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Les développements effectués en amont, définissant un rapport humain au monde médiatisé par du symbolique, se complexifient historiquement. Si l’un des enjeux du rapport de l’homme au monde a toujours été sa signification, alors on peut dire que le monde de l’homme est susceptible d’être fortement chargé en significations, et même en mondes de significations. Au 21ème siècle, ces mondes sont encore plus hétérogènes et plus extensibles que dans les sociétés préindustrielles (Martucelli, 2006).

Il s’agit de prendre en compte cette réalité contemporaine et de cibler deux enjeux pour notre travail : (1) le fait que le ou les monde(s) sont des « déjà-là » qui préexistent au sujet et qui s’imposent à lui d’une manière ou d’une autre, à travers la socialisation et les situations vécues bon gré mal gré ; (2) parmi ces mondes imposés, la forme scolaire, avec ses savoirs spécifiques, ses formes et ses fonctions didactiques, est le champ pédagogique dans lequel les sujets contemporains sont pour la plupart inscrits, et où la question de leur rapport ordinaire à ce champ prend donc tout son sens.

4.2.1 L’imposition du monde : une double socialisation

Selon Berger et Luckmann (1966/2006), la construction sociale de la réalité subjective s’effectue selon deux processus de socialisation et donc d’intériorisation du monde social : (1) la socialisation primaire, qui se réalise dans la famille et durant l’enfance : « elle cristallise un noyau dur de perception de soi et du monde » (Martucelli, op.cit. p. 23), elle est

laquelle il est né. Ces savoirs et ces normes sont généralement peu remis en question et accompagnés d’identifications affectives fortes aux « autrui significatifs » (Berger &

Luckmann, op.cit., p. 226) qui entourent le sujet durant son enfance. Ce processus de socialisation contribue ainsi à construire les couches les plus profondes de l’habitus et particulièrement, des dimensions du rapport ordinaire au monde du sujet, le plus difficile à remettre en question plus tard (Perrenoud, 1996e) ; (2) la socialisation secondaire, qui s’étend tout le long de la vie pour un individu déjà socialisé, et qui s’effectue lorsque le sujet rencontre et incorpore « des secteurs du monde objectif de sa société » (Berger & Luckmann, op.cit., p. 225).

Le processus de socialisation d’un individu, qu’il soit primaire ou secondaire, suppose dans tous les cas l’imposition d’un monde déjà-là, composé des autres sujets, de leurs pratiques, de leurs normes et de leurs savoirs. Cette imposition complexifie le rapport ordinaire au monde de cet individu, car elle met en jeu ses marges de liberté par rapport à ce monde et par-là, la construction de sa subjectivité.

Tout individu est né à l’intérieur d’une structure sociale objective dans laquelle il rencontre les autrui significatifs qui s’occupent et se préoccupent de sa socialisation. Ces autrui significatifs lui sont imposés. Leur définition de sa situation est établie pour lui et en dehors de lui : elle a valeur de réalité objective. L’enfant est ainsi né non seulement à l’intérieur d’une structure sociale objective, mais également à l’intérieur d’un monde social objectif. Les autrui significatifs médiatisent ce monde pour lui, et le modifient tout le long de la médiatisation. Ils en sélectionnent des aspects selon leur propre position dans la structure sociale et également en vertu de leurs idiosyncrasies individuelles, enracinées biographiquement. Le monde social est ‘filtré’ pour l’individu au moyen de cette double sélectivité (ibid., p. 226).

Bien que les auteurs utilisent d’autres termes, nous ne sommes pas loin de la définition bourdieusienne de la construction de l’habitus du sujet à travers la socialisation : les rapports de pouvoir, les positions sociales inscrites dans la structure objective du champ – que l’on pourrait tout autant nommer monde social, société, etc. – se transmettent voire s’imposent en même temps que les connaissances propres à toute socialisation. « Les autrui significatifs qui médiatisent ce monde » sont ceux qui opèrent les « actions pédagogiques » (Bourdieu &

Passeron, 1970, p. 20) plus ou moins arbitraires, structurant l’habitus du sujet et donc son rapport au monde. Lors de leur médiatisation, les autrui significatifs n’imposent pas seulement des savoirs sous une forme discursive ou opératoires pour vivre dans le monde, mais également leur rapport aux différents objets du monde. C’est de cette double imposition, particulièrement de la seconde, que nous aurons à traiter dans ce travail.

