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Réintroduction les femmes dans le savoir : le levier de Wikipédia

2. Savoir et numérique : où sont les femmes ?

2.3 Réintroduction les femmes dans le savoir : le levier de Wikipédia

Considérée comme une référence internationale, l’encyclopédie en ligne Wikipédia est le symbole d’une « porte d’accès à la connaissance pour 475 millions de visiteurs chaque mois »157 et incarne ainsi un lieu de pouvoir, de savoirs et in fine d’influence sur les mentalités.

Malheureusement, cette encyclopédie en ligne compterait seulement 18%158 de biographies

dédiées à des femmes et compterait 90%159 d’hommes parmi ses contributeurs, soit ceux qui

produisent et diffusent le savoir à travers les articles écrits bénévolement. Un problème compliqué à résoudre selon Sue Gardner, alors directrice de la fondation américaine qui déclarait : « Je n’arrive pas à résoudre le problème. Nous n’y arrivons pas. La Wikimedia

Foundation n’a pas pu le résoudre. La solution ne viendra pas de la Wikimedia Foundation. »

Malgré des initiatives pour atteindre 25% de contributrices en 2015, tels que des « edit-a-thons » organisés dans différents pays pour encourager les femmes à éditer Wikipédia, la part de contributrices plafonne à environ 10%. Les raisons avancées sont diverses (« atmosphère

misogyne, réticence à participer aux guerres d’édition, conviction que leurs contributions seront supprimées... »160) mais aussi relèvent parfois d’arguments sexistes tels que le « manque

de compétences techniques des femmes ». En outre, des initiatives comme le projet international

156 Ibidem.

157 LAURENT Annabelle, « Wikipédia : un bot suggère des pages pour les scientifiques oubliées », Usbek & Rica,

[En ligne] https://usbeketrica.com/article/wikipedia-bot-pages-femmes-scientifiques-oubliees, mis en ligne le 17 août 2018, consulté le 18 septembre 2018

158 Ibid. 159 Ibid. 160 Ibid.

« Les sans pagEs »161 (figure 4) œuvre pour lutter contre la « sous-représentation » des femmes

sur Wikipédia en proposant divers outils et espaces de réflexion pour créer des pages Wikipédia aux femmes ayant marquées des domaines de connaissances dans l’histoire.

Figure 4 : Capture d’écran de la page Wikipédia du projet « Les sans pagEs »

Aussi, ces initiatives ne s’arrêtent pas là et pour faire face à ce phénomène, la technologie est pensée pour être mise au service de la réhabilitation des femmes à travers la mise en visibilité de leurs apports scientifiques trop longtemps occultés. C’est l’exemple récent d’une intelligence artificielle pensée en tant que « technologie à la recherche du savoir et de la contribution des femmes invisibilisées ». Nommé Quicksilver, il s’agit d’un logiciel développé par le chercheur John Bohannon, suite à sa rencontre avec la physicienne Jess Wade. Ce logiciel a été conçu pour qu’il soit en mesure de parcourir des milliers de publications scientifiques et qu’il puisse repérer les chercheurs et chercheuses n’ayant pas de page Wikipédia. Ce logiciel a notamment été pensé en plusieurs étapes nécessaires à l’identification des « scientifiques oubliées et oubliés » : « La première étape a été d’entraîner les algorithmes à repérer dans les articles le

nom de chercheuses et chercheurs ayant une page Wikipédia. Le logiciel a ensuite croisé les pages Wikipédia avec une liste, issue d’un moteur de recherche académique, Semantic Scholar, de plus de 200 000 auteurs scientifiques. Le logiciel a également été entraîné à écrire des petits textes biographiques à partir d’exemples tirés d’une collection de 500 millions d’articles d’actualité. »162

161Wikipédia, « Projet : Les sans pagEs », [En ligne] https://fr.wikipedia.org/wiki/Projet:Les_sans_pagEs,

consulté le 18 septembre 2018

Le résultat était édifiant : « nous avons trouvé 40 000 personnes absentes de Wikipédia ayant

une exposition médiatique similaire à celle de personnes ayant une page sur Wikipédia. Quicksilver a doublé le nombre de scientifiques éligibles à un article, en une nuit », expliquait

le concepteur du logiciel John Bohannon qui a souligné qu’il faudrait néanmoins rester prudent avec les biais algorithmiques.

