Si le rapport au savoir est peu à peu devenu un thème crucial dans la recherche en didactique et en pédagogie (Meirieu, 1989 ; Sensevy, 2011 ; Vellas, 2002), c’est parce que l’accès élargi à la connaissance, aux ressources culturelles permettant de devenir un sujet autonome, un citoyen maître ou au moins conscient de ses choix et de leur impact sur sa propre vie et sur celle d’autrui, est devenu l’une des conditions indispensables de l’intégration sociale, du moins dans une perspective démocratique. Le rapport qu’entretiennent les êtres humains avec le savoir est une problématique importante pour comprendre pourquoi certains élèves, par exemple, ne trouvent ou ne donnent pas de sens aux savoirs scolaires, pourquoi ils rencontrent des difficultés ou des échecs plus ou moins définitifs dans un lieu pourtant créé pour produire du lien social et de la culture commune (Bernardin, 2013 ; Chalot, Bautier &

Rochex, 1992). Cette problématique, capitale pour le développement de nos sociétés – en particulier dans une période où elles peuvent douter d’elles-mêmes et de leur parti pris pour la raison critique, le libre-arbitre et le débat d’idées (Touraine, 1995) – a fait l’objet d’un grand nombre d’études, à tel point qu’elle est devenue quasiment évidente et peut même avoir tendance à normaliser les pratiques et les idées en direction d’un « bon » rapport au savoir à construire chez les élèves, voire chez les enseignants (Charlot, soumis, 2016).

En écho à l’intérêt que nous portons au rapport au savoir des élèves et à ses liens avec leur réussite ou leur échec à l’école, nous proposons ici une thèse qui souhaite plutôt étudier le rapport au savoir des enseignants et son impact sur leurs pratiques pédagogiques ordinaires.

Nous prenons donc au sérieux l’hypothèse d’un « effet enseignant » attestée par les recherches processus-produit (Bressoux, 1994, 2002 ; Crahay, 2006 ; Gauthier, Melouki &

Tardif, 1993), moins pour affiner à leur suite de bonnes pratiques, mais plutôt pour entrer dans la boîte noire de ce que fait et pense le professionnel quotidiennement, lorsqu’il est aux prises avec le savoir tel qu’il le conçoit ou qu’il en use intuitivement. Par une approche à dominante sociologique et anthropologique, nous voulons comprendre ce qui se joue dans les classes, ce que fait l’enseignant (et par ce biais, ce que font les élèves) avec le savoir.

Pourquoi ? Parce que les curricula officiels et les documents pédagogiques en vigueur ne disent rien ou très peu de la réalité de leur mise en œuvre dans les classes.

Falaize (2016) a par exemple étudié la difficulté que rencontrent les professeurs français du degré secondaire à enseigner l’histoire. Dans son étude, il se base sur des cahiers d’élèves et des rapports d’instruction en provenance de différents départements. Il montre qu’il y a deux temps dans l’enseignement : le temps court des politiques éducatives, qui font les programmes, et le temps long des pratiques pédagogiques, qui font les apprentissages.

Autrement dit, savoir que la théorie de l’évolution prévaut formellement pour l’enseignement de la biologie ou de la préhistoire à l’école laïque, ne signifie pas que l’étude de ce concept va s’opérer d’un seul bloc, sans nuances, variantes, interprétations, négociations, concessions ou conflits locaux lorsqu’on se déplace au niveau des pratiques pédagogiques (Orange, 2008a, 2008b). Comprendre et interroger ce qui se passe en classe, et particulièrement ce que fait et vit l’enseignant avec le savoir (Beillerot, 2000 ; Berdot, Blanchard-Laville & Bronner, 2000 ; Blanchard-Laville, 2013b) tel qu’il l’incarne devant ou au milieu des élèves : voilà le cœur de notre recherche, l’« intérêt de connaissance » (Habermas, 1976) qui la justifie autant que nous puissions en juger, en tentant de nous extraire de notre implication.

On pourra nous rétorquer que cette question (et même sa réponse) est assez évidente au premier abord : si la majeur partie du travail enseignant consiste à mettre en scène et à transmettre des savoirs, alors il est manifeste que tout professionnel est aux premières loges pour entretenir un rapport réflexif, expert, voire savant, aux connaissances humaines les mieux établies, les plus académiques, celles qui figurent traditionnellement dans les

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programmes, les manuels, les cahiers d’exercices ou les guides méthodologiques à l’usage quasi exclusif des gens d’école. Oui, mais qu’en est-il réellement ? Quelle forme prend le rapport au savoir lorsqu’on tente de le repérer dans « le feu de l’action » ou plutôt de l’interaction, au moment où le praticien construit conjointement avec ses élèves des situations plus ou moins formatrices pour eux, correspondant plus ou moins aux directives officielles, à ses propres attentes et/ou à celles de ses interlocuteurs ? L’intérêt d’une telle question pour les sciences de l’éducation, et plus largement pour les sciences humaines, nous paraît double : d’une part, l’éclairage est tourné vers les dimensions subjectives du travail enseignant, plus ou moins visibles et plus ou moins opaques, il fait émerger les ressorts et les effets potentiels de ce travail, notamment sur les élèves ; d’autre part, comprendre le rapport au savoir d’un sujet, c’est comprendre non seulement la valeur qu’il donne au savoir, mais aussi découvrir comment il se soumet ou non aux instances d’énonciation de ce savoir (Beillerot, 2000). Nous ne devons pas oublier, avant d’entrer dans le vif du sujet, que le rapport au savoir est toujours susceptible d’intégrer, d’accompagner ou de redoubler un rapport au pouvoir, le pouvoir de prétendre distinguer non seulement le vrai du faux, mais aussi les vérités futiles de celles qui valent vraiment la peine d’être connues et mobilisées à bon escient.

