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DEUXIEME CHAPITRE Anthroponymie romanesque

2- Le nom et ses significations

Elizabeth LEGROS CHAPUIS, dans son article, avance que certaines appellations des personnages n’ont pas de signification, elle souligne que « D’après Ian Watt, poursuit

Vaxelaire, la naissance du roman moderne se fait avec l’abandon des noms signifiants »494. Dans ce sillage, un roman moderne se doit d’avoir des noms sans

signification, qu’ils servent juste à l’appellation et, selon FABRE, « La tâche sera donc de

rendre les noms propres à leur nature d'origine: l'appellatif »495. Le même auteur admet

cette assertion arguant qu’il n’y a, pour l’onomasticien, « pas de noms propres: à partir du

moment où l'on retrouve l'adéquation de départ entre forme, sens et référence, on est retourné à la motivation transparente »496.

Stuart MILL, affirme que le nom propre est un nom donné sans raison et n’implique aucune signification, il ne nous diffuse aucune information, ni sur le personnage qui porte ce nom, ni sur l’intrigue. A ce propos, selon cette conception, ils sont « L’archétype de la constante individuelle. Les noms propres sont des étiquettes qu’on

fixe sur les choses. Ils n’ont pas de sens intrinsèque, dénotent et ne connotent pas […]. Leur contenu descriptif est absolument vide, ils sont purement référentiels »497. Si l’on se réfère à cette citation, on pourrait croire que le choix des noms des personnages est arbitraire.

D’une part, les noms ne sont inventés qu’arbitrairement, et d’autre part, il ne peut être un nom que s’il a une forme et un sens. BENVENISTE partage ce dernier postulat : «Ce qu'on entend ordinairement par nom propre est une marque conventionnelle

494Elizabeth LEGROS CHAPUIS, « Le Jeu des noms : de l’onomastique chez Roger Vailland », disponible à

l’adresse suivante : http://www.roger-vailland.com/Le-jeu-des-noms-de-l-onomastique.

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Paul FABRE, Théorie du nom propre et recherche onomastique, Cahiers de praxématique [En ligne], 8 | 1987, document 1, mis en ligne le 01 janvier 2013, consulté le 30 septembre 2016. URL : http:// praxematique.revues.org/1383, p. 13.

496Ibid. 497

d'identification sociale telle qu'elle puisse désigner constamment et de manière unique un individu unique »498. Selon Yves BAUDELLE, « Le nom de personne (dans le système linguistique du roman), bien qu’arbitraire, n’est cependant pas dépourvu de signification »499. Néanmoins, ce même auteur affirme que cette signification ne prend sens que dans un contexte textuel. Ainsi le nom du personnage n’a «Pleinement sens qu’à la

lumière des relations qu’il entretient avec la pluralité des éléments constitutifs du texte »500.

Pour Philippe HAMON, l’interprétation sémantique qui émane du nom donne un trait de caractère physique ou moral au personnage ou à l’action qu’il va accomplir, elle l’identifie. Selon lui, « Le nom propre du personnage apparaît comme un signe motivé

plutôt qu’arbitraire »501. Parfois même, le sens donné aux noms s’oppose à son sens littéral : d’après Philippe HAMON, la motivation

« Peut aussi prendre son sens rétrospectivement, se donner à déchiffrer, derrière un mode d’apparition plus crypté, une fois l’intrigue lue. Elle peut encore dessiner de fausses pistes, déjouer l’horizon d’attente, devenir le support d’une stratégie réceptive, entre effet de surprise et effet de complexité, à travers les jeux d’un contre emploi »502.

A la lumière de cet éclairage théorique, il convient de noter que le choix des noms des personnages demeure motivé, sans pour autant donner un nom complètement « Transparent »503 dans le sens où sa signification pourrait être apprêtée. L’auteur utilise avec minutie ce procédé, comme il le fait pour l’attribution des rôles et des différentes actions. Il peut aussi attribuer des noms contraires aux rôles que les personnages sont

498

Christine MONTALBETTI, Le Personnage, Op.cit., p. 20.

499Yves BAUDELLE, Onomastique romanesque, Op.cit., p. 18. 500Ibid.

501Ibid., p. 71. 502

Ibid.

