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Un imaginaire qui se reconfigure dans les « nouvelles écoles du numérique »

1. Imaginaire du développeur

1.2 Un imaginaire qui se reconfigure dans les « nouvelles écoles du numérique »

A travers nos entretiens qualitatifs, nous avons pu constater que les stéréotypes associés aux développeurs ne sont pas uniquement péjoratifs. Un des traits mis en avant est notamment celui de la créativité ainsi que l’aspect collaboratif lié à son métier.

Toutes deux ayant travaillé chez Simplon, une entreprise sociale et solidaire qui forme aux métiers du numérique (elle peut aussi être considérée comme une « nouvelle école du numérique »), Claudine et Lucie ont mis en avant la créativité en tant que compétence importante pour le développeur, ce qui pourrait aller à l’encontre du stéréotype du développeur froid, fermé d’esprit et cartésien. Claudine met notamment en avant la capacité à collaborer du développeur ainsi que l’autonomie qu’il a dans son travail.

L’ensemble des interviewés avait conscience des préjugés et des fausses idées qui entouraient l’imaginaire du développeur, notamment Marie-Pierre Cuminal : « L’image du geek enfermé

dans son bureau, c’est des préjugés et des fausses idées de ce que sont les métiers du numérique et du codage. Or le numérique ça ne se limite pas à ça. Pour moi c’est lié à ça. ». Un constat

partagé par Isabelle Collet dans ses entretiens qui avait remarqué que bien que le fait que la vision de l’informaticien asocial, qui programme toute la journée, soit rare et bien peu représentative du métier en entreprise, « dans les questionnaires, deux aspects essentiels des métiers de l’informatique qui sont la communication et le travail d’équipe, disparaissent presque complètement, cités par moins de 10 personnes sur 363. La constante évolution du secteur, la nécessité de veille technique ne sont citées que par une dizaine d’étudiants-e-s. Deux

95 LARROQUE Emmanuelle, PACI Paola, PICHOT Laure, Social Builder, Rapport « Sexisme dans les formations

tech et numériques : vrai ou faux ? », octobre - novembre 2017, [Téléchargeable en ligne] https://socialbuilder.org/wp-content/uploads/2017/11/Cliquez-ici-pour-lire-l%C3%A9tude-compl%C3%A8te- 5.pdf, consulté le 20 juillet 2018, p.18.

étudiants parlent d’images sur ordinateur. En tout, le mot « internet » n’a été employé que onze fois. ». Il est ainsi intéressant de constater qu’au contraire, au cours de nos enquêtes qualitatives

nous avons pu constater que les « nouvelles » écoles de formations au numérique comme Simplon ou la Wild Code School, reconfigurent cet imaginaire via des formations avec des profils plus diversifiés (notamment des personnes en reconversion) mais aussi à l’aide d’un discours orienté sur les différentes facettes des métiers du numérique.

Ancienne postière, Mathilde relatait par exemple que lors de son entretien pour intégrer la Wild Code School, elle avait directement revendiqué la non-association à cette image de geek : « je

l’ai clairement dit : voilà moi je ne serai pas une geek, et je ne serai pas 24H/24H sur mon ordinateur ». Selon elle, cette image du geek asocial qui imprègne l’imaginaire du développeur

web serait légèrement en train d’être modifiée, notamment à travers des formations qui accueillent des personnes souvent en reconversion et qui apportent ainsi des expériences et des points de vue pluridisciplinaires : « on venait tous d’univers différents, on a tous des profils

vraiment différents » racontait Mathilde en parlant de sa promotion à la Wild Code School.

Un constat notamment partagé par Lucie et Fabienne, qui se sont aussi reconverties dans les métiers du développement web. Selon elles, le stéréotype du geek ne serait plus dominant au sein des promotions de l’École 42 : « il y en a, mais pas tant que ça, il y a beaucoup de

reconversions, du coup il y a plein de monde qui a plus de 24-25 ans et qui sont plus matures etc. et puis non y en a mais à peine 20% de geek derrière leur écran. » Aussi, selon Mathilde,

ce n’est pas uniquement la vision du développeur qui est reconfigurée, sinon la vision de la personne qui travaille dans le secteur numérique en général. Elle avait toujours eu cette image du « mec tout seul dans sa cave qui te monte un programme » soit l’imaginaire du self-made man américain qui s’incarne par exemple à travers la figure de Bill Gates ou de Mark Zuckerberg, que nous étudierons dans un second temps.