Ainsi, mettre en lumière le rapport au savoir des enseignants a-t-il également un intérêt social et politique. Si le sens du savoir (et de l’accès scolarisé au savoir) est en jeu dans les usages que l’enseignant fait habituellement de ce qu’il sait ou pense savoir personnellement, on ne peut pas ignorer l’impact que ces usages ont jour après jour sur le rapport au monde et au savoir des élèves eux-mêmes, et plus largement, donc, sur les futurs citoyens d’une société.

Entre un enseignant A pour qui le savoir serait une réponse indiscutée et indiscutable à des questions coulant de source, et un enseignant B pour qui rien ne serait sûr, surtout pas la liste des questions auxquelles l’école devrait répondre pour « le bien des enfants » (Miller, 1985), c’est tout un monde de positions différentes qui s’ouvre potentiellement, charge bien sûr à la recherche d’établir en quoi les profils réels s’approchent ou s’éloignent au contraire de ces deux figures théoriques.

De là le troisième intérêt de ce travail pour la formation des enseignants, plus particulièrement celle des enseignants primaires. On sait que, pour ceux-ci, le rapport aux savoirs à enseigner dans chacune des disciplines est tout sauf anodin, notamment par le fait qu’ils se concentrent souvent sur d’autres dimensions de la relation pédagogique tels les signes extérieurs d’autorité, les procédés de gestion de classe ou la connivence sociale et affective avec l’élève (Vanhulle, 2009). Or, comme ce qu’aménage un professeur – y compris, voire surtout à son insu – a un impact sur les élèves et sur le monde qu’ils peuvent imaginer, il nous semble crucial de contribuer à la prise de conscience des phénomènes induits par le rapport au savoir des professionnels de l’enseignement, ceux qui devraient a priori le plus s’en inquiéter pour agir en connaissance de cause, d’une façon qu’ils peuvent vouloir revendiquer mais aussi questionner et éventuellement réviser, à titre personnel ou collectivement (Vincent, 2015b, 2016).

La problématique de l’impact du rapport au savoir sur les pratiques spécifiques des enseignants du degré primaire a pu être occultée pour au moins deux raisons. D’une part, le souci du savoir formel est souvent attribué aux enseignants du secondaire, qui se sont formés dans une discipline de prédilection avant d’apprendre à l’enseigner (Berdot, Blanchard- Laville & Bronner, 2000 ; Carnus & Calmettes & Terrisse, 2008) : les généralistes de l’enseignement de base sont réputés plus éclectiques, mais aussi moins préoccupés par l’épistémologie des savoirs qu’ils doivent enseigner que par le développement et la formation générale d’élèves qu’ils considèrent comme un tout, et qui les ont incités à ce titre à choisir l’école primaire (Vincent & Carnus, 2015). D’autre part, lorsque le rapport au savoir est

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primaires, il est relativement détaché des pratiques qu’il peut empiriquement conditionner (Mornata, 2015 ; Vincent, 2015a). Pour le sens commun, comme pour l’institution scolaire et pour les politiques, l’influence du rapport au savoir sur le comportement et la compétence des enseignants primaires peut donc être largement ignorée, car minorer l’importance du savoir peut faire sous-estimer celle du rapport à ce savoir dans l’ordinaire des pratiques. C’est à cette (relative) sous-estimation que nous proposons de nous attaquer, pour montrer que, paradoxalement, elle est le signe d’une opacité et d’une complexité qu’il est nécessaire de pénétrer pour saisir pourquoi (et non plus s’insurger du fait que) les pratiques pédagogiques réelles ne sont jamais telles qu’on le voudrait idéalement, qu’elles ne vont jamais de soi et qu’elles correspondent rarement à une éventuelle orthodoxie didactique ou même aux préconnisations des mouvements pédagogiques (Perrenoud, 1994b, 1996a ; Maulini, 2004a, 2005a, 2016 b ; Tochon, 1989 ).

Pour aborder ce clair-obscur du rôle du rapport au savoir dans les pratiques pédagogiques, nous choisissons donc de nous centrer sur l’enseignement de la préhistoire à l’école primaire.