L’action pédagogique est objectivement une violence symbolique, en un premier sens, en tant que les rapports de force entre les groupes ou les classes constitutifs d’une formation sociale sont au fondement du pouvoir arbitraire qui est la condition de l’instauration d’un rapport de communication pédagogique, i.e. de l’imposition et de l’inculcation d’un arbitraire culturel selon un mode arbitraire d’imposition et d’inculcation (éducation) (ibid., p. 20).

Nous retiendrons ainsi que, parce que la socialisation ne s’opère que par la médiation des pairs, elle met en jeu des rapports de pouvoir entre les sujets : à propos de ce qu’il faut transmettre et comment, à propos de ceux qui le transmettent, mais aussi quant à la manière dont celui qui reçoit ce monde imposé prend le pouvoir sur lui et sur ce que les autrui significatifs en disent. Berger et Luckmann (ibid.) décrivent comment le sujet « prend en charge » ou en « main » le monde social, comment il « l’intériorise » et en fait ainsi sa

« réalité subjective » (pp. 229-230).

Dans le registre de ce qui est transmis, les auteurs montrent que le sujet intériorise, par l’intermédiaire du langage, des schémas définis institutionnellement, constitutifs de normes, de savoirs et de pratiques en cours et valorisés dans sa société. Cette transmission est particulièrement inconsciente dans la socialisation primaire.

Avec le langage et au moyen de celui-ci, les différents schémas d’interprétation et de motivation sont intériorisés en tant que schémas définis institutionnellement – vouloir agir comme un petit garçon courageux, par exemple, et affirmer que les petits garçons sont naturellement divisés en courageux et en lâches. Ces schémas fournissent à l’enfant des programmes institutionnalisés pour la vie quotidienne, certains immédiatement applicables, d’autres anticipant des conduites socialement définies pour des étapes biographiques ultérieures […]. (Berger & Luckmann, 1966/2006, p. 232)

Berger et Luckmann montrent ici comment peuvent se construire des systèmes de croyances et de superstitions sur le monde, systèmes qui font circuler des valeurs, des normes, des savoirs et des pratiques jugés vrais par les autruis significatifs de la société dans laquelle s’inscrit le sujet. Les autruis significatifs usant parfois moins de l’autorité de l’argument que de l’argument d’autorité (Habermas, 1991), ils ont le pouvoir de catégoriser et d’expliquer ce que devrait être le monde, arbitrant entre le vrai et le faux, entre les courageux et les lâches, entre les significations que l’on devrait attribuer à la mort ou à la vie, aux bons et aux mauvais comportements, etc.

Bourdieu (1980) évoque des mécanismes similaires lorsqu’il traite de la question de l’appartenance au champ et du rôle de la croyance pratique (qu’il juge volontiers aveugle, car construite majoritairement durant la socialisation primaire) par rapport à la croyance tout court, qui s’acquiert plutôt lors de la socialisation secondaire. L’adhésion à un champ social suppose la méconnaissance de la logique de fonctionnement du champ, c’est-à-dire la construction antérieure de schèmes de perception, d’appréciation et d’action – organisés en schémas définis institutionnellement – qui définissent un rapport immédiat au monde.

La croyance pratique n’est pas un ‘état d’âme’ ou, moins encore, une sorte d’adhésion décisoire à un corps de dogmes et de doctrines instituées (‘les croyances’), mais si l’on permet l’expression, un état de corps. La doxa originaire est cette relation d’adhésion immédiate qui s’établit dans la pratique entre un habitus et le champ auquel il est accordé, cette expérience muette du monde comme allant de soi que procure le sens pratique. (ibid., p. 115)

Connaître la logique de fonctionnement du champ auquel on appartient revient à établir une distance vis-à-vis de lui, à substituer le doute à la croyance, à mieux comprendre les schèmes et les schémas imposés et peut-être à vouloir les faire évoluer. C’est parfois l’une des spécificités de la socialisation secondaire.