Synthèse

Nous avons étudié la manière dont les femmes ont été historiquement « exclues » de l’accès au savoir scientifique à travers un rappel historique de l’accès des femmes aux disciplines et aux métiers scientifiques et techniques. La contribution des femmes à la recherche et aux métiers scientifiques a été lente et limitée du fait de leur exclusion des enseignements par les hommes, voire de la société patriarcale de l’époque (de la Grèce antique aux premières universités du XIème siècle interdites aux femmes). Tout d’abord cantonnée à leur rôle de mères dans la sphère privée, le fait d’être une femme a été historiquement discriminant pour évoluer au sein des disciplines scientifiques. Le chemin vers l’égalité des chances a ainsi été long et il a fallu attendre le XIXème pour que l’accès et la reconnaissance des femmes se fassent progressivement et de manière limitée. En effet, les contributions scientifiques de nombreuses femmes auraient été invisibilisées voire minimisées (« l’effet Matilda » par exemple). Le pouvoir lié aux métiers scientifiques a ainsi été historiquement et inégalement réparti entre les hommes et les femmes qui ont été discriminées (« l’effet de harem » avec les Harvard Computers par exemple). Une certaine catégorie de métiers était historiquement « attribuée » aux femmes et des stéréotypes de genre étaient associés aux métiers scientifiques. L’histoire du savoir et des femmes dans les sciences a ainsi été marqué par la pensée patriarcale du XXème siècle qui associaient les femmes à des métiers genrés. Aussi, de nos jours des initiatives protéiformes se créent pour réhabiliter les femmes dans le savoir.

A l’instar d’hommages aux pionnières de l’informatique avec l’association Talents du numérique qui propose des portraits de femmes qui ont marqué le numérique (d’Ada Lovelace à Hedy Lamarr etc.) ou encore des prix qui sont remis en leur hommage (le Grace Murray Hopper de l'Association for Computing Machinery ou encore les Margaret qui sont remis lors de Journée de la Femme Digitale). Outre le fait de réhabiliter dans un premier temps les femmes historiquement invisibilisées, des initiatives cherchent aujourd’hui à représenter les femmes qui évoluent actuellement au sein du secteur du numérique, représenté en grande majorité par des figures d’hommes. Pour ce faire, des initiatives en ligne cherchent à « réintroduire » les femmes dans le champ des savoirs, notamment à travers le levier de l’encyclopédie en ligne, Wikipédia.

Considérée comme une référence internationale, l’encyclopédie en ligne Wikipédia est le symbole d’une « porte d’accès à la connaissance pour 475 millions de visiteurs chaque mois » et incarne ainsi un lieu de pouvoir, de savoirs et in fine d’influence sur les mentalités. Malheureusement, cette encyclopédie en ligne compterait seulement 18% de biographies dédiées à des femmes et compterait 90% d’hommes parmi ses contributeurs.

Des initiatives se créent donc pour lutter contre la « sous-représentation » des femmes dans le « savoir en ligne » : les 270 profils Wikipédia de femmes scientifiques contemporaines créés par la physicienne Jess Wade, des « edit-a-thons » organisés par Wikipédia, le projet international « Les sans pagEs » ou encore le logiciel Quicksilver du chercheur John Bohannon. Il s’agit d’une intelligence artificielle pensée et conçue pour parcourir des milliers de publications scientifiques et repérer les chercheurs et chercheuses n’ayant pas de page Wikipédia.

Ces initiatives reflètent ainsi des tensions entre la visibilité du savoir et in fine, la circulation du pouvoir. Il existe des luttes de savoir-pouvoir historiques et actuelles entre les hommes et les femmes (exemple du « mansplaining ») qui sont véhiculées non seulement au sein du secteur du numérique, sinon au niveau sociétal et qui impactent les représentations sociales.

La problématique posée ici est celle la visibilité et de la légitimisation des femmes dans un lieu de pouvoir et de savoirs scientifiques et in fine, lié au secteur du numérique. A travers ces initiatives « en ligne », la question de la « réhabilitation » des femmes dans le savoir scientifique est appréhendée via le canal de l’encyclopédie en ligne Wikipédia à travers, le projet « Les sans pagEs », le logiciel Quicksilver ou encore l’initiative de la physicienne Jess Wade. Dans la tribune « Why we’re editing women scientists onto Wikipedia » publiée dans Nature le 14 août 2018, Jess Wade déclarait « Nous n'avons pas besoin d'attendre qu'un

blockbuster soit réalisé ou qu'un livre soit écrit sur la prochaine Marie Curie. Avec Wikipédia, nous pouvons raconter ces histoires nous-mêmes. »163 Soit une mise en avant de savoirs

féminins invisibilisés et d’une autre forme de « rôles modèles » qui pourront attirer des jeunes femmes et les aider à appréhender la multiplicité des contributions féminines dans l’histoire à travers ces connaissances scientifiques et techniques. Néanmoins ce pouvoir est également véhiculé et incarné à travers la sphère publique, notamment médiatique et culturelle.

Comment donc réhabiliter les femmes dans le « savoir » qui circule dans le secteur du numérique, afin de « distribuer » ce pouvoir et qu’il ne soit pas seulement aux mains des hommes dans la sphère publique, médiatique et culturelle ?