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PREMIER CHAPITRE L’identité fictionnelle

5- Le rêve et ses significations

L

e rêve ou la rêverie sont quasi obsédants dans notre corpus. En premier lieu,

quelle différence réside entre le rêve et la rêverie ? En second lieu, quel est le terme le plus

459Henri BOSCO, Malicroix, Op.cit., p. 14. 460Ibid.

461

pertinent pour qualifier « Ce phénomène » inconscient ? Notre postulat de départ rejoint l’affirmation de Gaston BACHALARD :

« Et voici pour nous, entre rêve nocturne et rêverie, la différence radicale, une différence relevant de la phénoménologie : alors que le rêveur de rêve nocturne est une ombre qui a perdu son moi, le rêveur de rêverie, s’il est un peu philosophe, peut, au centre de son moi rêveur, formuler un cogito. Autrement dit, la rêverie est une activité onirique dans laquelle une lueur de conscience subsiste. Le rêveur de rêverie est présent à sa rêverie. Même quand la rêverie donne l’impression d’une fuite hors du réel, hors du temps et du lieu, le rêveur de la rêverie sait que c’est lui qui s’absente, lui, en chair et en os, qui devient un "esprit", un fantôme du passé ou du voyage »462.

Ce passage explique la différence entre rêve et rêverie. La rêverie est un état dans lequel le personnage est conscient et est en train de rêver. Par contre, durant le rêve, il est inconscient. Les rêves lui parviennent de son subconscient sans qu’il ne s’en rende compte. Par ailleurs, pendant la rêverie, le personnage décide de quoi il rêve, il se remémore un événement antérieur et imagine des situations meilleures que ce qu’il a vécu.

La rêverie est synonyme d’évasion, de fuite, une voie royale pour se soustraire à l’ennui. Ainsi, dans la plupart des romans de BOSCO, le personnage ne nous raconte pas son rêve nocturne, cependant il évoque à maintes reprises le rêve diurne ainsi que le démontre Daniel BERGEZ. Selon ce dernier, il existerait justement une différence entre le rêve nocturne et le rêve diurne où nous sommes bien éveillés. En effet,

« La rêverie est presque l’opposé du rêve tel que l’appréhende la psychanalyse : alors que, selon celle-ci, le rêve nocturne dissout la conscience au profit d’une langue de l’inconscient, la rêverie maintient la conscience à un certain niveau d’activité ; elle se place dans un entre-deux où l’imagination créatrice pourra jouer à plein »463.

Ce propos met l’accent sur la différence existant entre les deux phénomènes et donc notre cas s’applique principalement sur la deuxième notion définie. Ainsi, le terme

462Gaston BACHELARD, La Poétique de la rêverie, Quadrige Grands Textes, PUF, France, 2010, pp. 156-

157.

463 Daniel BERGEZ, « La Critique thématique », in Méthodes critiques pour l’analyse littéraire, Etudes

rêverie nous paraît plus approprié que le terme rêve, en ce que ce dernier s’en distinct, ainsi que l’affirme BACHELARD :

« Déjà, par le genre des mots qui les désigne, rêve et rêverie s’annoncent comme différents. On perd des nuances quand on prend rêve et rêverie comme deux espèces d’un même onirisme. Gardons plutôt les clartés du génie de notre langue. Allons à fond de nuance et essayons de réaliser la féminité de la rêverie »464.

Parlant de genre, « Le rêve est masculin, la rêverie est féminine »465, le féminin et le masculin de termes quasi identiques, BACHELARD nous en donne un exemple : « Il y a

bien longtemps que j’ai découvert que la cheminée était un chemin, le chemin de la douce fumée qui chemine lentement vers le ciel »466. Mais parfois, il est difficile de trouver le féminin d’un mot masculin, quitte à s’éloigner véritablement du sens, BACHELARD en fait la démonstration :

« Parfois l’acte grammatical qui donne un féminin à un être magnifié dans le masculin est une pure maladresse. Le centaure est, certes, l’idéal prestigieux d’un cavalier qui sait bien que jamais il ne sera désarçonné. Mais que peut bien être la centauresse ? Qui peut rêver à la centauresse ? C’est bien tardivement que ma rêverie de mots a trouvé son équilibre. […] j’ai découvert que le féminin songeur du mot centaure était centaurée. Petite fleur, sans doute, mais sa vertu est grande, digne vraiment du savoir médical de Chiron, le surhumain centaure »467.

Gaston BACHELARD évoque une affirmation de Simone DE BEAUVOIR : « En

français la plupart des entités sont du féminin : beauté, loyauté, etc. »468. Ainsi elle semble être convaincue que tous les mots féminins sont synonymes de beauté et de grâce. En outre, la distinction du rêve par rapport à la rêverie nous permet d’affirmer que cette dernière s’apparente à un rêve doux apte à adoucir la réalité. A cet égard, il ressort que

464

Gaston BACHELARD, La Poétique de la rêverie, Op.cit., p. 37.

