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2 Imaginaire de la développeuse

2.1 Stéréotypes, normes et marginalisation

Isabelle Collet a mis en avant la croyance du fait qu’il existerait une « incompatibilité

fondamentale, historiquement ancrée de l’ordre de la nature, entre les femmes et les sciences

97 COLLET Isabelle, « Effet de genre : le paradoxe des études d’informatique », p. 30, dans tic&société, Vol. 5, n

° 1, 2011

98 Ibid. 99 Ibid.

ou entre les femmes et les techniques »100 (Mathieu, 1991 ; Ortner, 1998 ; Tabet, 1998). La

construction sociale de l’image des femmes ainsi que celles des sciences, auraient engendré un stéréotype féminin centré sur des caractéristiques affectives qui rapporteraient les femmes « à

leurs rôles d’épouse et de mère : docilité, sensibilité, émotivité, préoccupation des sentiments d’autrui »101 tandis que l’imaginaire du scientifique s’apparenterait à de nombreux traits

stéréotypiques dits masculins : « ambitieux, combatif, audacieux, froid, indépendant, logique,

rationnel, obsession de l’objet au détriment de la relation. ».102 (Bem, 1974 ; Hurtig &

Pichevin, 1986 ; Marro, 1992).

En ce qui concerne le rapport entre le secteur de l’informatique et les femmes, nous pouvons retrouver une croyance partagée par nos interviewés sur le fait que l’informatique ne serait pas « sexy » pour les femmes selon Alix ou encore « glamour » pour Mathilde, sauf si celui-ci est rattaché à une autre compétence, ou un autre domaine qui lui « parlerait plus » comme le graphisme par exemple.

Aussi, pour la majorité des interviewés un développeur et une développeuse ont les mêmes caractéristiques à avoir pour évoluer dans leur métier. Plus de la moitié des interviewés ont également déclaré avoir des clichés et des préjugés sur l’imaginaire de la développeuse. Pour Alix, la développeuse aurait « l’image négative de la fille première de classe […] Après c’est

un peu pareil que développeur, c’est un peu les gens qui sont très intelligents mais un peu bizarres. Un côté geek un peu. ». La développeuse aurait des stéréotypes partagés avec le

développeur vu comme introverti dans le sens où elle serait « discrète », « un peu timide, pas

très à l’aise socialement » déclare Alix qui relativise par la suite ses propos : « Après c’est vraiment les gros clichés qu’on a sur les développeurs en général. Ce ne sont pas des personnalités très exubérantes. » Aussi, la femme développeuse serait traditionnellement et

culturellement associée à des codes non pas féminins, sinon masculins selon Lucie : « c’est

souvent l’image de la fille geek pas très sexy et pas très sympa et en fait on n’a pas envie de ressembler à ça », voire des stéréotypes de femmes associées à l’imaginaire de la contre-

culture : « en gros si je veux être geek il faut que je sois gothique ». A l’instar de l’imaginaire de la développeuse « marginale » qui circule au sein des productions culturelles, telle que Lisbeth Salander, héroïne de la série de romans Millenium103 de Stieg Larsson que nous avions

étudiée précédemment à l’aune des recherches d’Isabelle Collet.

Cet imaginaire de « développeuse marginale » se retrouve notamment dans l’exemple de la « Barbie développeuse » mise en vente en 2016 par Mattel, qui a les cheveux rouges et connote

100 Ibid p. 18 101 Ibid. 102 Ibid. 103Ibid

ainsi une certaine « marginalité ». En outre, des polémiques se sont élevées sur le fait qu’elle soit représentée avec des vêtements perçus comme « peu féminins » (jean et basket en l’occurrence), ce qui véhiculerait le stéréotype de la femme développeuse qui ne peut être féminine dans ce milieu hégémoniquement masculin comme nous pouvons le voir sur la figure 2.

Figure 2 : La « Barbie développeuse » sortie en 2016 par la société américaine de jouets, Mattel

Malgré sa volonté d’offrir des nouveaux modèles d’identifications possibles aux jeunes filles avec la représentation des femmes évoluant au sein du secteur du numérique au travers de la Barbie développeuse, ce n’est pas la première fois que Mattel fait polémique avec ses Barbies stéréotypées. En effet, cela serait oublier la polémique provoquée par le livre « I can be a

computer engineer »104 relatant les histoires de la « Barbie ingénieure informaticienne » sortie

en 2010 par Mattel. Rédigé par Susan Marenco, ce livre relatait l’histoire de cette « Barbie ingénieure informaticienne » qui souhaitait créer un jeu vidéo et qui déclarait : « Je vais

seulement m'occuper du design. J’ai besoin de l'aide de Steven et de Brian pour en faire un vrai jeu. »105. Soit une nouvelle illustration de l’imaginaire de la « demoiselle en détresse »

