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1. Du féminisme au cyberféminisme

1.2 Le nouveau souffle culturel du cyberféminisme

Pour l’artiste cyberféministe Faith Wilding, pour que le féminisme « soit en adéquation avec

son « cyber-potentiel », il doit s’adapter pour rester en phase avec les mouvements complexes des réalités sociales et des conditions de vie. ». Dans le sens où c’est au cyberféminisme

d’utiliser « les perspectives théoriques et les outils stratégiques du féminisme et de les coupler

aux cyber-techniques afin de se battre contre le sexisme, racisme ou militarisme encodé dans le software et le hardware du Net, politisant ainsi l’environnement. »

Le cyberféminisme établit aujourd’hui de fortes connexions avec le DIY (Do It Yourself) et requiert la « participation active, que ce soit en tant qu’individu ou petit groupe. »202 et

s’incarne à travers l’art cyberféministe lié à des « stratégies esthétiques et ironiques qui sont

les outils intrinsèques d’un nouvel ordre mondial basé sur le pancapitalisme et une importance croissante du design et de l’esthétique » (« 100 Anti-Thèses du Cyberféminisme »). A titre

d’exemple, en figure 6 le projet “My Boyfriend Came Back From the War” (1996) de l’artiste russe Olia Lialina considéré comme un « interactive hypertext storytelling » qui utilise les liens hypertextes et les images (GIF203) pour aborder les difficultés des relations entre hommes et

femmes à travers l’histoire d’un couple, réuni après une guerre et qui a des difficultés à communiquer de nouveau.

Figure 6 : Représentation de l’art cyberféministe avec le projet “My Boyfriend Came Back From the War” (1996) de l’artiste russe Olia Lialina

202 Wikipédia, « Cyberféminisme », [En ligne] https://fr.wikipedia.org/wiki/Cyberf%C3%A9minisme, consulté le

25 septembre 2018

L’artiste nomme notamment ce projet un “netfilm” dans le sens où il s’insère dans la narration cinématographique. En outre, le cineaste Michael Connor écrivait à propos de son travail : "the

work adapts cinematic montage to the web ... separate frames are joined together by HTML code and the browser itself and experienced in both space and in time, employing what Lev Manovich has characterized as spatial and temporal montage.”204. La légitimité de cet art

cyberféministe et du travail de cette artiste ont été notamment reconnus à travers sa sélection lors de la « Net Art Anthology online exhibition »205 organisée par l’organisation Rhizome en

décembre 2016.

En annexe 14, un autre exemple d’art cyberféministe est celui du projet artistique World of

Female Avatars, de l’artiste slovène Evelin Stermitz, dans lequel l’artiste a rassemblé des

citations et des images de femmes du monde entier et les a affichées sur un navigateur web. Ce projet artistique interroge ainsi la relation des femmes avec leur corps en utilisant Internet comme “an artistic survey media as many different entries from different cultures as possible

are collected ”206. Dans la fiche technique de ce projet artistique réalisé en 2006, il est

intéressant de noter qu’il n’est plus question de parler d’instruments (aquarelle, encre etc.) ou encore de supports (toiles, papier etc.) pour caractériser l’œuvre, sinon de la version du logiciel utilisé en tant que nouveau support artistique, ici Adobe Flash 8.

Annexe 14 : Projet “World of Female Avatars” (2006) de l’artiste slovène Evelin Stermit. (Les autres visuels de ce projet sont disponibles en annexe 14.)

204 Wikipédia, « My Boyfriend Came Back From the War », [En ligne]

https://en.wikipedia.org/wiki/My_Boyfriend_Came_Back_from_the_War, consulté le 25 septembre 2018

205 Ibid.

206 STERMITZ Evelin, World of Female Avatars, Java Museum, [En ligne]

L’art cyberféministe s’incarne ainsi à travers l’utilisation des nouvelles technologies (liens hypertextes, GIF etc.) Autrement dit, les pixels sont mis à profit de cet art qui reconfigure la notion d’œuvre : d’une part Internet est pensé en tant que support artistique, d’autre part les nouvelles technologies sont vues comme une nouvelle forme d’outils favorisant l’art et la créativité qui permettent la diffusion du courant cyberféministe.