465Ibid. 466Ibid., p. 38. 467Ibid. 468

« La femme est l’idéal de la nature humaine et l’idéal que l’homme pose en face de soi comme l’autre essentiel, il le féminise parce que la femme est la figure sensible de l’altérité ; c’est pourquoi presque toutes les allégories, dans le langage comme dans l’iconographie, sont des femmes »469.

Ainsi, BACHELARD, à l’instar de Simone DE BEAUVOIR, s’accorde sur le fait que les mots aux féminins ont une tendance, une inclination vers le beau. Bernardin DE SAINT PIERRE pose que certains noms font partie « Du genre masculin parce qu’ils

présentaient des caractères de force et de puissance »470 et d’autres du « Genre féminin

parce qu’ils offrent des caractères de grâce et d’agréments »471. Ce propos atteste que la rêverie amène le personnage à entreprendre une quête du beau, d’un idéal ou d’une utopie, contrairement à son existence réelle, entachée de solitude et de platitude. En effet, « Le

rêveur est tout fondu en sa rêverie. Sa rêverie est sa vie silencieuse »472.

La distinction et l’emploi du terme « Rêverie » est peu ou prou juste. En outre, il nous incombe de nous pencher sur un autre aspect, à savoir son essence. Pourquoi le personnage recourt-il à la rêverie plutôt que de s’épanouir dans la réalité qui l’entoure ? Le personnage est-il incapable de réaliser ses fantasmes ? Ainsi, s’extasie-t-il dans cette rêverie qui lui apporte satisfaction et épanouissement ? Et par la suite, le personnage reprend-il confiance en lui-même par l’entremise de ce moyen ?

Cette analyse est intéressante, néanmoins en quoi cet aspect a-t-il un rapport avec l’identité du personnage ? Aussi incompatible que cela puisse paraître, cette rêverie a une relation directe avec l’identité de notre protagoniste. La rêverie est une sorte d’évasion, de fuite comme nous l’avons expliqué supra. Ce besoin de s’évader met en relief le mal-être du personnage qui aspire à se soustraire de son quotidien pour en inventer un meilleur

469Gaston BACHELARD, La Poétique de la rêverie, Op.cit., p. 42. 470Ibid., p. 44.

471Ibid. 472

dans lequel il serait enfin en osmose avec lui-même, comme l’illustre Adama M’BENGUE dans sa thèse :

« La rêverie pourrait être perçue comme une stratégie de consolation permettant au personnage de se tenir à l’écart, d’exister en dehors de la vie réelle. Le rejet du réel, qui souvent symbolise un mal-être chez la plupart des personnages, apparaît ici comme une sorte de "revanche" sur la réalité même »473.

Dans Hyacinthe, le personnage oscille entre le rêve et la rêverie pour se rendre compte qu’il perd le sens de la réalité, ainsi qu’il l’explique :

« Les inventions du sommeil expirant au seuil de ma mémoire s’ordonnaient entre les incohérences du rêve et les premiers charmes de la rêverie. Il trahissait encore le sens des messages du monde et construisait ainsi à part, des réalités hypnotiques, dont je savais pertinemment qu’elles me trompaient. Car je comprenais que la vie m’envoyait ses premiers signes, et parfois une grande émotion me gonflait le cœur »474.

Sans équivoque, le personnage n’apprécie guère la situation dans laquelle il se trouve. Pour échapper à cet état, il provoque des hallucinations et une imagination qui lui permettent de s’évader de sorte à se créer une alternative. Ainsi ces situations l’apaisent et le réconfortent.

Par ailleurs, il est à noter que la thématique de la rêverie est absolument absente dans Les Balesta et Sabinus. L’analyse précédente l’atteste. Or nous savons que la solitude incite à la rêverie, ainsi que la langueur due au manque de sa famille. Le personnage compense ce besoin en se réfugiant dans un monde imaginaire afin d’oublier son chagrin. En somme, outre l’absence d’une atmosphère propice à l’imagination, la présence marquante du thème de la famille dans les deux romans, empêche toute activité onirique.

473 Adama, M’BENGUE, Construction du personnage et de l’identité dans les romans de Pirandello et

Svevo. Littératures. Thèse soutenue à l’Université Paul Valery - Montpellier 3, 2011. Français, sous la

direction de Gabellone, Pascal Diawara, Ibrahima, p. 134.

474

L’évocation de la famille dans les deux romans cités dans cette analyse est notable. Le narrateur/personnage principal raconte, évoque sa famille, son mode de vie et sa filiation. Néanmoins, il se confie et il révèle au lecteur un lourd secret de sa famille.

6- Le secret

Dans le deuxième chapitre de la première partie, nous avons analysé un secret de famille en l’occurrence le don. En guise de rappel, ce dernier est un héritage des Balesta. Ce secret jalousement gardé par le personnage principal est un pouvoir qui consiste à réciter des psalmodies dans des lieux de culte afin de punir un ennemi. Au début du roman, ce don servait les Balesta, ensuite la situation s’est retournée contre eux dès l’arrivée d’une femme maléfique.

