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3 Reconfiguration de la représentation des femmes dans le secteur du numérique à

3.3 Représentation des métiers du numérique accessibles à toutes

3.3.4 Promouvoir les femmes : du témoignage aux « stories »

Le cinquième axe de ce site internet présente un bandeau nommé « Stories » qui reprend les codes des réseaux sociaux (notamment les stories de Snapchat ou d’Instagram) pour symboliser les témoignages et intéresser un public plus jeune. Nous pouvons de nouveau noter le caractère innovant de la typographie avec les lettres du titre qui sont faites avec des images qui représentent des jeunes filles qui sourient. Cette rubrique présente des verbatims aérés où on

assiste à la mise en avant d’une femme professionnelle qui témoigne avec sa photo accompagnée d’un dessin dont le design peut faire penser à l’imaginaire de la BD ou d’un dessin animé. Il est intéressant de noter que, comparée aux marraines qui témoignent sur le site d’Elles Bougent, la personne qui témoigne ici est présentée par son prénom et non pas par son nom de famille et le nom de son entreprise : « Anne-Laure, Directrice Monde Intelligence Artificielle » par exemple. Nous pouvons supposer qu’il s’agit d’instaurer ici plus de proximité avec les femmes évoluant au sein des métiers du numérique, en mettant seulement la technologie de l’intelligence artificielle en avant et non pas l’entreprise afin d’attirer les jeunes.

Annexe 25 : Capture d’écran d’une des « Stories » présentée sur le site de Talents du numérique (version intégrale disponible en annexe 25)

Cette représentation de la femme développeuse dans l’annexe 25 pourrait à première vue faire penser au stéréotype de la femme marginale associée à la masculinité (cheveux courts), mais au contraire, elle est représentée ici avec un sourire et une typographie « fun et colorée » faite de dessins soit d’éléments qui reconfigurent l’imaginaire de la développeuse et la rendent plus accessible.

Enfin, cette représentation est accompagnée d’un discours qui désacralise tout d’abord le côté « technique » et « opaque » du code informatique : « le code = une recette de cuisine », « avec ou sans maths », « comprendre la magie » et met en avant des compétences en rupture avec l’aspect froid du code : « Curiosité & Créativité ». En outre, à la fin de l’interview-stories, un

« petit lexique » de termes techniques est même proposé afin que ce métier soit compréhensible à toutes et à tous.

Talents du numérique présente ainsi des rôles modèles d’aujourd’hui en utilisant l’architexte des réseaux sociaux (stories, vidéos) mais aussi des rôles modèles d’hier (sous-onglet « Elles ont marqué le numérique » de l’onglet « Femmes et numérique ») que nous étudierons dans la seconde partie de ce mémoire.

Nous pouvons donc constater que ces deux associations, Elles Bougent et Talents du numérique sont unies autour du même engagement : la promotion des femmes dans le numérique, mais que celui-ci se traduit à travers un discours différent : « Rejoins la team » pour Talents du numérique à « Adhérer » en tant que marraine pour Elles Bougent qui pourrait ainsi représenter l’architexte des communautés sur les réseaux sociaux face à l’architexte du militantisme et de l’engagement connoté par les associations. En effet, nous pouvons supposer que le site d’Elles Bougent semble s’adresser plus spécifiquement aux femmes professionnelles, notamment aux marraines alors que Talents du numérique s’adresse globalement aux jeunes filles et garçons afin de leur faire découvrir les métiers du numérique à travers l’innovation et la désacralisation du numérique. En outre, ces deux sites partagent la même volonté de transmission qui se matérialise via les « Stories » sur Talents du numérique et les témoignages sur le site d’Elles Bougent. Le but étant de promouvoir les femmes dans le numérique à travers un discours adapté à la cible choisie et à la mission sociale de l’association. Il est ainsi intéressant de voir que Talents du numérique ne promeut pas la création d’un réseau professionnel, qui connoterait les entreprises, mais d’une équipe appelée « team » (« Rejoins la #TeamTalentsNum »).

En effet, l’association Talents du numérique est représentée via ses publications sur les réseaux sociaux en image et en texte d’abord (Twitter, LinkedIn et Facebook) avec ensuite un petit encadré très court qui adopte un ton « fun » pour favoriser la relation de proximité avec les jeunes : « Une asso qui réunit monde de la formation et entreprises du numérique. Des acteurs

qui t’aident à t’informer pour construire ton parcours ! ». Comme Elles Bougent, Talents du

numérique évoque aussi la notion « d’adhésion » dans le footer qui s’adresse à un public plus institutionnel tels que les adhérents (« Comment adhérer ») ou encore la presse (« Espace Presse ») et ses partenaires mais cette rubrique n’est que très peu visible. En effet, Talents du numérique est surtout incarné par les jeunes qui sont représentés avec les technologies alors que l’association Elles Bougent est incarnée à travers ses marraines et, in fine, leurs entreprises. Ces deux représentations de l’imaginaire de la femme au sein du numérique véhiculées par ces deux associations proposent ainsi de déconstruire les stéréotypes auprès de cibles différentes, à

travers un renouvellement des codes associés aux femmes dans les métiers du numérique et à la promotion de rôles modèles adaptés aux cibles.