Ce choix va colorer toute notre problématique, parce que si le thème retenu peut paraître a priori lointain, abstrait, étranger à la vie présente des élèves (et des enseignants), qu’on peut le penser réservé à un cercle de paléontologues aussi passionnés qu’originaux, il touche en fait à des questions scientifiquement hybrides (physiques, biologiques, anthropologiques, archéologiques, paléontologiques, etc.), humainement profondes (le caractère aléatoire ou non de nos origines), sociales (la tension entre différences et égalité), éthiques (la relation de l’homme à ses semblables, aux animaux et à la nature), voire esthétiques (la beauté indémodable de Lascaux). Ce n’est qu’en analysant le traitement que fait un enseignant de la préhistoire que l’on peut voir comment de tels enjeux l’animent ou non, comment ils infléchissent ou pas sa pratique pédagogique. Ce « réveil » du savoir en situation pourrait bien, en effet, relever du rapport au monde et au savoir de l’enseignant.

D’un processus sinueux à la linéarité d’un texte

Le texte qui va rendre compte de l’enquête que nous avons menée est divisé en trois grandes parties plus ou moins classiques. Une première section théorique conceptualisera les relations entre les apprentissages scolaires, les pratiques pédagogiques et le rapport au savoir des enseignants, en prenant appui sur une sociologie du curriculum elle-même adossée à une philosophie dispositionnaliste de l’action : elle débouchera sur une modélisation provisoire des registres épistémiques dans lesquels peuvent s’inscrire les professionnels de l’école (chapitres 1 à 6). La seconde section posera formellement la question de l’influence du rapport au savoir des enseignants sur leurs pratiques, puis présentera la méthode de recueil et d’analyse des données, en particulier son choix de concentrer le regard sur l’évocation des temps préhistoriques à l’école primaire (chapitres 7 et 8). La troisième partie – cœur de notre travail – analysera les pratiques de trois enseignants primaires genevois telles que nous les avons d’abord filmées, puis rapportées à nos postulats théoriques, comparées entre elles pour en induire des variations et des régularités, et finalement soumises au jugement des praticiens eux-mêmes, dans des entretiens compréhensifs sollicitant leur subjectivité. Elle passera par la présentation successive des trois pratiques (chapitres 9 à 11) et se terminera par l’étude transversale de leurs différences et de leurs points communs (chapitre 12). En conclusion, nous porterons un regard critique sur cette manière d’opérer, mais nous chercherons aussi à en tirer quelques enseignements pour la recherche, la pratique et la formation des enseignants.

Nous nous situons résolument dans une perspective de théorisation ancrée dans l’analyse stratégique des données (Glaser & Strauss, 1967/2010). Contrairement à ce qu’on pourrait croire, un tel choix n’implique pas de renoncer à tout cadre théorique préalable (pour notre

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part, nous prendrons le temps de formuler celui qui nous mène à poser nos questions). Il veut simplement dire que la théorie évolue, se révise et/ou s’enrichit par le jeu des questions et des réponses, mais dans un processus où chaque enquête consiste moins à confirmer ou infirmer des hypothèses préétablies qu’à les faire émerger et à les mettre à l’épreuve progressivement : par la condensation et la catégorisation progressive du matériau récolté, la énième récolte d’informations résultant de la question que la théorie disponible au moment n-1 aura provisoirement permis de poser. Une telle méthode n’est féconde que si chaque étape de la recherche dépend à chaque instant des précédentes, que les moments d’observation, d’entretien, d’analyse, d’écriture et de lecture se succèdent les uns les autres au fur et à mesure des besoins identifiés par le chercheur et ses partenaires de travail. La souplesse est la condition de la pertinence, mais elle a aussi un coût qui peut ne se mesurer qu’au moment de rendre compte de ce qu’elle permet finalement d’affirmer : le chercheur peut avoir fait tous les détours qui s’imposaient au fil de ses pérégrinations, vient un moment où il lui faut en faire état dans un texte linéaire par définition.

Pour notre part, nous avons commencé par mettre en forme nos découvertes empiriques, et donc par rédiger les portraits des trois enseignants avant de les comparer dans un chapitre 12 qui formalise la comparaison des trois pratiques, mais dont les constats courent en filigrane dans les chapitres 9 à 11. Dans l’intervalle, nous avons écrit la partie I pour synthétiser notre connaissance de la littérature pertinente, cette littérature pouvant donner ici l’impression de précéder complètement l’enquête alors qu’elle l’a accompagnée la plupart du temps. Nous avons finalement résumé notre manière de procéder dans la partie II, qui présente la question de recherche et la méthode employée pour y répondre. Le texte qui va suivre tente donc d’offrir au lecteur le reflet cohérent d’un processus qui fut quant à lui, sinon illogique, au moins opportuniste et tâtonnant. Restituer, c’est déjà, quelque part, transposer (Vincent, 2011). Et si transposer, c’est « désynchrétiser » le savoir (Chevallard, 1991 ; Verret, 1975), alors il nous faut brièvement livrer, dans cette introduction, le récit d’une quête sinueuse dont des traces subsisteront forcément au fil de notre texte, un texte qui devra tirer profit du processus tout en l’occultant le plus souvent. En exposant d’emblée notre cheminement épistémologique – les mystères, les intérêts, brefs les « synchrétismes » qui nous font nous animer personnellement – nous pourrons au passage dévoiler une part de notre rapport au savoir et suggérer sa présence dans le contenu et éventuellement les lacunes des trois parties principales du manuscrit.