Le protagoniste, l’avons-nous dit, s’accommodait mal du poids de ce secret, il confie : « On peut même affirmer qu’elle en était le lot le plus inaliénable. On l’appelait

d’ordinaire : "le Don" »475. Le personnage montre son mécontentement à l’endroit de ce secret, le qualifiant de « Lot le plus inaliénable », même s’il aurait bien aimé le vendre et s’en débarrasser. Le secret, selon Nathalie TRESCH, « N’est pas une mauvaise chose en

soi, et il est important de savoir garder un secret, cela témoigne d’une distinction saine entre la sphère privée et la sphère publique »476. Dans cette perspective psychologique, il ressort qu’il serait salutaire de garder un secret. Toutefois, ici il en est autrement quand il s’agit d’un secret de famille.

Le secret de famille devient un fardeau pouvant ainsi détruire et non construire la personnalité. Celui qui porte ce secret devient sa victime et sa hantise est de s’y soustraire. Serge TISSERON répond à une question posée sur le secret et sa réponse est sans appel :

475Henri BOSCO, Les Balesta, Op.cit., p. 13.

476Nathalie TRESCH, Une Approche de l‘identité et de la responsabilité chez Emmanuel Carrère et Albert

Camus, Thèse soutenue à l’Université d’Islande, 2010, http://sprak.gu.se/digitalAssets/1337/1337207_--16-

« Il faut comprendre que la principale victime des secrets de famille, c’est la

communication. Quand il y a un secret dans une famille, tout le monde se méfie de tout le monde et personne ne court le risque d’être authentique »477. C’est précisément ce qui se passe pour le personnage principal, dans le roman Les Balesta :

« On évitait de le prononcer, même en famille, à plus forte raison devant les étrangers. S’il advenait qu’on dût le dire, cela se faisait toujours à voix basse, en deçà des lèvres, sourdement. Il inspirait une crainte bizarre, et qui ne manquait pas d’envahir aussitôt celui qui l’énonçait, fût-ce le plus doucement possible »478.

Ce lexique propre au personnage se rapproche du postulat de Serge TISSERON. Nous pouvons appliquer une analyse sémantique pour constater la récurrence d’expressions relatives au silence : « Evitait de le prononcer », « A voix basse », « En deçà des lèvres », « Sourdement », « Le plus doucement possible». Ces formules confortent ainsi le manque de communication dont parle Serge TISSERON. A ce niveau, une pluralité de locutions synonymes atteste l’importance de ce secret pour le personnage. De ce point de vue, quand on porte un lourd secret familial, « On peut tout aussi bien se fondre dans le

silence familial »479.

Dans cette optique, quel rapport a le secret avec l’identité du personnage ? Le retentissement du secret de famille a une influence négative sur la psychologie, d’ailleurs « Il y a des bons et des mauvais secrets, mais les secrets de famille ne sont jamais

bons »480. Cette situation dénote d’une « Perte de confiance en soi »481.

Le secret, comme nous l’avons décrit, est quelque chose d’intime. A la lumière de cette définition, il apparaît que celui qui le possède devient ainsi comme le concept,

477

Disponible à l’adresse suivante : http://www.lemonde.fr/vous/article/2012/09/17/serge-tisseron-il-faut- naviguer-entre-tout-dire-et-ne-rien-dire_1760881_3238.html.

478Henri BOSCO, Les Balesta, Op.cit., p. 13. 479

Disponible à l’adresse suivante : http://www.lemonde.fr/vous/article/2012/09/17/serge-tisseron-il-faut- naviguer-entre-tout-dire-et-ne-rien-dire_1760881_3238.html.

480Disponible à l’adresse suivante : https://www.scienceshumaines.com/le-poids-des-secrets-de-

famille_fr_12501.html

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autrement dit, il est mis à part et demeure solitaire. Comme le montre clairement le passage tiré du roman Les Balesta, le personnage se résigne à l’incapacité d’évoquer le secret « A plus forte raison devant les étrangers ». Ainsi, le secret de famille n’est pas lourd à porter en soi, mais il est difficile de l’assumer en public. Dans cette confusion, tout le monde connaît le secret mais personne n’a le droit d’en parler en public. Cette illustration débouche sur un trouble de la personnalité. Selon Nathalie TRESCH, « Un sentiment de

perte d’identité »482 et le secret pourrait engendrer « L’inquiétude, l’angoisse et la folie ;

la figure du fantôme qui n’est ni présent ni absent, ni vivant, ni tout à fait mort »483. En effet, l’impact du secret de famille sur la personnalité et sur l’identité du personnage est manifeste.

Dans le sous-chapitre suivant, nous entamerons une étude chronologique des romans sélectionnés pour notre recherche. Cette étude va nous permettre de répondre à la question suivante : l’identité du personnage bosquien se construit-elle au fil des romans ?