Synthèse

A travers l’analyse sémiotique des sites de l’association d’une nouvelle école du numérique (cod[Her] de l’École 42) et de deux autres associations (Elles Bougent et Talents du numérique), nous avons appréhendé la manière dont ces acteurs utilisent leur site internet en tant que medium pour véhiculer et reconfigurer l’imaginaire de la femme au sein des métiers du numérique. Cette représentation est véhiculée à travers des rôles modèles, en tant que porteurs de messages et de valeurs au sens du sociologue Robert K. Merton. Trois types d’imaginaires sont proposés : la figure de la femme développeuse renouvelée mais stéréotypée (association code[Her] de l’École 42), la figure de la marraine en tant que rôle modèle (association Elles Bougent) et la représentation des métiers du numérique accessibles à toutes et tous (association Talents du numérique).

L’association code[Her] promeut la mixité au sein de l’École 42 (utilisation de l’écriture inclusive, volonté de créer un réseau, appel au témoignage, organisation d’évènements externes et internes de sensibilisation) mais cette approche comporte des limites. La représentation de la femme développeuse est incarnée à travers une image porteuse de stéréotypes (mains uniquement représentées avec du vernis et une alliance) et comporte un aspect déshumanisant. Au contraire, les associations Elles Bougent et Talents du numérique vont représenter un imaginaire différent en présentant des rôles modèles féminins positifs et accessibles en s’adressant à des cibles spécifiques. L’objectif étant de faire que les femmes ne soient plus une exception dans les métiers du numérique, sinon qu’elles se sentent davantage représentées et que les jeunes filles puissent se projeter dans ces métiers.

Pour ce faire, Elles Bougent a créé la figure de « la marraine » en tant que rôle modèle pour inciter les jeunes filles à s’orienter vers les métiers du numérique et de l’ingénierie tout en fédérant un puissant réseau intergénérationnel en lien avec des entreprises et en promouvant la notion de transmission d’expériences. Cette association s’adresse davantage aux marraines en créant un sentiment d’appartenance (marqueurs vestimentaires des foulards roses) et en fédérant un réseau professionnel tandis que Talents du numérique s’adressent aux jeunes directement en mobilisant des éléments de langages et les signes différents pour démystifier et attirer les jeunes vers les métiers du numérique. Pour ce faire, l’association utilise les codes symboliques des réseaux sociaux (hashtags, abréviations, notion de communauté) afin de s’adresser à une cible jeune (relation de proximité, tutoiement). Elle promeut la fédération d’une communauté plutôt qu’un réseau, la démystification du numérique et la mise en avant de rôles

modèles accessibles (témoignages via des « Stories »). Ce discours permet de rompre avec les stéréotypes sur l’informatique fondamentalement associé aux mathématiques et d’insister sur la diversité du numérique en tant que secteur qui pourrait convenir à « toutes et tous ».

Chacun de ces sites, à leurs manières, représentent pour faire exister les femmes au sein du numérique et cherchent à favoriser l’identification des jeunes à ces métiers et de les fédérer autour d’une communauté mixte. Il se dégage la volonté de créer un réseau ou une communauté via la promotion de l’interactivité et des échanges (stories, témoignages…) en adoptant les codes utilisés par leurs cibles (jeunes, étudiants et marraines) avec des canaux de communication traditionnels (sondages, email) ou plus innovants (réseaux sociaux).

En conclusion, à travers nos entretiens qualitatifs, nous avons donc pu constater qu’il existe des stéréotypes péjoratifs qui imprègnent l’imaginaire de l’homme développeur et de la femme développeuse (marginale, asociale...). Ces stéréotypes renverraient à des modèles qui ne favoriseraient pas l’identification des femmes à ces métiers et qui pourraient même les freiner dans le choix de leur orientation, néanmoins ceux-ci seraient à relativiser notamment avec les nouvelles écoles du numérique (Simplon.co, Wild Code School) qui mettent en avant l’aspect collaboratif du développement (méthodes de travail agiles, hackathon…) qui contraste avec la solitude associée au développeur « seul face à son écran » et proposent ainsi de modifier la représentation de ces métiers afin qu’ils ne soient plus immuablement liés à des stéréotypes négatifs.

