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2. Savoir et numérique : où sont les femmes ?

2.1 Invisibilisation historique des femmes dans le savoir

Cette notion d’invisibilisation des femmes du savoir qui s’incarnerait à travers des connaissances intimement liées aux hommes se retrouve dans le concept de « l’effet Matilda » qui renvoie au « déni ou la minimisation des contributions des femmes scientifiques à la

recherche »144. L’effet Matilda, nommé en mémoire à une militante des droits des femmes

américaine, Matilda Joslyn Gage, a été conceptualisé par l’historienne de la science Margaret W. Rossiter qui déclarait en 1993 : « Il faut reconnaître, faire remarquer et mettre en lumière

le sexisme qui préside à la dévalorisation systématique des femmes dans la sociologie de la connaissance ou de la science, comme un « effet » nommé »145. En outre, nous avions pu étudier

l’imaginaire du développeur et du secteur du numérique comme essentiellement lié aux hommes, néanmoins de nombreuses femmes ont marqué ce secteur, de Grace Hooper à Ada Lovelace, mais ces contributions féminines auraient été minimisées, voire invisibilisées. Afin d’étudier ce phénomène, nous allons procéder à un bref mais nécessaire rappel historique de l’accès des femmes aux disciplines et aux métiers scientifiques et techniques.

Historiquement, la contribution des femmes aux disciplines scientifiques et à ces métiers a été lente et limitée du fait de leur exclusion des enseignements scientifiques par les hommes, voire de la société patriarcale de l’époque. Ce phénomène se retrouve dès la Grèce antique146 dans

les récits d’Homère qui relatait le cas de la première femme médecin à pratiquer légalement, à Athènes, en 350 av. J.-C, Agnodice, qui devait se déguiser en homme pour suivre les cours de médecine. En Europe Médiévale, outre la rareté des cas de femmes qui participaient aux découvertes scientifiques, celles-ci étaient considérées comme non légitimes et « mentalement

incapables de tenir une position d'autorité »147 selon saint Thomas d'Aquin.

Aussi, les femmes ont été exclues de l’accès au savoir, notamment lors de l’émergence des premières universités au XIème siècle, avec parfois des exceptions comme l’Université de Bologne qui, dès sa fondation en 1088, a permis l’accès des femmes aux cours. Néanmoins jusqu’au XXème siècle, les femmes étaient exclues des académies de prestige liées à la révolution scientifique des XVIème et XVIIème siècles ou encore, non bienvenues à la Royal

144BROUZE Emilie, « L'effet Matilda ou le fait de zapper les découvertes des femmes scientifiques », Le Nouvel

Observateur, [En ligne], https://www.nouvelobs.com/rue89/notre-epoque/20180323.OBS4076/l-effet-matilda-ou- le-fait-de-zapper-les-decouvertes-des-femmes-scientifiques.html, mis en ligne le 25 mars 2018, consulté le 12 septembre 2018

145Ibid.

146Wikipédia, « Place des femmes en sciences », [En ligne]

https://fr.wikipedia.org/wiki/Place_des_femmes_en_sciences, consulté le 20 septembre 2018

Society de Londres ou à l'Académie des Sciences par exemple : « la plupart des gens

du XVIIème siècle voit une vie consacrée à tout type d'érudition comme étant en contradiction avec les tâches domestiques que les femmes sont appelées à accomplir. »148 Par la suite, le

XVIIIème siècle est ambivalent dans le sens où les femmes connaissent de grands progrès en science mais les rôles de genre demeurent stéréotypés. Les femmes ont davantage accès aux droits qui leur étaient auparavant refusés, néanmoins elles sont considérées comme mentalement et socialement inférieures à eux.

Le fait d’être une femme reste ainsi historiquement discriminant pour évoluer au sein des disciplines scientifiques. Cela s’illustre par exemple dans les écrits de Voltaire en 1749 à propos de la mort de la mathématicienne Émilie du Châtelet : « J'ay perdu un amy de vingt-cinq années,

un grand homme qui n'avoit de défaut que d'être une femme, et que tout Paris regrette et honore »149. Le chemin vers l’égalité des chances a ainsi été long et il a fallu attendre le XIXème

siècle pour que l’accès et la reconnaissance des femmes se fassent progressivement : en 1816, la mathématicienne et philosophe Sophie Germain est admise à l’Académie des sciences jusqu’alors interdite aux femmes, en1903 Marie Curie est la première femme à recevoir le prix Nobel, ou encore en 1963, Valentina Terechkova est la première femme dans l'espace.