Aussi, l’esprit du cyberféminisme s’incarne aujourd’hui à travers des nouvelles formes d’actions qui peuvent passer par un lieu, des évènements ou encore une communauté à l’instar du Reset, un hackerspace féministe qui, à travers sa charte, reprend la thèse d’ouverture prônée par les « 100 Anti-Thèses du Cyberféminisme ». Ce hackerspace propose des règles non restrictives qui célèbrent ainsi la multiplicité des publics : « Le Reset est un hackerspace

féministe, participatif et ouvert à tou·te·s, quels que soient leurs âges, identités et expressions de genre, ethnicités, orientations sexuelles et romantiques, handicaps, apparences, capacités, races, religions, statut économique, choix technologiques, niveau de compétences et de connaissances... En participant aux activités qui y sont proposées, vous vous engagez à faire attention aux autres pour que tout le monde puisse se sentir bienvenu·e. »207.

Le cyberféminisme peut aussi s’incarner à travers des communautés telles que l’association les Aliennes qui cherche à « pulvériser les stéréotypes de genre et sensibiliser le grand public à

l’égalité »208. Cette association propose notamment des évènements de rassemblement tels que

le festival Les Aliennes qui est présenté comme un « voyage féministe et artistique à travers

les mondes numériques »209 et qui met en avant « celles·ceux qui s’approprient les outils

digitaux dans toute leur diversité : internet, musique électronique, art numérique, code, réseaux sociaux, jeux vidéos... »210 avec notamment des tables rondes, concerts, ateliers numériques,

stands féministes etc.

Pour finir, cette nouvelle vague du cyberféminisme pourrait s’incarner, selon la journaliste Cecilia D’Anastasio, à travers la technologie de la réalité virtuelle qui serait une piste pour réanimer ce mouvement. Comparé à d’autres technologies, la réalité virtuelle de par l’immersion qu’elle propose permettrait d’offrir une autre « expérience du corps »211 à travers

207 Le Reset, Page « La charte », [En ligne] https://lereset.org/charte.html, consultée le 26 septembre 2018 208 Les Aliennes, Page « Les Aliennes : qui sommes-nous ? », [En ligne] http://www.lesaliennes.org/festival/,

consulté le 25 septembre 2018

209 Ibid. 210 Ibid.

211D’ANASTASIO Cecilia, « Where Is the New Cyberfeminism? », The Nation, [En ligne]

https://www.thenation.com/article/where-is-the-new-cyberfeminism/, mis en ligne le 28 juillet 2016, consulté le 25 septembre 2018

des capteurs, senseurs etc. et « d’habiter temporairement un autre corps que le sien »212. Elle

proposerait ainsi un univers des possibles en termes de représentations en créant des situations telle « qu’une expérience aussi commune que se promener dans une rue sous les regards et les

remarques sexistes » qui serait « une expérience très dure à imaginer pour un homme, la réalité virtuelle pourrait aider à la faire vivre. »213. Soit un outil qui permettrait de sensibiliser le grand

public à des expériences de sexisme vécues par les femmes telles que le harcèlement de rue par exemple.

Ce renouveau du cyberféminisme est ainsi incarné par de nombreuses initiatives plurielles qui revisitent les codes associés à la culture et à l’art, qui est pensé à travers des outils technologiques. Il est possible de recenser une multitude d’actions qui pourraient ainsi porter directement ou indirectement l’esprit du cyberféminisme au sein de la sphère publique et médiatique, à l’instar de l’histoire de la mode du t-shirt « The future is female »214. Il a par

exemple été porté par des figures médiatiques telles que l’actrice et mannequin britannique Cara Delevingne ou encore par Madame Gandhi, une artiste de Los Angeles qui l’a porté lors d’un évènement public (un marathon) et en a fait le titre d’une chanson devenue un symbole. L’artiste déclarait notamment que le futur sera féminin ou ne sera pas, à la condition que l’on considère la féminité en 3D : « Les femmes, comme les hommes d’ailleurs, sont des êtres

humains en trois dimensions, mais les médias nous caricaturent de manière plate, en 2D. Nous devrions être capables d’être nous-mêmes, de nous exprimer, d’assumer nos sentiments et de nous aimer sans être qualifiées de ‘faibles’ »215.

Nous nous limiterons à ces quelques exemples d’initiatives, notre objectif étant désormais d’étudier comment les initiatives qui promeuvent les femmes au sein des métiers du numérique reprendraient ou s’inspireraient des codes du militantisme inhérents à ce mouvement de cyberféminisme.