Disons donc que, depuis quatorze ans, nous nous intéressons à la question de la socialisation à l’école et plus largement dans la société (Vincent, 2002). En nous basant notamment sur les thèses de Foucault (1975) et de Bourdieu (1980), nous formons de futurs enseignants dans un domaine intitulé « Rapport au savoir, métier d’élève et sens du travail scolaire » (Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation, 2016). Nous tentons de leur montrer à quel point la forme scolaire d’apprentissage – celle qui demande par exemple de se tenir droit sur une chaise pour étudier et donner des signes d’attention – s’inscrit et demeure dans l’inconscient pratique des élèves et, partant, dans les comportements et les mentalités collectives des sociétés scolarisées (Vincent, 2012a).

Auparavant, notre exercice passé du métier d’enseignante primaire (2002-2007), à l’étranger d’abord (dans des quartiers pauvres en Argentine), puis à Genève (en milieu populaire, socialement et économiquement défavorisé) a suscité notre questionnement sur les rapports entre l’école et son environnement, sur ce que les élèves sont censés trouver en classe (une formation, du savoir) et les dispositions qui sont exigées d’eux au cours (voire en amont) de leurs apprentissages (Bourdieu, 1980). La question du rapport des élèves à l’école et au savoir, c’est-à-dire du sens qu’ils construisent subjectivement des deux choses, n’est pas

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pratique pour orienter au mieux l’action pédagogique. En écho à un premier questionnement sur la socialisation corporelle (Vincent, 2002, 2012a), nous nous sommes demandé quelle était la « socialisation épistémique » proposée voire imposée à l’école : quelles postures coporelles, mais aussi quelles manières de voir, de faire, de savoir sont divulguées, imposées, voire dissimulées aux élèves par l’école et les enseignants ? Nous nous interrogeons sur les mécanismes inconscients de cette imposition, alors-même que la mission des enseignants semble plutôt être, à l’orée du 21ème siècle, de former des sujets démocratiques libres de choisir leur vie et leur destin (Finalités et objectifs de l’école publique, 2016 ; Tourraine, 1995). Quel est le rôle des pratiques enseignantes dans cette apparente contradiction ? Et surtout, quelles sont les variables qui influencent plus ou moins visiblement ces pratiques, autrement dit, qui « agissent sur [elles] en suscitant des modifications » (Le Trésor de la langue française, s.d.) ?

Nous savions que les pratiques pédagogiques se répètent et évoluent en même temps : un autre paradoxe. D’un côté, nous ressentions la pénible impression que les enseignants sont les maillons d’un système qui les conditionne à répéter des mécanismes inquestionnés, d’un autre – au prix de remises en question, de formations continues et de discussions – nous constations que les pratiques pédagogiques, les manières de voir, de savoir et d’enseigner varient entre enseignants et que ceux-ci s’octroient nécessairement des marges de liberté et d’innovation, même si une pratique réflexive serait a priori censée faire converger les rationalités situées (Perrenoud, 1994b, 1996e).

Ces réflexions forment les fondations de cette thèse : qu’est-ce qui influence, donc fait plus ou moins sciemment varier, les pratiques effectives ? Partant du double postulat que, d’une part les pratiques enseignantes ont certes quelque chose à voir avec le savoir, mais qu’elles varient et qu’elles sont en grande partie inconscientes parce que subjectivement incorporées (Bourdieu, 1980 ; Foucault, 1975), que d’autre part ces pratiques peuvent avoir un impact sur le monde que construisent et dans lequel vont vivre les élèves, nous nous demanderons dans ce travail si le rapport au savoir des enseignants n’est pas une variable-clef de leurs conduites.

Nous passerons ainsi d’un questionnement global de la forme et de la socialisation scolaire, à celui de la place du savoir et du rapport au savoir des enseignants dans le maintien ou l’évolution de cette forme au quotidien (Vincent, 2012a, 2012b).

Notre démarche empirique repose sur l’idée que l’action des enseignants, leurs pratiques pédagogiques réelles et ordinaires traduisent (ou trahissent) leur rapport au savoir. En cherchant l’influence du rapport au savoir sur des pratiques, nous cherchons sa manifestation dans ces pratiques. En d’autres termes, comprendre la pratique, c’est d’abord comprendre ce qui l’influence chez les praticiens :

On « n’a pas » un rapport au savoir. Mieux serait de dire que l’on « est » son rapport au savoir.

« Être » son rapport au savoir, cela signifie que mes actes, mes conduites témoignent et transcrivent ce que je veux et ce que je ne sais pas, de la manière dont les savoirs ont été acquis, puis m’ont imprégné. Ce que je fais de mes savoirs, quels qu’ils soient, en degrés, en natures, mais aussi en ignorances et en ratures (Beillerot, 2000, p. 49).