Cette socialisation secondaire se réalise en effet dans des institutions dont l’organisation, la division du travail et la distribution sociale des connaissances sont plus complexes et systématisées que l’institution familiale, plutôt représentative de la socialisation primaire. Le rapport du sujet à ces institutions se voit ainsi diversifié (Dubet, 1994). À travers la fréquentation des institutions et de leurs langages particuliers, le sujet acquiert la connaissance de « sous-mondes » constitutifs de ces institutions : savoirs, mais aussi rôles, positions, conduites, valeurs, représentations. En bref, les institutions distillent de manière explicite ou implicite des rapports symboliques à leurs propres sous-mondes et à la distribution des rôles – et donc des places – qui les constituent. Berger et Luckmann (op.cit) parlent de l’intériorisation sémantique structurant la routine des interprétations et des conduites à l’intérieur d’une sphère institutionnelle, et en même temps de la compréhension

Anthropologiquement, le langage et les pratiques en cours à l’intérieur d’une institution, ainsi que les visions du monde que ces phénomènes médiatisent –par la simple maxime ou une construction mythologique plus élaborée –définissent les différents sous-mondes institutionnels et déterminent le rapport au monde des sujets qui les fréquentent. La grande diversité d’institutions et de sous-mondes que les sujets humains sont aujourd’hui amenés à fréquenter explique ainsi la grande variabilité socio-historique des représentations construites par socialisation secondaire. Par ailleurs, ces mondes institutionnels doivent traiter avec la socialisation primaire des sujets, ce qui problématise les pratiques de transmission des schémas et présuppose des procédures conceptuelles afin d’intégrer les différents corps de connaissances.

L’identification émotionnelle aux autrui significatifs semble a priori moins prégnante dans les institutions diffusant une socialisation secondaire. Dans le cadre de la forme scolaire, il ne faut pas pour autant mettre au second plan le processus d’identification émotionnelle. En effet, que dire par exemple de « l’inconscient dans la classe » (Imbert, 1996), c’est-à-dire des phénomènes de transfert et/ou de contre-transfert entre l’enseignant (autrui significatif) et l’apprenant ? Lorsque par exemple, l’enseignant incarne et réalise « quelque ‘image’

maternelle ou paternelle, par laquelle l’enfant est porté […], il arrive qu’un amour de transfert soutienne le désir d’apprendre » (p. 41). Les recherches portant sur le rôle de l’inconscient psychanalytique dans la relation éducative sont là pour nous rappeler que l’appropriation du savoir exclut rarement l’importance conjointe du lien intersubjectif (Cifali, 1994).

4.2.2 L’école : un rapport évidemment savant au monde ?

Parmi les différents secteurs de l’activité humaine, l’école occupe une place à part, puisqu’elle a pour fonction de séparer les élèves des pratiques sociales qu’ils devront plus tard assumer, et ceci pour mieux les leur enseigner. La forme scolaire d’apprentissage (Maulini & Perrenoud, 2005 ; Maulini, Meyer & Mugnier, 2014a ; Vincent, Lahire & Thin, 1994) est ainsi paradoxale. Elle se caractérise par :

- l’institution d’une intention d’enseigner –par l’intermédiaire d’une relation pédagogique – un certain nombre de savoirs et de techniques ;

- des savoirs et des techniques transposés – que nous nommerons savoirs scolaires – construits tout au long de l’histoire de l’humanité et susceptibles de préparer les élèves à vivre en société ;

- des espaces, aujourd’hui non plus seulement physiques, mais aussi virtuels ; - un temps séparé des pratiques sociales, pour mieux l’observer et se l’approprier.

Au paléolithique, on sait que les hommes délimitaient déjà des temps et des espaces en marge de sites de production d’outils ou de peintures rupestres, exclusivement dédiés à la formation des novices (Camps, 1982 ; Maulini, Meyer & Mugnier, 2014a). Le mot « école » dérive du mot grec « skholè » (« loisir », puis « loisir de l’étude ») et renvoie justement à l’idée d’un lieu et d’un temps séparés du monde ordinaire par une clôture à la fois matérielle (enceinte, murs, classes) et symbolique (règlements, horaires, programmes). Les élèves viennent à l’école pour disposer du loisir d’étudier, donc pour observer, comprendre, essayer, se

tromper, émettre des hypothèses au sujet du monde, faire des expériences pour mieux le maîtriser, bref, prendre le temps de se former.

La forme scolaire est l’institutionnalisation de cette idée. Nous savons qu’elle s’est développée à une échelle planétaire depuis l’apparition de l’écriture, il y a environ 4000 ans.

La scripturalisation du langage, donc du monde, entraîne le développement de « l’ordre matériel du savoir » (Waquet, 2015), les instruments de la « raison graphique » (supports pour l’écrit, correspondances, chiffres, images, objets, médias, médias numériques, etc.), structurant un certain rapport symbolique au monde dans le cadre d’une époque et d’une société donnée (Goody, 1979, 2007 ; Lahire, 1993).