212 Ibid.

213 DE LA PORTE Xavier, « Être une femme en réalité virtuelle : renouveau du cyberféminisme », Le Nouvel

Observateur, [En ligne] https://www.nouvelobs.com/rue89/rue89-nos-vies-connectees/20161107.RUE4181/etre- une-femme-en-realite-virtuelle-renouveau-du-cyberfeminisme.html, mis en ligne le 7 novembre 2016, consulté le 25 septembre 2018

214 KOSKIEVIC Sarah, « « The Future is Female » : histoire d’un slogan », Usbek & Rica, [En ligne]

https://usbeketrica.com/article/the-future-is-female-histoire-d-un-slogan, mis en ligne le 21 août 2017, consulté le 26 septembre 2018

Synthèse

Afin d’appréhender la question de l’engagement et de la promotion des femmes dans les métiers du numérique, nous avons étudié le mouvement du cyberféminisme, son histoire, ses revendications et sa portée actuelle. Conceptualisé par Donna Haraway en 1984, elle a déconstruit l’opposition faite entre le féminin et la technologie à travers le mythe du cyborg qui permettrait de dépasser les déterminations naturelles (femmes liées à l’émotion, hommes liés à la raison) et représenterait une capacité d’action individuelle et collective à travers une forme d’empowerment, voir de « déterminisme technologique ». Pour elle, le cyberespace est un espace non-sexué où les utilisateurs seraient égaux et jugés par leurs actes et non pas leur genre. A travers ce mythe, Donna Haraway a souligné l’importance que les femmes soient parties prenantes de la révolution technologique et a posé les bases du courant qu’on appelle aujourd’hui le cyberféminisme. Ce courant de pensée lié à l’articulation entre les codes du cyberespace naissant et du féminisme « radical », prend un sens plus pratique en 1991 en s’incarnant notamment à travers une phrase phare du « Manifeste cyberféministe pour le XXIème siècle » publié par le collectif Australien VNS Matrix : « Le clitoris est le lien direct vers la Matrice ». Le cyberféminisme est ainsi un mouvement ouvert, une « célébration de la multiplicité » (« 100 Anti-Thèses du Cyberféminisme ») et incarne une réaction au pessimisme de l’approche féministe des années 1980 qui insistait sur le caractère intrinsèquement masculin de la techno-science et notamment sur la perception que les nouvelles technologies internet seraient des « toys for boys ».

La technologie est vue comme une opportunité à investir pour accéder à l’égalité des sexes et s’incarne à travers la notion d’un réseau « à occuper », soit le Web, qui doit être troublé pour remanier les relations de pouvoir qui les constituent selon la philosophe Rosi Braidotti. Née à l’époque des imaginaires de la contre-culture américaine des années 60, Internet représentait à cette époque le mythe fondateur d’une promesse d’exil et de dépaysement radical que l’on retrouve dans l’essence du cyberféminisme, soit « l’articulation d’un protocole technique, d’une culture de l’échange et de l’innovation collective », comme l’était perçu Internet, selon le sociologue Dominique Cardon.

Considéré comme un espace de créativité artistique et de revendications d’idées politiques ou féministes, cette promesse de « formes inédites de partage du savoir, de mobilisation collective et de critique sociale » s’est amenuisée au fur et à mesure de la massification des usages d’Internet et qu’il soit devenu un espace marchand. Le Web permet aujourd’hui de mener une lutte féministe en ligne classique (sites d’associations, pétitions en ligne etc.) mais selon le journaliste Xavier de La Porte, il ne serait qu’un « média, un espace qui sert à mener des campagnes […] on est très loin d’un mouvement qui aurait fait usage des possibilités de la

technologie en elle-même. ». En outre, il n’incarne pas cet espace rêvé d’émancipation pour les femmes (machismes, insultes sur les réseaux sociaux etc.). En proie aux désillusions, ce mouvement s’est ainsi essoufflé, néanmoins il commence à être réhabilité peu à peu de nos jours et se redéfinit à travers des pratiques artistiques et militantes.

Il s’agit d’un nouveau souffle culturel du cyberféminisme qui s’incarne à travers des pratiques collectives telles que l’art cyberféministe (l’artiste russe Olia Lialina ou encore l’artiste slovène Evelin Stermitz) où Internet est pensé en tant que support artistique. Aussi, l’esprit du cyberféminisme s’incarne aujourd’hui à travers des nouvelles formes d’actions qui peuvent passer par un lieu (le Reset, un hackerspace féministe), des évènements (le festival Les Aliennes), une communauté (l’association les Aliennes), des symboles d’appartenances (la mode du t-shirt « The future is female » porté par des figures médiatiques telles que l’actrice et mannequin britannique Cara Delevingne et la chanteuse Madame Gandhi) ou encore des innovations. La journaliste Cecilia D’Anastasio prend l’exemple de la réalité virtuelle en tant que piste permettant une autre « expérience du corps » pour sensibiliser le grand public à des expériences de sexisme vécues par les femmes telles que le harcèlement de rue par exemple.

2. Nouvelles formes de militantisme pour promouvoir les femmes au sein du secteur du