À la manière d’une ethnologue, nous nous intéressons aux conduites – telles qu’elles se donnent à voir au quotidien – au sein des interactions en classe, plus particulièrement aux usages ordinaires du savoir, aux propositions qui sont conjointement énoncées par le maître et les élèves, et à leur mode de formulation. Qu’est-ce que ces conduites disent du rapport au savoir de l’enseignant, et même du rapport au savoir que l’école et/ou une société donnée font vivre aux générations d’enfants appelées à les renouveler ? Des recherches montrent les savoirs que les élèves apprennent (ou pas) au cours de leur scolarité, à travers la pratique de l’enseignant et particulièrement de ses connaissances (Clivaz, 2011 ; Gauthier, Melouki &

Tardif, 1993). Mais d’autres montrent que l’enseignant enseigne aussi « autre chose » que ces

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savoirs : un curriculum « caché » qui peut s’éloigner des objectifs officiels de l’école, un ensemble plus ou moins cohérent de croyances, de comportements, de stratégies, de valeurs, de relations de pouvoir d’autant plus puissants qu’ils sont implicites (Maulini, 2004b, 2005a ; Perrenoud, 2005). Quel curriculum observe-t-on réellement dans les classes ? Nous chercherons à comprendre comment le rapport au savoir de l’enseignant colore les expériences qu’il fait effectivement vivre aux élèves : en quoi conditionne-t-il le curriculum réel, en particulier sa face cachée ?

Si nous pensons que le rapport au savoir des enseignants mérite d’être mis au jour, c’est parce qu’il relève de leur habitus, de leur rapport ordinaire au monde, c’est-à-dire d’un ensemble d’habitudes de pensées et de comportement que chaque enseignant entretient avec le savoir, et qui conditionne, en grande partie à son insu, ses pratiques pédagogiques (Bourdieu, 1980, 2001 ; Lahire, 1993 , 2001/2011 ; Perrenoud, 1996c, 1999). Comme tout sujet humain, un enseignant primaire vit et incarne un certain rapport au monde. Si l’on considère le savoir comme une composante de ce monde, alors son rapport au savoir peut probablement orienter une large part de ses pratiques professionnelles, qu’elles soient plutôt banales et répétitives ou originales et créatives. Autrement dit, sous l’influence du rapport au savoir, les pratiques pédagogiques sont susceptibles de varier et/ou de converger, l’« autre chose » que les savoirs du programme prenant du coup une forme particulière pour chaque enseignant.

C’est à partir de ces préoccupations et de ces premières références théoriques que nous avons mené une première enquête exploratoire sur l’influence du rapport au savoir chez 15 enseignants primaires genevois. Nous avons demandé à chacun d’eux de narrer une séquence d’enseignement portant sur un thème du programme qu’ils pouvaient choisir librement, afin d’identifier – nous-même assez librement – des dimensions potentiellement influentes de leur rapport au savoir. Cette exploration a déterminé deux directions fondamentales pour la thèse : (1) le choix de la préhistoire comme thème unique à privilégier ; (2) celui de concentrer notre regard sur des pratiques effectives plutôt que sur leur récit par les enseignants. Ces deux choix doivent dès maintenant s’expliciter.

Pour Chevallard (2003), l’étude du rapport au savoir implique de considérer l’épistémologie du savoir en question. Or, dans notre première exploration, chaque enseignant a évoqué un savoir différent, si bien qu’aucune comparaison neutralisant cette variable décisive n’était possible. Pour éviter cet inconvénient, nous nous centrerons ici sur un savoir singulier, assez clairement situé dans les programmes et le découpage disciplinaire qui les sous-tend: la préhistoire. Nous justifierons ce choix au chapitre 8 . Prenant l’avertissement de Chevallard au sérieux, nous présenterons l’état des travaux scientifiques sur la préhistoire, mais aussi les représentations sociales à son propos et son statut dans les plans d’études, les instruments didactiques et les pratiques pédagogiques. Bien que ce troisième axe soit forcément central pour nos analyses, les deux autres lui sont intimement liés, parce que le rapport d’un enseignant à la préhistoire (ou au « savoir sur la préhistoire ») est solidairement constitué de son rapport à ce qu’en font l’école, la société et la science. Si nous avons choisi la préhistoire, c’est parce que cette thématique recèle des questions scientifiquement et socialement vives (Legardez & Simonneaux, 2006) et qui peuvent faire la différence dans le rapport au savoir des enseignants (origine du monde et de l’homme), mais aussi parce que nous sommes personnellement intéressée par le récit de nos origines. Au cours de notre recherche, chaque espace de traitement de la préhistoire (science, société, école) nous a même semblé devenir de plus en plus intriguant. Au niveau scientifique et même épistémologique, les péripéties de Darwin sur le Beagle (Darwin, 1887/2008) et les recherches sur l’art pariétal nous passionnent. Dans le domaine des représentations sociales (De Carlos, 2015), nous nous intéressons à la fascination des gens, des médias et de la littérature pour les dinosaures et

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donner à la préhistoire à l’école primaire, entre sciences naturelles et sciences humaines, dans la perspective de mieux préparer les élèves à la vie d’aujourd’hui et aux questions anthropologiques qu’elle peut réactiver (Perrenoud, 2011). En ce sens, il est inévitable et probablement heureux que notre propre rapport au savoir en général (au savoir paléontologique en particulier) ait évolué en cours de recherche pour l’orienter vers le produit (provisoirement) stabilisé que nous présentons aujourd’hui.