La forme scolaire, c’est d’abord une organisation architecturale, spatiale et du mobilier destinée à contrôler les corps des sujets, voire à les dresser, de manière à orienter les esprits vers les savoirs qu’elle veut diffuser (Foucault, 1975). L’organisation architecturale des salles de classe et des établissements ne vise pas seulement la maîtrise des corps, mais aussi celle des esprits (Vincent, 2002, 2012a). La singularité de l’organisation des pupitres des élèves dans une classe par exemple, la façon dont s’inscrit l’enseignant dans cette organisation, tout cela exprime sa vision de la forme scolaire, en termes de savoirs à enseigner, mais aussi de discipline nécessaire à cet enseignement (Vincent, 2012a). Dans les classes, chaque élève est assigné à une place qui ne va pas de soi, résultat d’un calcul minutieux et souvent inconscient de l’enseignant en matière d’efficacité de l’enseignement et de contrôle des comportements.

Les disciplines en organisant les « cellules », les « places » et les « rangs » fabriquent des espaces complexes : à la fois architecturaux, fonctionnels, hiérarchiques. Ce sont des espaces qui assurent la fixation et permettent la circulation ; ils découpent des segments individuels et établissent des liaisons opératoires ; ils marquent des places et indiquent des valeurs ; ils garantissent l’obéissance des individus, mais aussi une meilleure économie du temps et des gestes (Foucault, ibid., p. 173).

Plus fondamentalement, la forme scolaire est un système complexe de rapports sociaux, et donc de rapports de pouvoir, où les acteurs impliqués (nous nous limitons ici aux sujets enseignants et apprenants quel que soit le degré d’enseignement considéré) occupent une place et des rôles plus ou moins stables. Ces derniers caractérisent la relation tout à fait spécifique qui unit le maître et l’élève, une relation dite « pédagogique », a priori asymétrique, où le premier est supposé savoir quelque chose que le second est supposé ignorer. La forme scolaire se distingue ainsi d’autres modes d’apprentissage qui peuvent se réaliser en famille, dans le sport ou les loisirs, par exemple. L’enjeu de la forme scolaire est la formation systématique du sujet apprenant, afin qu’il puisse transmettre à son tour les savoirs acquis et élargir éventuellement le patrimoine culturel humainement constitué.

La forme scolaire se caractérise par trois fonctions fondamentales, dont les enjeux se logent dans la tension entre l’intérieur et l’extérieur de la clôture instituée (Maulini, Meyer &

Mugnier, 2014a) :

1. Une fonction de simulation. À l’école, dans un lieu à l’abri des aléas propres aux pratiques sociales (surtout celles du monde du travail), on peut essayer, se tromper, recommencer, détruire et reconstruire, jusqu’à la réussite. On simule les pratiques sociales pour s’entraîner à leur maîtrise, sans risquer (a priori) les jugements et/ou les licenciements. Le double écueil à éviter est celui de trop ou de ne pas assez simuler : on risque dans un cas de perdre le sens des apprentissages formels, dans l’autre de les noyer dans un flux d’activités insuffisamment questionnées (Charlot, Bautier &

Rochex, 1992 ; Perrenoud, 2001d) ;

2. Une fonction de décomposition. Le passage du statut de novice à celui d’expert ne va pas de soi : il donne parfois une impression de processus aléatoire et désordonné, mais il s’effectue le plus souvent de manière progressive, ordonnée et hiérarchisée, passant du simple au complexe, du concret à l’abstrait, ou inversement suivant les besoins.

L’école a institutionnalisé ce principe en décomposant l’apprentissage spontané, afin de codifier et d’ordonner les savoirs à apprendre dans une progression plus ou moins logique, mais toujours imposée. Les savoirs sont ainsi scolarisés, textualisés, formalisés ; ils deviennent exerçables, évaluables, mais d’abord « planifiables, cumulables, isolables » (Maulini, Meyer & Mugnier, 2014a, p. 36). Là encore, l’équilibre est précaire : l’excès de formalisme peut aboutir à des savoirs désincarnés, l’abus de finalisme à la dissolution de l’école dans la vie, ce qui risque chaque fois de pénaliser les élèves pour qui le sens de l’expérience scolaire ne va pas de soi (Charlot, Bautier & Rochex, 1992 ; Maulini, Capitanescu Benetti, Meyer & Mugnier, 2013 ; Meirieu, 2008) ;