503

Elizabeth LEGROS CHAPUIS, « Le Jeu des noms : de l’onomastique chez Roger Vailland », disponible à l’adresse suivante : http://www.roger-vailland.com/Le-jeu-des-noms-de-l-onomastique.

censés avoir. Cette signification obtenue lors du découpage des noms nous informe succinctement sur l’identité de celui qui le porte.

Nous concluons que le procédé consistant à attribuer un nom à un personnage lui confère une épaisseur, une valorisation et une identité, subséquemment cette méthode tend à rendre l’intrigue vraisemblable.

D’aucuns diraient que la seule connaissance du nom et du prénom sous-entend un dépouillement à l’endroit du personnage. Néanmoins, dans la fiction, quand ce dernier manque d’identification, il y a une absence d’identité puisque ce nom détermine « la place

des personnes dans le groupe et de leur appartenance à telle ou telle strate de la collectivité (appartenance déterminée selon les cultures et les systèmes par la filiation et la caste, l’âge et le sexe mais aussi les réseaux d’alliance...) »504. David LODGE, quant à lui, affirme qu’un nom ne peut en aucun cas être insignifiant, d’ailleurs le fait de ne pas y trouver de signification est un message de la part de l’auteur. Elizabeth LEGROS CHAPUIS explique que

« David Lodge, pour sa part, tire sa réflexion sur les noms propres à la fois de son expérience de romancier (exemples provenant de son livre Jeux de maux) et de ses propres lectures : "Dans un roman les noms ne sont jamais neutres. Ils signifient toujours quelque chose, ne serait-ce que leur banalité" »505.

En ce qui concerne les personnages anonymes, cela n’altère en rien la compréhension de l’histoire. Le manque d’identité est considéré comme un élément susceptible d’apporter une information sur le personnage-même et son impact sur l’intrigue. Ainsi nous ne partageons pas le point de vue de certains théoriciens tels que Elizabeth LEGROS CHAPUIS, Paul FABRE ou encore Stuart MILL, qui avancent que le

504Priska DEGRAS, L’Obsession du nom dans le roman des Amériques, Karthala, Paris, 2011, p. 14.

505Elizabeth LEGROS CHAPUIS, « Le Jeu des noms : de l’onomastique chez Roger Vailland », disponible à

nom ne porte pas de sens ou ne nous informe aucunement sur les futures actions du personnage. L’auteur prend soin de créer ses personnages et fait de même dans le choix de leurs noms.

Les noms pourraient se prêter à une analyse sémantique en ce sens que « Les noms

réels lorsqu’ils sont insérés dans la fiction, loin d’être réductibles à leur fonction de désignation, peuvent avoir une valeur sémantique »506. Cette analyse nous permet de décortiquer le nom, de lui donner un sens et ultérieurement donner un sens à l’histoire.

Pour connaître la signification des noms, il convient parfois de les scinder en deux et dans certains cas, en trois, pour pouvoir donner un sens à chacun des lexèmes et subséquemment le sens intégral. À titre d’exemple, le nom du notaire, personnage dans

Malicroix : « Maître Dromiol ». Pour lui donner un sens, il nous semble nécessaire de le

subdiviser en deux. A titre d’illustration, « Le nom seul du notaire, forgé sur la racine

grecque de la course violente : DROM-, nous indique que l’éolisme du personnage n’est qu’un visage superficiel particulièrement agressif du tellurisme en action »507. Pour accéder au sens du nom « Dromiol », il a fallu le scinder en deux afin de trouver le sens des monèmes obtenus. Cette interprétation est compatible avec le rôle que l’auteur lui a attribué. Effectivement, « Dromiol » est « Superficiel » dans le sens où il n’est pas authentique. Il se présente comme un ami, en donnant des conseils au personnage principal, toutefois son dessein est de lui soustraire son héritage et récupérer le legs par la suite : « Maître Dromiol aurait dû concevoir un peu de méfiance, car il avait l’esprit

profond et malveillant ; mais sa fatuité, qui perçait partout, compensait sa

506Yves BAUDELLE, Onomastique romanesque, Op.cit., p. 11.

507George CESBRON, Recherches sur l’imaginaire, cahier XIV, quinze essais de lecture anthropologique du

pénétration »508. Par ailleurs, nous entrevoyons la méfiance du protagoniste face à « Dromiol », le personnage confie :

« Il m’avait déclaré que le pays était bien dur, trop dur pour moi…Ces desseins, je les ignorais. Mais qu’il en eût, je n’en pouvais douter, car son emphase sentait l’artifice. J’ai la parole simple et droite, qui adhère à ce que je dis et à ce que je pense […], ainsi je distingue sans peine la parole venue de l’arrière-pensée »509.