Après la phase d’exploration réalisée au moyen des 15 entretiens compréhensifs, nous avons par ailleurs choisi de resserrer la focale sur les pratiques pédagogiques observables, pour comprendre l’influence de leur rapport au savoir en situation. Nous avons privilégié cette méthode parce que nous estimons que la recherche en sciences humaines gagne à mettre au jour ce qui se fait et se vit ordinairement chez les sujets observés, dans leur vie quotidienne (Goffmann, 1973), au fil d’expériences dont l’évocation verbale ne peut qu’offrir une version reconstruite, trop partielle et partiale pour s’y substituer. À la manière de Darwin lors de ses observations de la variation des espèces (1859/2008), nous chercherons à induire la théorie à partir d’une description et de la découverte du monde des pratiques pédagogiques tel qu’il est.

Nous nous questionnons sur l’influence du rapport au savoir sur les pratiques pédagogiques ? Eh bien organisons un voyage – non pas entre îles Galapagos et Maurice – mais au cœur des pratiques. Opter pour cette proximité, c’est choisir de décrire la pratique dans ses détails, et de l’analyser au moyen d’une grille de lecture ni trop vague, ni trop réductrice : la nôtre sera celle des savoirs formulés et des schémas de formulations mobilisés par trois enseignants primaires au fil de leur enseignement de la préhistoire. Il s’agit de mener une recherche résolument qualitative, compréhensive, ancrée à la fois dans les données et dans un cadre théorique orientant de plus en plus clairement leur récolte et leur analyse, par induction croisée des régularités et des variations observées (Maulini, 2012, 2016b).

Le cœur de notre thèse consistera donc à analyser trois occurrences de l’enseignement de la préhistoire à l’école primaire : celles que Jean, Alice et Toni, trois enseignants primaires genevois du degré +4, ont accepté de partager avec nous (et notre caméra…) durant l’année 2009-2010. De la comparaison de ces trois occurrences, nous essayerons d’induire des variations et des régularités, d’une part dans les savoirs formulés, d’autre part dans les modalités de leur formulation, pour remonter par étapes des prises de position observées aux dispositions qui les sous-tendent en arrière-fond. Cette analyse s’ancrera dans les questions, les intérêts et les concepts que nous venons de faufiler. Voyons dès lors comment nous allons présenter, de manière nécessairement linéaire (et donc reconstruite), l’itinéraire complexe ainsi résumé.

Plan du texte

Le manuscrit est structuré en trois parties, qui tenteront à la fois de montrer comment nous avons procédé, et à quelles conclusions nous sommes finalement arrivée. Même si les questions de cadrage théorique, de méthode d’analyse et de formalisation des résultats se sont distribuées et enrichies tout au long du processus, nous choisissons de les présenter finalement en trois sections homogènes afin de gagner en lisibilité.

La partie I commence donc par dessiner un cadre théorique divisé en 6 chapitres. Elle part d’un regard macrosociologique sur ce que les élèves apprennent et/ou sont supposés apprendre à l’école (chapitre 1), pour se concentrer ensuite sur les pratiques enseignantes et leur arrière-fond (chapitre 2). Sous un angle cette fois microsociologique, le concept d’habitus est mobilisé pour invoquer le rapport subjectif et ordinaire au monde des enseignants, construit par la socialisation primaire et secondaire : un système de schèmes (d’habitudes) de perception, d’appréciation et d’action. Cet habitus est susceptible de

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conditionner plus ou moins nettement les pratiques, parce qu’il est à la fois dispositions et prises de position d’un sujet par rapport aux situations qu’il rencontre, et fonction de son illusio, c’est-à-dire de l’intérêt inégal qu’il porte à chacune d’elles (chapitre 3). À partir de là, nous montrons comment ce rapport ordinaire au monde devient ordinairement savant à l’école, et comment il est distillé par les enseignants et la forme scolaire (chapitre 4). Nous situons alors la problématique du rapport ordinaire au savoir comme composante du rapport au monde, puis nous précisons notre définition de l’expression « rapport à » comme ensemble des usages ordinaires (pensées et actions) reliant un sujet à un objet, en l’occurrence un enseignant au savoir (chapitre 5). Cela nous fait déboucher sur la formalisation de notre problématique : l’influence clandestine, au sens de plus ou moins inconsciente, du rapport au savoir des enseignants sur leurs pratiques pédagogiques (chapitre 6).

La partie II prend appui sur le cadre théorique pour formuler la question de recherche et exposer la méthode de récolte et d’analyse des données. Elle est ainsi composée de deux chapitres. Le premier fixe provisoirement la question et rend compte de notre stratégie initiale : l’exploration de l’influence du rapport au savoir de 15 enseignants primaires genevois, toutes disciplines confondues (chapitre 7). Sur cette base, le second chapitre fixe la question définitive et notre stratégie finale consistant à choisir la thématique de la préhistoire.