3. Une fonction de secondarisation. À l’école, par l’intermédiaire du langage oral et écrit, et particulièrement par l’étayage du questionnement (Maulini, 2005a), on quitte les apprentissages premiers (par exemple boire dans un verre), forgés de l’intérieur au cours de la socialisation primaire, pour les regarder de l’extérieur, les thématiser, les nommer : s’opère alors un changement crucial de rapport au monde chez l’apprenant, qui s’éloigne de l’évidence première vis-à-vis de l’objet et des pratiques qui l’accompagnent. Cet objet et ces pratiques deviennent alors objets d’apprentissage (« Qu’est-ce qu’un verre ? Comment est-il fabriqué ? Depuis quand est-il utilisé ? Que signifie et à quoi sert-il de boire d’un point de vue biologique ? etc. »). Du point de vue des inégalités scolaires, la question de la secondarisation des apprentissages par l’enseignant et la réception de celle-ci par les élèves est cruciale. Pour certains d’entr eux, dont le rapport à l’école et au savoir présente des brouillages au niveau identitaire, cognitif ou épistémique (Bernardin, 1997/2002), le processus de secondarisation peut mal s’opérer, laissant les moins initiés dans une confusion entre le faire et le comprendre, les tâches à effectuer et les objectifs à atteindre (Bautier &

Goigoux, 2004 ; Bautier, Catteau, Joigneaux & Thouny, 2011 ; Bouko, Caffieaux &

Van Lint, 2015 ; Charlot, Bautier & Rochex, 1992).

Si l’on suit Bourdieu (1980), on peut dire que l’école est un monde où certains sujets (la majorité des enseignants, mais aussi leurs enfants) « parce qu’ils y sont nés » (p. 114), savent pratiquement jouer le jeu exigé, parce que leur habitus leur permet une adhésion évidente au champ scolaire. Cette relation évidente est « la doxa originaire » (p. 115). Parce qu’ils sont au bénéfice de cette doxa originaire, acquise principalement lors d’une socialisation familiale et/ou dans des milieux où la secondarisation du monde est intensément pratiquée, ces sujets sont au bénéfice d’une meilleure compréhension et d’une adhésion immédiate à la forme scolaire, à ses pratiques et à ses fonctions, donc à des processus invisibles mais non dénués d’enjeux pour l’accès aux apprentissages. C’est ce qui explique, entre autres, que les enfants d’enseignants et/ou d’universitaires réussissent statistiquement mieux à l’école que les enfants issus de milieux familiaux populaires et ouvriers, mais aussi que ceux issus de catégories sociales économiquement puissantes mais valorisant moins la culture savante (Bourdieu & Passeron, 1970). Ce constat nous rappelle que l’enjeu de la réussite est certainement moins une question d’intelligence héritée que de rapports différents à la forme scolaire.

Ainsi, l’imposition de la forme scolaire, et par là même d’un rapport « ordinairement savant » au monde, s’opère-t-elle – à la fois plus ou moins formellement et plus ou moins sciemment –

dans l’interaction maître-élèves. Elle le fait par le biais d’une organisation spatiale et architecturale spécifique, qui soumet les corps des apprenants à une discipline, des règlements et des sanctions devant les inciter à l’étude. Elle se caractérise surtout par une scripturalisation de savoirs formalisés, non seulement dans les curricula et les documents pédagogiques (Audigier, 2008 ; Chevallard, 1991 ; Rey, 1998/2008, 2011), mais également dans les échanges verbaux conduits sur le champ par les enseignants, héritiers et/ou véhicules d’un rapport au monde pour eux habituellement et quasi naturellement secondarisé, voire savant. En définitive, c’est ce rapport qui est requis des élèves pour « jouer le jeu » de

dans l’interaction maître-élèves. Elle le fait par le biais d’une organisation spatiale et architecturale spécifique, qui soumet les corps des apprenants à une discipline, des règlements et des sanctions devant les inciter à l’étude. Elle se caractérise surtout par une scripturalisation de savoirs formalisés, non seulement dans les curricula et les documents pédagogiques (Audigier, 2008 ; Chevallard, 1991 ; Rey, 1998/2008, 2011), mais également dans les échanges verbaux conduits sur le champ par les enseignants, héritiers et/ou véhicules d’un rapport au monde pour eux habituellement et quasi naturellement secondarisé, voire savant. En définitive, c’est ce rapport qui est requis des élèves pour « jouer le jeu » de