En outre, l’éducation et l’entourage jouent un rôle prédominant dans le sens où ils peuvent véhiculer des stéréotypes de genre (femme liée à l’affect tandis que les hommes auraient plus leur place dans les domaines scientifiques) et ne favoriseraient pas l’orientation des femmes vers les métiers du numérique. Pis, les femmes intérioriseraient des fausses idées sur leurs compétences et s’autocensureraient dans les choix qui touchent à leur orientation et à leur carrière (syndrome de l’imposteur). Enfin, face à l’imaginaire d’un secteur du numérique essentiellement constitué d’hommes qui serait, dans une certaine mesure, « répulsif » pour les femmes (clichés et blagues sexistes, solitude et manque de représentation des femmes), nous avons pu constater à travers nos analyses sémiotiques, que des initiatives en ligne proposées par des associations essayent de proposer des modèles « positifs » et inclusifs qui feraient qu’être une femme dans le secteur de numérique ne relèverait plus de l’exception.

A travers ces trois analyses sémiotiques, nous avons pu étudier la manière dont l’imaginaire de la femme qui évolue au sein des métiers du numérique se reconfigure à travers l’incarnation de

rôles modèles féminins, d’une part avec la figure de la marraine (Elles Bougent), d’autre part avec celle de la développeuse accessible (Talents du numérique). Ces représentations s’affranchissent dans la plupart des cas des stéréotypes traditionnellement associés à la développeuse (marginale, asociale) ou au développement web (univers « froid » et « uniquement » lié aux mathématiques), toutefois ils peuvent encore s’incarner à travers l’imaginaire de la femme développeuse représentée sur le site de l’association de l’École 42 par exemple.

Néanmoins, nous pouvons constater qu’à travers ces trois sites internet, il s’agit ici pour ces trois acteurs de représenter pour faire exister les femmes qui évoluent au sein de ces métiers du numérique, à travers notamment la promotion et la fédération d’un réseau (Elles Bougent), de communautés (Talents du numérique) et ainsi de mettre en visibilité des actions qui débutent par la reconnaissance et le rassemblement de femmes (École 42). Cette volonté de les faire exister en leur donnant une visibilité et un lieu d’expression, de prise de contact et de témoignage permet ainsi de valoriser ces femmes et de déconstruire les stéréotypes négatifs traditionnellement associés à ces femmes ou à ces métiers du numérique, tels que nous avions pu le remarquer dans nos entretiens qualitatifs.

Le levier des « rôles modèles » permet ainsi de reconfigurer la représentation de l’imaginaire des femmes dans le numérique et de faire exister une « minorité » dans une « majorité ». En effet, ces initiatives permettent de favoriser l’identification à ces métiers auprès de jeunes filles ou femmes qui voudraient s’orienter ou se reconvertir vers ces filières mais qui s’autocensureraient ou douteraient de leurs compétences. En effet, comment répondre à cette problématique de manque de légitimé ? Quelles en sont les origines ? Outre la promotion de rôles modèles, le numérique serait-il un lieu de pouvoir traversé par des tensions en termes de savoirs, de discours et, in fine, de légitimité ?

2

ème

section : Des initiatives de « contre-pouvoir »

face à l’hégémonie masculine dans la circulation du

savoir au sein du secteur du numérique

Nous avons précédemment pu étudier l’imaginaire stéréotypé du développeur et de la développeuse ainsi que la manière dont il se reconfigure à travers des initiatives plurielles (site de Talents du numérique, code[Her] et Elles Bougent). Ces représentations « genrées » circuleraient au sein du secteur de l’informatique et feraient « des techniques les plus

performantes, dont l’informatique fait partie, un monopole (relatif) des hommes »129

notamment à cause d’un « rapport social de pouvoir du groupe des hommes sur le groupe des

femmes, qui institue des normes de sexe différenciatrices et hiérarchisantes »130 selon Isabelle

Collet.

Nous chercherons ici à étudier comment ce pouvoir s’incarne au sein du secteur du numérique à travers des imaginaires, des discours et des savoirs. Dans quelle mesure celui-ci pourrait-il être excluant pour les femmes et comment des initiatives, en ligne et hors ligne, comptent réhabiliter les femmes dans cette circulation du savoir liée au numérique ?

Nous étudierons dans un premier temps comment le secteur du numérique et le métier de développeur(se) sont perçus comme un lieu et un métier de pouvoir lié à la maîtrise technique à travers nos entretiens qualitatifs. Dans un second temps nous analyserons la manière dont les femmes ont été historiquement « exclues » de l’accès au savoir scientifique puis « invisibilisées » ainsi que la manière dont des initiatives en ligne cherchent à les « réhabiliter », notamment à travers le levier de l’encyclopédie en ligne, Wikipédia.

Enfin, dans un dernier temps nous étudierons les enjeux liés à la représentation et à la sous- représentation des femmes dans la sphère publique et médiatique ainsi que l’imaginaire lié à la figure de « l’experte » proposé par l’association Girlz In Web, à travers une analyse sémiotique de sa page web « Les Expertes du numérique ».