Nous montrons les impacts de ce choix sur notre question de recherche, notamment sur les savoirs que nous pourrons rencontrer dans les pratiques pédagogiques. Nous défendons ensuite l’option retenue d’une observation et d’une description qualitative des pratiques de trois enseignants primaires genevois, puis d’une analyse de leurs prises de position (en termes de savoirs formulés et de schémas de formulation du savoir) susceptible de remonter au rapport de chacun au savoir (chapitre 8).

La partie III rend finalement compte de notre processus d’analyse et de ses résultats. Elle se présente sous la forme de trois portraits croisant chaque fois la pratique observée et le rapport au savoir dont elle peut découler (chapitre 9, Jean ; chapitre 10, Alice, chapitre 11, Toni).

Pour chaque portrait, nous tentons d’être fidèle à notre méthode d’analyse : nous déroulons d’abord la succession des séances d’enseignement de la préhistoire, en nous concentrant sur ce que fait l’enseignant avec le savoir. Ensuite, nous identifions plus précisément les savoirs formulés et les schémas de formulation. Dans une synthèse intermédiaire, nous montrons ce que les prises de position de chaque enseignant peuvent signifier en termes de rapport au savoir. Un chapitre conclusif compare les résultats obtenus pour chacun des praticiens : il prend appui sur les synthèses intermédiaires et sur les points de situation établis auparavant pour chaque enseignant, qui sont présentés dans ce manuscrit de manière linéaire, mais qui ont émergé d’un processus d’induction en vérité spiralaire (chapitre 12).

Une conclusion générale recense les limites de la recherche, les questions qu’elle pose encore et les enjeux qu’elle peut mettre en évidence en matière de pédagogie ordinaire et de formation des enseignants : une manière de montrer que le rapport au savoir et son influence sur les pratiques concernent plus largement tous les acteurs de l’école, des formateurs d’enseignants aux concepteurs de curricula, en passant par les chercheurs et les citoyens pouvant s’interroger sur le rôle et l’avenir de l’institution.

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Partie I

Problématique et cadre conceptuel Le rapport au savoir des enseignants :

déterminant pour leurs pratiques ?

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Les six chapitres constituant cette partie conceptuelle sont à considérer comme un voyage anthropologique et sociologique à travers, d’une part ce qui s’apprend, d’autre part les manières d’apprendre à l’école. Il s’agira en l’occurrence d’un voyage en boucle, dont la destination sera le point de départ. En effet, si la question de l’influence du rapport au savoir des enseignants sur leurs pratiques pédagogiques est importante pour nous, c’est parce que ces pratiques influencent ce qu’apprennent (ou pas) les élèves à l’école et le rapport au monde et à la vie qu’ils y développent. Bien qu’elle ne se situe pas au cœur de la thèse, l’expérience des élèves (ce qu’ils vivent, apprennent et ont le sentiment d’apprendre à l’école) figure en filigrane de nos préoccupations. Ainsi, le voyage conceptuel partira de la question de la formation des élèves pour arriver aux pratiques pédagogiques des enseignants. À partir de là, nous montrerons en quoi le rapport au monde des sujets, et plus particulièrement leur rapport au savoir, conditionne le travail scolaire, les apprentissages des élèves et, avant eux, les pratiques des enseignants. Nous allons effectuer ce voyage en six étapes.

Le chapitre 1 mène des apprentissages des élèves aux pratiques des enseignants. Il part du constat de l’échec scolaire, de l’inégalité d’accès aux savoirs. Il interroge les conditions permettant à chaque jeune de devenir sujet à l’intérieur de l’institution. L’effet enseignant est identifié comme l’une des variables clefs de la réussite scolaire, mais aussi des épreuves que l’école exige précisément de dépasser pour y être reconnu et durablement socialisé.

Le chapitre 2 conduit des pratiques des enseignants à leur habitus. Il montre que chaque style pédagogique procède d’une improvisation et d’un bricolage plus ou moins réglés, dans le cadre d’une transaction maître-élèves combinant action conjointe et asymétrie des statuts.

Sous les conduites observables se cache l’habitus professionnel, ce réservoir réflexif variable de manières de faire, à la fois rôdées et perfectibles, souvent répétitives mais aussi et par moments créatives.

Le chapitre 3 conceptualise l’habitus comme un rapport ordinaire au monde. Ce rapport s’incarne dans un système d’invariants pratiques : celui des schèmes de perception, d’appréciation et d’action qui structurent les pratiques. Chacun des schèmes possède deux faces : une face interne au sujet (appelée disposition) et une face externe (la prise de position actualisant la disposition). Cette double face des schèmes rend compte du fait que le sujet prend position de façon quasi naturelle en situation, sans nécessairement passer par un calcul stratégique et/ou réflexif à chaque occasion. À l’école, cette économie de la pratique peut entrer en conflit peu ou prou ouvert avec la rationalité didactique.

Au chapitre 4, nous rappelons justement que l’école est le lieu particulier d’un rapport au monde ordinairement savant. D’un côté, les enseignants instruisent les élèves sur la base de leur sens pratique ; de l’autre, ils le font dans un contexte, un cadre normatif, une forme éducative héritée de l’histoire dont leur propre formation est issue, et qu’ils considèrent généralement comme un produit satisfaisant. De là, le rapport que l’école entretient avec les savoirs ne peut que conditionner celui des enseignants, et réciproquement.

