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DEUXIEME CHAPITRE Le roman familial

2- L’isotopie familiale

Dans cette partie, nous aborderons les divers passages qui peuvent, selon la biographie de l’auteur, rappeler les membres de sa famille. Durant son enfance, c’est la mère de l’écrivain, Louise BOSCO qui lui a enseigné les calculs : « Sa mère, qui fut aussi

sa première institutrice lui enseigna les rudiments de la lecture et du calcul »162.

Cette période de sa vie est évoquée dans Un Rameau de la nuit, quand il s’adresse à une femme qui élève son neveu : « Moi si j’habitais ici, je lui enseignerais à

dessiner des arbres, des oiseaux »163. Effectivement, cette prémonition s’est réalisée dans la vie de l’auteur. A cet égard, l’auteur a vécu une situation semblable à celle du personnage : cette analogie tend à expliquer que l’auteur a un passé qui l’obsède et ce dernier est susceptible de l’influencer.

« Son père, Louis Bosco, fut tailleur de pierre, luthier, puis ténor de grand

talent»164. À cause du travail, le père est contraint de s’absenter. Sporadiquement, il évoque cette période de son histoire personnelle, dans le même roman : « Un silence

étrange subsiste. Je le perçois. Il ne révèle pas le vide, mais une présence voilée : celle des âmes qui se taisent »165.

Les frères de l’auteur sont morts prématurément en bas âge, ainsi, il est « le

cinquième enfant, les quatre premiers étant décédés prématurément »166. Cette réalité

tragique est perceptible dans Un Rameau de la nuit, quand le narrateur confie : « Il vient de

toi, mais le connaissais-tu ? N’est-il pas l’étranger ? »167. L’annonce fait naître l’étrange

162 Disponible à l’adresse suivante : http://www.jesuismort.com/biographie_celebrite_chercher/biographie-

henri_bosco-2176.php.

163

Henri BOSCO, Un Rameau de la nuit, Op.cit., pp. 31-32.

164Disponible à l’adresse suivante : http://www.babelio.com/auteur/Henri-Bosco/6071. 165Henri BOSCO, Un Rameau de la nuit, Op.cit., p. 43.

166Disponible à l’adresse suivante : https://fr.wikipedia.org/wiki/Henri_Bosco. 167

sentiment que l’auteur n’a pas eu le temps de bien connaître ses frères. D’un côté, le protagoniste affirme que cet autre personnage vient de lui, il est de son sang; de l’autre, il se demande s’il le connaît, il est bien de sa famille mais a-t-il suffisamment vécu avec lui ? Disposait-il du temps nécessaire pour le découvrir et pour ne plus devenir à la fin un étranger ?

Par moment, le personnage se livre à un monologue, une sorte de prise de conscience, dans : « Te connais-tu, toi-même ; sais-tu bien qui tu es ? »168. Ce monologue signifie, nous semble-t-il, que l’auteur ne se retrouve plus parmi ses frères étant décédés prématurément et ses parents demeurent souvent absents pour lui procurer un équilibre voire du réconfort.

Le personnage principal perd connaissance et il est secouru par des inconnus. Durant la convalescence, il ressent la présence de personnes qu’il ne voit pas mais qu’il ressent et qui le guérissent ; il se confie : « Ceux qui veillaient sur moi ne me furent que des

fantômes (car on avait atténué les lampes), ces fantômes, penchés ou évoluant à travers la chambre, me parurent aussi bienveillants que mon cœur, et j’en admirais la puissance amicale qui me protégeait en silence »169. A ce niveau, l’auteur évoque, pensons-nous, ses parents qui ne sont pas présents mais qui veillent sur lui à partir de l’endroit où ils se trouvent.

Dans cette dernière citation, nous pouvons relever quelques lexies qui confortent notre assertion : « Fantômes », « Veillaient », « Mon cœur » et « En silence ». Ainsi les « Fantômes » représentent l’absence, l’éloignement des parents qui se ressent au fil du temps ; « Veillaient » signifie que, bien que ses parents ne soient pas présents, il ressent leur chaleur et leur protection. Quant à la lexie « Mon cœur », qui est fort significative, elle

168Henri BOSCO, Un Rameau de la nuit, Op.cit., p. 52. 169

met l’accent sur les sentiments, et enfin « En silence » renvoie au manque de dialogue, de contact avec ses parents. En outre, il est à noter que ce passage est symbolique compte tenu de l’importance de la famille, son statut et sa représentation des relations parents/enfant.

Le personnage les évoque dans un autre passage et avoue que malgré le fait de les ressentir, il voudrait bien les avoir auprès de lui ; il déclare : « Pour la paix de mon âme, il

eût mieux valu que ces êtres eussent pris corps »170, et d’ajouter : « Sans doute n’ai-je

point le sentiment que je pourrais, d’un mot, d’un sifflement ou d’un geste, les prendre et les faire voler familièrement autour de moi »171. Ces deux séquences marquent la suite de la première : au début, il les ressent, il est convaincu qu’ils sont présents par la pensée, puis se rend compte que c’est vain. Évoquant « La paix de l’âme », il ne se sent pas en paix avec lui-même, puisqu’il lui manque un élément pour accéder au sentiment de sérénité : il s’agit de la présence de ses parents. Dans la seconde citation, on emploie le subjonctif pour marquer une prière, un souhait, ou pire encore l’impossibilité de pouvoir faire réapparaître ses parents après un geste insignifiant.

Un autre passage fait référence à la mère du narrateur, le personnage de Malicroix atteste que « La maison se serra sur moi, comme une louve, et par moments je sentais son

odeur descendre maternellement jusque dans mon cœur. Ce fut, cette nuit-là, vraiment ma mère »172. La louve demeure l’animal par excellence dans l’évocation de la maternité, de

l’amour de la mère envers sa progéniture, à l’instar du conte Le Livre de la jungle173 où le personnage Mowgli est bercé et nourri par cet animal. Cette métaphore rend compte de l’intensité du sentiment affectueux d’une mère à l’endroit de ses enfants. Conscient,

170Henri BOSCO, Un Rameau de la nuit, Op.cit., p. 241. 171Ibid., p. 280.

172Henri BOSCO, Malicroix, Op.cit., p. 134. 173

l’auteur met à contribution cette métaphore afin de légitimer ce besoin de tendresse fait de lien fusionnel.

Dans une autre séquence, il se rappelle toute sa famille : « Sur cette île de neige, où

solitaire et malheureux, je pensais à eux et les regrettais »174, aussi : « Même mes fantômes

familiers, songes faciles, modestes délires, avaient disparu »175. Dans ces deux dernières

phrases, il languit de retrouver vainement sa famille. Le recours à l’adjectif possessif « Mes » implique la possession, l’appartenance à ces « Fantômes familiers ». Par ailleurs, les adjectifs « Solitaire » et « Malheureux » attestent d’une situation où l’isolement et la tristesse priment.

Ces manifestations implicites, notamment des parents, engendrent paradoxalement une absence, autrement dit, pour quelle raison l’auteur n’attribue-t-il pas de figure parentale à son protagoniste ? Est-ce un déni ? Nous étudierons cet aspect dans le sous- titre : l’absence des parents.

Force est de constater que l’auteur est interpellé par une période de sa vie. Ce constat a été validé à travers les nombreuses séquences extraites de notre corpus. A présent, nous allons passer à une autre analyse, mais qui reste toujours dans la même thématique de la famille, qui est celle du secret de famille.