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3-2 La symbolique des couleurs

8- La solitude du personnage

Il arrive parfois, dans le récit, que le personnage se retrouve seul, pour une raison ou pour une autre, puis cette situation change. Mais dans notre corpus, la solitude de ce dernier est omniprésente : il rêve, il hallucine, il a des visions, il communique avec les objets mais également avec la nature. C’est dans cette perspective qu’il nous semble pertinent d’entamer une étude sur cet aspect.

De nombreuse recherches ont exploré le thème de la solitude du narrateur dans les romans d’Henri BOSCO, notamment l’article de Roger BUIS, « Henri BOSCO, Un Ecrivain pour notre temps »122, ou alors celui de Covadonga Grijalba CASTAÑOS, « L’Observation de l’espace dans l’univers d’Henri Bosco »123. A cet égard, il est incontournable de nous appesantir sur les effets de sens que ce thème imprime dans l’espace domestique.

A ce niveau, le narrateur qui n’est autre que le personnage principal, transmet au lecteur cette solitude qu’il ressent et qui se manifeste dans le récit. D’ailleurs, le postulat ayant trait à la biographie nous amène à poser que cette réitération du champ lexical de la solitude n’est point fortuite. Celle-ci remonte à l’enfance de l’auteur, du temps où les parents de ce dernier partaient pour le travail et confiaient leur unique enfant Henri à sa tante. Cette conception ressort plus tard dans les écrits de l’écrivain ; Daniel WELZER-

122Disponible à l’adresse suivante : Disponplasticites-sciences-arts.org/PLASTIR/Buis.pdf. 123

LANG précise que « Rien n'est anodin, […]. Les événements qui jalonnent nos vies

s'inscrivent à un moment ou à un autre dans nos logements »124. Il en résulte que cette solitude ressentie n’est que la manifestation du mal-être éprouvé antérieurement.

Cette solitude est profusément visible dans presque tous les romans. A titre d’exemple, dans Malicroix, dès les premières pages, le personnage nous informe de sa solitude en déclarant : « Ce Malicroix […], créait en moi une solitude »125, ou encore : « Car j’entrais à mon tour dans la solitude »126, mais avoue l’existence de la « Solitude du

frisson, du froid. Car rien ne donne plus que le frisson, le froid, l’impression de la solitude »127. Le personnage est tellement solitaire que tout autour de lui semble être dépouillé, il précise : « Il n’y a pas deux temps pareils de solitude »128, encore : « Dans

cette maison solitaire »129. Et enfin, il souligne : « Ce toit solitaire au milieu des bois »130. Le même procédé est manifeste dans Un Rameau de la nuit. D’abord à propos de la solitude du personnage, il déclare : « Je les ai réglés de façon à me réserver les avantages

de quelque solitude »131, et ajoute à propos de la solitude de l’environnement : « Le charme

de la place solitaire »132, ou encore : « Un cerf solitaire buvait près d’un saule »133. Enfin, le roman Hyacinthe, dans lequel existe le même procédé, le narrateur avance : « Je

retrouvais la solitude »134. Plus loin, il témoigne : « Cette cheminée lourde me donnait le

124Daniel WELZER-LANG, Jean-Paul FILIOD, Les Hommes à la conquête de l'espace-- domestique: du

propre et du rangé, VLB, 1993, p. 229.

125Henri BOSCO, Malicroix, Op.cit., p. 15. 126 Ibid. 127 Ibid., p. 29. 128Ibid., p. 35. 129Ibid., p. 42. 130 Ibid., p. 61.

131Henri BOSCO, Un Rameau de la nuit, Op.cit., p. 41. 132Ibid., p. 22.

133Ibid., p. 28. 134

sentiment de ma solitude »135. Et enfin, il atteste : « Je ne percevais pas autour de moi

l’étendue d’une solitude, j’étais moi-même la solitude »136.