Le chapitre 5 passe ainsi de la problématique du rapport savant au monde (attendu de l’école) à celle du rapport ordinaire au savoir (tel qu’il règne de facto dans l’institution). Il fait un bref historique de la notion de rapport au savoir, puis s’arrête successivement sur ses deux composantes : « rapport à... » et « savoir ». La difficulté principale consiste à établir une définition heuristique du savoir, qui ne préjuge pas de ce que les enseignants seraient censés faire en situation, mais qui ne soit pas tellement large qu’elle empêche d’orienter l’analyse vers un ensemble identifiable de dispositions. Les idées voisines mais aussi concurrentes du

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donc discutées à la lumière de travaux classiques ou récents d’épistémologie et de sciences de l’éducation, afin de stabiliser provisoirement (1) une définition du rapport au savoir, (2) un répertoire des rapports au savoir déjà identifiés par la recherche s’intéressant aux pratiques pédagogiques.

Sur cette base, le chapitre 6 se demande si le rapport au savoir de l’enseignant ne peut pas être considéré comme le passager clandestin de sa pratique pédagogique. À contexte et cadre normatif égaux, les variations observables entre les pratiques sont au moins partiellement imputables aux choix des professeurs, des choix parfois conscients, parfois non, et forcément conditionnés par des dispositions dont le rapport au savoir serait, par hypothèse, un élément clef. Nous bouclons ainsi la boucle et revenons sur ce que les élèves apprennent à l’école, mais en ouvrant la discussion sur ce qui se transmet, voire s’impose effectivement, dans l’arrière-fond des interactions : des savoirs et/ou le rapport de l’enseignant à ces savoirs ?

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Chapitre 1

Des apprentissages des élèves aux pratiques des enseignants

Les rapports inégaux au savoir et à l’échec scolaire sont les enjeux sociaux à l’origine de notre thèse. Certes, un grand nombre de recherches en science de l’éducation prennent déjà cette problématique à bras le corps. Elles proposent plusieurs voies d’explication, aux postures épistémologiques et aux entrées théoriques diverses. On peut en effet éclairer les enjeux en étudiant par exemple les rapports inégaux des familles à l’école (Favre, Jaeggi &

Osiek, 2004 ; Montandon, 1997), l’effet des variables géographiques et socio-économiques (Felouzis & Charmillot, 2012) ou encore la montée de la précarité et de l’instabilité sociale dans les quartiers périphériques (Favre, 2013). Sans éluder ces approches, d’autres travaux insistent sur la relation éventuellement problématique entre les savoirs scolaires et les prédispositions cognitives des élèves, mais aussi sur la part que prennent les enseignants et leur propre rapport au savoir dans la construction d’une culture scolaire parfois peu accessible à certains enfants (Charlot, Bautier & Rochex, 1992).

Si le projet majeur et affiché de l’école contemporaine est l’accès au savoir pour un maximum d’individus, il relève en réalité de mécanismes certes vertueux, mais aussi vicieux qui (re)-produisent certainement des réussites, mais également (et de manière plus préoccupante) des difficultés et des échecs. Parmi ces mécanismes, la pensée et les pratiques pédagogiques des enseignants ont un rôle évidemment important. D’autant plus quand ces variables opèrent de manière inconsciente, ou dans le déni de la part insondable ou insondée du travail scolaire ordinaire. En quoi une école dont le projet revendiqué est de former des sujets créateurs de leur propre vie (Touraine, 1995) entretient-elle, plus ou moins malgré elle, des rapports inégaux aux savoirs et aux compétences nécessaires pour agir au lieu de subir ? Quel est le rôle des enseignants sur ce plan ? Telles sont les questions auxquelles ce premier chapitre se propose de répondre.

1.1 Faire apprendre ? Histoire d’une préoccupation

En Europe, la question de la réussite ou de l’échec scolaire et, partant, des inégalités d’apprentissage à l’école, occupe les sciences de l’éducation depuis plusieurs décennies (Crahay, 2003 ; Isambert-Jamati, 1992 ; Hutmacher, 1992). Avec la massification de l’enseignement dès la fin du 19ème siècle, et surtout avec la démocratisation des études après la Seconde Guerre mondiale, les notions d’échec et de réussite scolaire sont devenues respectivement un souci et un idéal dans les systèmes éducatifs (Hutmacher, 1992).

Cette évolution des conceptions de l’individu scolarisé, donc des représentations de ce que doit apprendre et devenir un être humain, est le fruit de processus fort complexes (Durkheim, 1938 ; Crahay, 2000). Sans pouvoir retracer ici les détails de cette évolution, retenons que l’école moderne s’enracine dans des conceptions philosophiques et religieuses qui se sont enchaînées historiquement, mais dont le mouvement général obéit à l’idée d’un accès au savoir progressivement ouvert à un maximum d’individus. Dans cette optique, faire

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