104 CHATELLIER Anaïs, « La Barbie ingénieure informaticienne ne passe pas », Konbini, [En ligne]

http://www.konbini.com/fr/tendances-2/barbie-ingenieure-informaticienne-polemique/, mis en ligne en 2014, consulté le 23 septembre 2018

dépendante des hommes pour se servir d’un ordinateur. Ces stéréotypes de genre ont notamment été moqués et détournés par Casey Friesler, une étudiante en informatique qui s'est amusée à réécrire l'histoire comme si Barbie était, cette fois, une vraie experte en la matière, dans un post intitulé "I (really!) can be a computer engineer"106.

Néanmoins ces stéréotypes ne sont pas figés et il est possible de noter que comme dans le cas de l’imaginaire du développeur, celui de la femme développeuse est reconfiguré par les nouvelles formations au numérique comme le relate Mathilde : « avant la formation j’avais

l’idée d’une développeuse un peu mec, c’est un peu bête, mais en tout cas qui s’entend bien avec les mecs […] mais qui a un peu des sensibilités pareilles que les hommes, parce que j’avais l’impression que c’était encore ce monde fermé ». Selon elle, le fait de rencontrer différents

types de développeuses lors de la formation a relativisé les stéréotypes qu’elle avait : « aujourd’hui après la formation, en ayant rencontré toutes ces filles qui étaient avec moi, qui

venaient du graphisme, de carrément autre chose, je me rends compte que non en fait, la nana développeuse n’est pas forcément masculine, même si ça sera plus facile en étant masculine je pense ». Aussi, la développeuse bénéficierait d’une image plus positive contrairement au

développeur selon Xuan qui l’imagine « plus moderne que le développeur (rire) je ne sais pas

pourquoi. Déjà je n’ai pas la représentation du geek figée […] J’imagine une étudiante, enfin une étudiante en ingénierie, numérique ou ce genre de chose. ». Enfin, les étudiantes de l’École

42, Fabienne et Laurette ajoutent que les femmes développeuses ont plutôt une « une bonne

image » et qu’elles seraient plutôt « appréciées ». Selon elles, pour évoluer dans ce métier, elles

préconisent d’être « passionnée, acharnée et ouvert d’esprit » mais « avec une force mentale

en plus ! » liée au fait d’être une femme dans ce milieu masculin.

En effet, il existe encore de nos jours des stéréotypes qui associeraient les hommes aux sciences et les femmes à des métiers plus liés à l’affect. Sans vouloir généraliser, Fabienne déclarait d’ailleurs que « tout ce qui est scientifique attire moins les femmes en général à part le

laboratoire. ». Benoît Le Blanc avait d’ailleurs souligné le fait que les femmes seraient plus

nombreuses dans les métiers liés aux biotechnologies par exemple. Isabelle Collet avait souligné l’impact de l’imaginaire encore présent de la répartition socio-sexuée des savoirs qui déciderait « quels faires et quels savoirs sont légitimes pour chaque individu selon son sexe et

son origine sociale. »107 (Mosconi, 1994). En effet, de par les constructions sociales, des

stéréotypes dits « innés » de l’émotivité associés aux femmes et ceux liés à la logique et au

106 Illustration disponible en annexe 7 107 Ibid. p. 18

rationnel associés aux hommes demeurent encore présents. Cette fausse idée est nuancée selon Mathilde : « Le code n’est pas forcément lié aux mathématiques, mais lié à la logique et pour

y avoir un peu réfléchi, je pense que la logique est souvent liée aux hommes, alors que c’est faux. Mais voilà je pense qu’on se dit beaucoup que la nana elle est dans l’émotionnel, le mec sera dans la logique, dans le carré et tout ça. ». Elle relativise ses propos en faisant une

distinction entre le « front » et le « back » du code informatique qui serait lié non pas au genre de la personne mais à ses sensibilités : « J’ai vu des Wilders [élèves de la Wild Code School]

hommes être incapables de logique et avoir beaucoup de sensibilité, et à l’inverse des femmes qui ne feront jamais de front car associer des couleurs, c’est pas du tout leur truc. Mais par contre le back, parce que c’est carré, parce que c’est comme ça, elles y vont direct. ».

Néanmoins, ces fausses idées reçues sur des compétences ou des traits de caractères associés aux hommes ou aux femmes restent problématiques car ils trouvent notamment leurs origines dès le plus jeune âge à travers l’éducation qui peut conduire à une orientation dite « genrée ».