La solitude du personnage est patente, mais il a semblé nécessaire à l’auteur de nuancer cette perception à ses lecteurs. Le narrateur affirme que le protagoniste n’est, en réalité, jamais seul. Ainsi le personnage est constamment en relation avec ses proches, vivant avec eux ou les sentant présents par la pensée. Dans Les Balesta, le narrateur/personnage principal s’adresse à tous ceux qui le croient seul, il les informe que bien au-delà de toute apparence, il n’est bien évidemment pas livré à lui-même, il est accompagné par ses proches et souligne : « Ah ! Si au-delà du visible, ils distinguaient les

créatures qui me hantent, ils sauraient bien que je ne suis pas solitaire »137. Différents

indices montrent l’enjeu des relations familiales. L’évocation de l’héritage par exemple est le détail par excellence qui illustre ces liens étroits et privilégiés.

Les autres marqueurs attestent de la présence de la solitude, et tout ce qui se rapporte à cet état renvoie à l’absence de sa famille. Dans deux de ses romans, en l’occurrence Les Balesta et Sabinus, l’auteur n’a point évoqué sa solitude en citant sa famille, ses secrets et l’histoire de ses ancêtres ; ainsi, en leur compagnie, il ne se sent plus délaissé. Dès l’incipit du roman Les Balesta, il s’adresse à ses lecteurs en leur annonçant qu’il n’est pas seul : « Si j’étais vraiment seul, tel que les autres croient me voir ?...Ah ! Si

au-delà du visible, ils distinguaient les créatures qui me hantent, ils sauraient bien que je ne suis pas solitaire. Mon isolement, ma sauvagerie s’offrent seulement aux regards sans pénétration »138.

135Henri BOSCO, Hyacinthe, Op.cit., p. 34. 136Ibid., p. 54.

137Henri BOSCO, Les Balesta, Op.cit., p. 15. 138

La solitude du personnage s’apparente à l’absence de sa famille. D’ailleurs, cet état signifie que dans les romans où il n’évoque pas les soubresauts de ses proches, une occurrence lexicale y est associée. Par ailleurs, dans les deux romans cités plus haut, le narrateur n’évoque pratiquement pas un mot sur la solitude. Le lecteur ressent que le personnage/narrateur, en parlant de sa famille, ne se sent plus esseulé et demeure comblé par ses souvenirs et par ses pensées les plus lointaines :

« …Mais je m’aperçois tout à coup que je parle inexactement, car je dis : "nous", alors que je raconte des évènements qui se passaient, il y a de ça un bon siècle, et donc je n’ai pas connu un seul personnage…cependant, je me fais l’effet d’être l’un des leurs. Je les vois si bien que j’oublie les abîmes du temps et de la mort qui nous séparent. De simple historien je deviens acteur. Déjà je prends part à ces vies dont je m’apprête à raconter la modeste histoire…Certes, ces gens, ce sont les miens, aïeuls, aïeules, grands- parents, grands-oncles, tantes et vieux cousinages, mais tous passés dans le pays des Ombres »139.

Dans ce contexte, à travers la présence du pronom possessif « Miens », le personnage marque son appartenance aux siens et à leur passé commun. Il le dit d’ailleurs, « Je m’aperçois tout à coup que je parle inexactement, car je dis : "nous" ». Les gens dont il parle sont morts bien avant sa naissance, c'est-à-dire qu’il ne les a jamais rencontrés, juste entendu parler d’eux, se sentant très proche de ces personnes au point d’imaginer et de sentir qu’il a vécu en leur compagnie. Ainsi qu’il le déclare dans la même citation : « De simple historien je deviens acteur ». Ayant entamé des recherches, on lui a parlé de ses proches, et d’un coup, il se sent vivant auprès de ces gens alors qu’ils sont « Tous passés dans le pays des ombres ». C’est dans cette logique que le narrateur avoue qu’il n’est pas seul. Bien que les apparences soient évidentes, la réalité en est autre.

Quoique le protagoniste soit solitaire, il arrive que des personnages féminins se manifestent dans les romans. Tel est l’objet du point suivant.

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