Enfin, nous pouvons supposer que ces « nouvelles écoles » de formations au numérique cherchent à mettre en avant l’aspect collaboratif pour attirer plus de personnes, notamment des femmes, et rompre avec le stéréotype de l’asocial étudié précédemment.

C’est le cas de la Wild Code School, qui, selon l’ancienne étudiante Mathilde, mettait en avant l’aspect collaboratif du développement web pour attirer de nouveaux profils : « on nous a

présenté le code en entreprise, et en entreprise, je serai forcément en équipe à moins d’être dans une startup. En fait t’as deux profils, t’as le profil d’une startup où même là normalement tu n’es pas tout seul, t’es un ou deux, mais en gros tu vas avoir un peu beaucoup de charge sur

les épaules […]et tu as l’autre profil où là t’es en équipe de cinq, six, comme on a fait pour les projets que je te disais, où là c’est de la collaboration totale ». Cette mise en avant de l’aspect

collaboratif peut s’illustrer à travers la promotion du travail en équipe et de l’organisation du travail à travers des méthodes agiles telles que le Scrum par exemple. Soit une certaine forme de sociabilité qui est mise en avant afin de contrebalancer l’imaginaire d’insociabilité et de solitude traditionnellement associé aux développeurs. Enfin, la Wild Code School propose des hackathons, soit un événement où « un groupe de développeurs volontaires se réunissent pour

faire de la programmation informatique collaborative, sur plusieurs jours »96. Pour Mathilde,

il s’agissait d’un évènement qui symbolisait réellement l’aspect collaboratif, créatif et relationnel entre les développeurs : « on a fait des hackathons des trucs où tu ne dors pas. Je

n’ai pas dormi et tout mais parce qu’il y a une équipe, un besoin et parce que t’as envie de te tuer dessus ».

L’imaginaire associé au développeur est donc reconfiguré dans une certaine mesure à travers les nouvelles écoles du numérique. En effet, la représentation du geek n’est pas figée à celle d’un homme froid, asocial et fermé d’esprit. Elle se reconfigure à travers la mise en avant des aspects collaboratifs et créatifs liés à ces métiers ainsi que les nouveaux profils en reconversion d’élèves qui intègrent les nouvelles écoles du numérique telles que Simplon.co, l’École 42 ou la Wild Code School par exemple.

Synthèse

Une ambivalence imprègne l’imaginaire du développeur et de la culture geek, en tant que partie intégrante du secteur du numérique (jeux vidéos par exemple). Cette culture peut être dans certains cas « répulsive » pour les femmes dans la mesure où ce sont les stéréotypes négatifs ou sexistes associés aux femmes qui sont mis en avant (hypersexualisation des corps et imaginaire de la « demoiselle en détresse » dans les jeux vidéos). Néanmoins il ne faut pas réduire cette culture geek aux polémiques qu’elle suscite sinon la voir comme une culture qui est en perpétuel mouvement et qui se reconfigure, tout comme l’imaginaire du développeur. En effet, l’imaginaire du développeur asocial est reconfiguré à travers des nouveaux organismes de formations qui rassemblent des personnes en reconversion avec des profils différents. Pour attirer plus de femmes ou d’hommes vers ces métiers, ces nouvelles écoles du numérique, telles que la Wild Code School ou l’École 42, mettent en avant l’aspect collaboratif du développement (méthodes de travail agiles, hackathon…) qui contraste avec la solitude associée au développeur

« seul face à son écran » et proposent aussi de modifier la représentation de ces métiers afin qu’ils ne soient plus immuablement liés à la programmation.

Est-ce suffisant pour attirer plus de femmes dans le secteur du numérique ? Qu’en est-il de l’imaginaire de la femme développeuse ? Nous allons désormais nous pencher sur cet imaginaire ainsi que les raisons qui pourraient mettre en lumière le manque de représentation des femmes au sein de ce secteur.