L’auteur a choisi un nom qui détermine le rôle de son personnage. Il est aussi mentionné que le nom signifie qu’il est imprévisible et « Agressif ». Dromiol le devient vers la fin du roman : utilisant la ruse en mettant en scène toute une mascarade pour mener le protagoniste à sa perte.

A cet effet, pour parvenir à conférer une signification au nom attribué, nous nous devons de le décortiquer, car l’auteur ne peut donner une transparence quant à la signification des noms de ses personnages en ce sens que « Les noms propres devant être

significatifs mais pas complètement ″transparents″, ce qui nuirait à leur vraisemblance »510.

Un autre personnage figure dans Malicroix qui porte un nom des plus significatifs. Ce personnage est le saute-ruisseau du notaire qui se nomme Rat. Au début, il est décrit comme un homme sans importance, accompagnant son maître, demeurant silencieux mais rusé et perspicace, le narrateur souligne :

« Oncle Rat tenait bas une mine où l’humilité s’alliait à la ruse, avec discrétion […]. Il restait immobile, dans l’attente d’un ordre, qui tardait à venir. Il vint pourtant, mais en silence. Car maître Dromiol ne dit rien : il se contenta de hocher la tête ; aussitôt Oncle Rat disparut dans la resserre »511.

508

Henri BOSCO, Malicroix, Op.cit., p. 91.

509Ibid., p.90.

510Elizabeth LEGROS CHAPUIS, « Le Jeu des noms : de l’onomastique chez Roger Vailland », disponible à

l’adresse suivante : http://www.roger-vailland.com/Le-jeu-des-noms-de-l-onomastique.

511

Cette description montre l’obéissance de ce personnage face à un hochement de tête, Rat est à la disposition de son maître. Le lecteur a ainsi une vision claire de ce personnage. Cependant, selon Jean MICHEL HERMANS, la signification de ce nom ne s’accorde pas avec le rôle de celui qui le porte, il déclare que « Le soleil se dit aussi Ra

dans certains idiomes amérindiens d’Amérique du sud et en maori »512. Dans ce passage, il nous est indiqué que Rat veut dire soleil, le soleil étant par définition une source de lumière, de chaleur, sous-entendant que ce personnage devrait véhiculer des ondes positives, qui illumine les idées floues du protagoniste, alors qu’Oncle Rat est décrit comme étant un simple figurant.

Or, au fil des pages, ce personnage si discret et sans intérêt bascule. Effectivement, c’est lui qui porte secours au protagoniste et le sauve de la mort, ainsi qu’il le raconte : « Cet Oncle Rat, à qui je devais la vie »513. Ce même personnage est parti chez la tante du protagoniste pour la rassurer. Au moment des retrouvailles avec sa tante, elle l’informe de la venue de Rat. Voici le dialogue entre le personnage principal et cette dernière : « "Rat est venu ?"," Oui Martial. Ce Rat l’accompagnait. Ce Rat ! Ce Rat

fragile, ce Rat tout mystère ! Ce bon Rat" »514.

La fin du roman explique la signification du nom de ce personnage mystérieux. Il a été comme un soleil pour la tante l’informant que son neveu se porte bien et qu’il allait bientôt rentrer. Il lui a illuminé la vie en le sauvant.

Après l’analyse sémantique des noms des personnages, tout porte à croire que le roman dévoile subséquemment leur signification complète qui, l’avons-nous démontré, joue un rôle quant à la compréhension de l’intrigue.

512Jean Michel HERMANS, Le Grand héritage de nos ancêtres de l’âge de bronze, toponymes et mégalithes,

paléo-linguistique onomastique, édition des régionalismes (PRNG), 2012, p. 17.

513Henri BOSCO, Malicroix, Op.cit., p. 321. 514

En outre, nous aborderons, au cours du sous-chapitre suivant, l’approche syntaxique des noms romanesques. Cette approche véhicule des informations utiles au décryptage du roman. Ainsi, le romancier s’emploie à inventer des personnages et leur associer des noms recherchés. Nous étudierons, dans ce qui va suivre, le procédé de leur formation.