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Exister médiatiquement : lutter contre le « silence des femmes »

3. Des initiatives de contre-pouvoir médiatiques

3.1 Exister médiatiquement : lutter contre le « silence des femmes »

« Quand il s’agit de rendre silencieuse la parole des femmes, notre culture occidentale a des centaines d’années de pratique »164, relatait Mary Beard, professeure d’humanités à Cambridge

dans son ouvrage Women & Power : a manifesto. Elle a étudié « le silence des femmes », c’est- à-dire « la façon dont les femmes ont été contraintes au silence dans la prise de parole et le

débat public »165. Elle a notamment fait un parallèle avec le scandale de l’affaire Harvey

Weinstein qui a conduit à une libération de la parole des femmes sur le harcèlement sexuel : « le silence des femmes, la brutalité des hommes, la honte comme mécanisme de contrôle,

l’androgynie et l’évitement comme stratégie de survie »166. Des mécanismes « que l’on retrouve

depuis les mythes antiques jusqu’à aujourd’hui dans le rapport des femmes à la sphère publique »167 selon le journaliste Hubert Guillaud qui prenait l’exemple de « Télémaque qui

disait à sa mère de se taire, ou de la déesse Athéna qui incarnait l’autorité au prix du refoulement de ses attributs féminins »168. Mary Beard a mis en exergue d’une part le fait que

les voix des femmes étaient considérées comme « subversives et menaçantes » et que d’autre part, « le silence des femmes était un élément essentiel du pouvoir des hommes »169, notamment

164 GUILLAUD Hubert, « Femme et pouvoir, un manifeste », Internet Actu, [En ligne],

http://www.internetactu.net/a-lire-ailleurs/femme-et-pouvoir-un-manifeste/, mis en ligne le 13 novembre 2017, consulté le 20 septembre 2018 165 Ibid. 166 Ibid. 167 Ibid. 168 Ibid. 169 Ibid.

en étudiant la place des femmes dans la littérature classique. Pour elle aujourd’hui encore, « personne n’entend les femmes mêmes quand elles parlent », ce qui peut être un parallèle intéressant avec le concept de « mansplanation » que nous avions étudié précédemment. Outre le fait de savoir si elles sont entendues, sont-elles déjà représentées dans la sphère publique ?

Fin août 2017, un scandale a ébranlé le secteur du numérique et montré que la représentation médiatique des femmes au sein de ce secteur était… « partielle ». En cause, un article publié par le magazine Capital intitulé « Nos start-up sont enfin prêtes à jouer dans la cour des grands » illustré d’une photo d’entrepreneurs présentés comme les « pépites de la

tech » française, avec uniquement des hommes blancs en jean, assorti d’une chemise,

également blanche telle que l’illustre la figure 5 :

Figure 5 : A gauche, la capture d’écran d’un tweet du magazine Capital avec l’article et la photo des entrepreneurs qui a fait polémique. A droite, un tweet qui illustre la réponse en

image effectuée par des entrepreneuses

Cette représentation de l’entrepreneuriat français qui serait uniquement porté par des hommes a indigné de nombreuses entrepreneuses dont Delphine Rémy-Boutang, la fondatrice de l’agence digitale The Bureau et de la Journée de la femme digitale qui a décidé de riposter, au sens des « résistances » foucaldiennes tel que nous pouvons le voir dans la figure 5. Elle a invité des entrepreneuses à effectuer la même photo, en reprenant les codes (chemise blanche, vue de

la Tour Effeil etc.), afin de représenter les femmes qui innovent dans l’écosystème du numérique. Cette problématique de représentation dans la sphère publique et médiatique induit notamment des enjeux de légitimité et de pouvoir qui traversent le secteur du numérique. En effet, la présence des femmes en tant que « speaker » à des évènements « tech » est notamment un sujet de débat.

Aussi, l’univers de l’entrepreneuriat serait marqué par le sexisme et des discriminations du fait d’être une femme. A titre d’exemple, les femmes lèveraient en moyenne deux fois moins d’argent que les hommes170. Des cas de harcèlements sexuel auraient également été recensés,

une jeune femme avait par exemple reçu un e-mail contenant des sous-entendus sexuels d’une personne de son réseau voulant l’aider pour l’entrée en Bourse de sa société : « Je veux bien

m’occuper de votre introduction en Bourse, et je ne parle pas uniquement de celle-là. ». Un

sujet tabou pour les femmes qui obéirait à une certaine « loi du silence » minimisant le phénomène et faisant notamment écho au manifeste de Mary Beard que nous avons étudié précédemment. Emmanuelle Larroque, directrice de Social Builder, une start-up créée pour promouvoir la mixité dans le numérique, revient sur ce phénomène : « Nous n’avons jamais

reçu de témoignage direct, mais l’omerta en France est telle qu’il est très difficile d’en avoir. Le rapport de force est trop fort. Sans oublier que le numérique est un milieu tout petit. Il est extrêmement difficile pour les femmes de parler ». Aussi, nous analyserons plus précisément

cette situation dans le cadre de la troisième partie de ce mémoire.

Nous pouvons donc supposer que le fait de taire cette problématique conduirait à un cercle vicieux de « non-représentation » des femmes et, in fine, à une forme de « spirale du silence » pour reprendre le concept théorisé par la sociologue Elisabeth Noëlle-Neumann. Cet exemple de la non-représentation des femmes en image mais aussi dans le discours dans le secteur du numérique à travers l’entrepreneuriat, accentuent ainsi des enjeux de pouvoir liés à la circulation du savoir et au concept de légitimité. Quid de la représentation des femmes dans la sphère publique au niveau des « productions culturelles » ?