Le pouvoir lié aux métiers scientifiques a ainsi été historiquement inégalement réparti entre les hommes et les femmes. Cette discrimination a notamment été étudiée sous la forme de phénomène sociologique observé en science tels que l’« effet de harem » » qui consiste au fait « qu'un homme scientifique, en position de pouvoir, s'entoure majoritairement dans son groupe

de recherche de femmes occupant des positions subordonnées. »150. A titre d’exemple, les

Harvard Computers ou « calculatrices de Harvard », Williamina Fleming, Annie Jump Cannon pour ne citer qu’elles, étaient employées par Edward Charles Pickering, directeur de l'observatoire de l'université Harvard de 1877 à 1919. A cette époque, ces femmes étaient payées de 25 à 50 cents de l’heure (autant qu’une ouvrière) et recruter des femmes plutôt que des hommes pour effectuer des traitements d’importantes quantités d’informations permettait ainsi de composer une plus grosse équipe avec le même budget. Outre l’aspect financier, un des arguments, et stéréotype genré, avancé à cette époque était le fait que « le risque de conflit au

148 Ibid. 149 Ibid.

150Wikipédia, « Effet de harem », [En ligne] https://fr.wikipedia.org/wiki/Effet_de_harem, consulté le 20

sein de l'équipe était jugé plus faible, les femmes étant considérées moins susceptibles d'entrer en compétition entre elles, par rapport à un groupe d'hommes occupant le même poste »151.

A titre d’exemple, un article du magazine américain Cosmopolitan qui publiait un article édifiant en 1967, intitulé « The Computer Girls » à propos de l’arrivée des femmes dans les métiers « dits masculins » comme nous pouvons le voir dans l’annexe 10 :

Annexe 10 : Capture d’écran de l’article "The Computer Girls" du magazine américain Cosmopolitan, publié en avril 1967 (version intégrale en annexe 10)

Cet article mettait en exergue les stéréotypes de genre associés aux métiers scientifiques à cette époque : « Twenty years ago, a girl could be a secretary, a school teacher… maybe a librarian,

a social worker or a nurse. If she was really ambitious, she could go into the professions and compete with men… usually working harder and longer to earn less pay for the same job. » Cet

article montrait alors qu’une certaine catégorie de métiers était historiquement « attribuée » aux femmes et que si celles-ci étaient « vraiment ambitieuses », elles pouvaient rejoindre des professions où elles seraient en compétition avec des hommes. Une notion de compétition et de pouvoir de fait directement liée aux hommes et non pas aux femmes.

Cet article met notamment en avant l’arrivée des femmes dans les métiers de l’informatique : « Now have come the big, dazzling computers - and a whole new kind of work for women:

programming. Telling the miracle machines what to do and how to do it. Anything from predicting the weather to sending out billing notices from the local department store. And if it

151Wikipédia, « Harvard Computers », [En ligne] https://fr.wikipedia.org/wiki/Harvard_Computers , consulté le

doesn’t sound like woman’s work – well, is just is.. ». Il est ainsi intéressant de voir qu’à cette

époque, ces métiers ne « semblaient pas être des métiers féminins ». En outre, dans cet article, Grace Hooper, à cette époque membre de l’équipe de programmation de l’Univac, le premier ordinateur commercial réalisé aux États-Unis, comparait la programmation au fait de « planifier

un dîner », soit des stéréotypes de genre naturalisés qui se remarquent ici et qui reflètent la

condition féminine de cette époque : « It's just like planning a dinner […] You have to plan

ahead and schedule everything so it's ready when you need it. Programming requires patience and the ability to handle detail. Women are “naturals”at computer programming.. ». L’histoire

du savoir et des femmes dans l’informatique a ainsi été marqué par la pensée patriarcale du XXème siècle qui associaient les femmes à des métiers genrés. Aussi de nos jours des initiatives se créent pour réhabiliter les femmes dans le savoir.

2.2 Mise en avant du rôle historique et actuel des femmes dans le secteur du