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DEUXIEME CHAPITRE Le roman familial

3- Le secret de famille

Ce terme est utilisé chez les grands comme chez les petits, ainsi tout le monde a ses secrets. Ce secret peut être anodin, comme il peut être désobligeant à l’image des romans

Les Balesta et Sabinus.

174Henri BOSCO, Malicroix, Op.cit., p. 184. 175

Chaque famille a ses secrets qui se transmettent de génération en génération. Ces deux romans font référence au même secret de la famille Balesta qui est « Le don ». Ce dernier est une sorte de prière effectuée lorsqu’un des Balesta veut punir une personne. Par le truchement de cette prière, la personne se voit comme prisonnière du sort des Balesta. En effet, il arrive que cette victime se suicide, que l’un de ses proches meurt ou tombe gravement malade, tel qu’en témoigne la prière suivante :

« Je te supplie donc, ô Seigneur, délivre-moi enfin de ceux qui nous haïssent illégitimement, pour qu’ils soient à l’abri du châtiment que Ta main leur inflige et qui passe souvent le mal qu’ils nous ont fait ! Donne-nous la force requise pour que nous endurions l’injure et puissions prier pour leur âme, au temps de leurs calamités. Car ils en auront, hélas ! S’ils nous nuisent, malgré le pardon qui est dans nos cœurs, quand on nous outrage. Et si ce pardon les aveugle et qu’ils y voient une faiblesse favorable aux persécutions, donne-nous, ô mon Dieu, la vraie patience, celle que rien ne décourage, celle du visage deux fois souffleté ! Ne sois pas Toi-même trop juste à nous défendre ! Aie pitié de nous pour cette misère où nous réduit une faveur qui accable notre petitesse, et qu’ignore le monde ! Et si un jour, Tu consens à trancher la corde qui nous tire, de père en fils, pour satisfaire à Tes desseins inconnaissables, ô Seigneur, quel chant de louange n’élèverons- nous pas vers Ta Bonté ! »176.

Cette prière est récitée à la faveur d’une réunion de famille. Le don « Frappait les

ennemis des Balesta, malgré les Balesta, trop cruellement »177. Ainsi ce « Don » a-t-il été déclenché par cette même famille ? Mais, en voyant le résultat, ils restent perplexes et finissent par reconnaître la puissance du sort. Le don « Apparaît tel qu’il fut pour eux, une

puissance obscure à leur service, qui leur inspirait la terreur et agissait contre leur gré, impitoyablement »178. A travers ces propos, le personnage se plie et se résigne à la fatalité du sort provoquée par ce don. Par le biais de l’évocation du secret de famille dans les deux romans, l’auteur aborde un thème mystérieux consistant à infliger un « Châtiment »179aux

176Henri BOSCO, Les Balesta, Op.cit., pp. 109-110. 177Henri BOSCO, Sabinus, Op.cit., p. 18.

178Henri BOSCO, Les Balesta, Op.cit., p. 106. 179

personnes ayant offensé un des Balesta. « La puissance obscure »180fait subir aux gens qui les « Haïssent illégitimement »181un destin funeste.

Dès l’incipit du roman Les Balesta, le personnage montre clairement sa désapprobation vis-à-vis de ce « Don ». Il raconte que tout aurait pu aller mieux s’il « N’avait pas existé dans »182 sa famille. « Cette chose étrange à laquelle il »183 lui est « Difficile de trouver un nom »184 . D’emblée, ce secret revêt une connotation fâcheuse. A en croire Geneviève DELAISI DE PARSEVAL, « Tout secret de famille a des effets

pervers, les secrets qui portent sur la filiation plus que d’autres »185.

Ce secret est présenté d’une manière légère dès le début du roman soit la première page, ensuite plus rien. Le personnage décrit quelques familles portant le nom des Balesta, leur situation, le nombre de leurs enfants etc., sans évoquer le moindre détail sur le « Don », et ce jusqu’à la page cent six. Selon Vincent JOUVE, « Le roman produit des

blancs, soit en vue d’une stratégie communicative, soit parce que certains traits ou faits d’un personnage ne sont pas d’une importance majeure pour la compréhension du récit »186. Dans le premier cas, le lecteur aura « Le soin de produire par lui-même (et de

façon définitive) le chaînon manquant »187. Dans la même optique, l’auteur explique qu’un texte « Connaît des limites formelles et, lorsque l’auteur estime avoir donné suffisamment

d’informations pour que les contresens soient impossibles, il laisse le lecteur remplir de lui-même les cases manquantes »188.

180

Henri BOSCO, Les Balesta, Op.cit., p. 106.

181 Ibid., p. 109. 182Ibid., p. 13. 183Ibid. 184 Ibid.

185Geneviève DELAISI DE PARSEVAL, Le Roman familial d'Isadora D, Odile Jacob, 2002, p. 212. 186Vincent JOUVE, L’Effet-personnage dans le roman, Op.cit., p. 32.

187Ibid. 188

Aux antipodes de cette conception, le narrateur n’a donné aucune information sur le don, le lecteur n’a pas suffisamment d’indices ni de renseignements. Le personnage informe de la présence d’un secret et amorce d’autres descriptions, cela n’offre en rien la possibilité au lecteur d’imaginer de quoi il s’agit. Nous concluons donc que cette ellipse dans la description n’est pas fortuite. En effet, l’auteur a sciemment évoqué ce secret à l’incipit pour ne plus en parler par la suite, à dessein d’éveiller la curiosité. De cette manière, le lecteur est impatient de découvrir ce qu’est ce don, ce qu’est ce secret que le personnage redoute. Et surtout quels ont été les torts occasionnés par ce lourd secret. Selon Yves REUTER :

« L’ellipse concerne les cas où le texte signale qu’il y a eu description ou observation susceptible de donner matière à description, sans que celle-ci ait été textualisée. Cela peut s’expliquer de diverses manières : simple économie textuelle, volonté de retarder le moment descriptif pour faire croître l’intérêt du lecteur pour l’objet décrit, désir de ne pas répéter ce qui est déjà connu du lecteur »189.

Nous nous attellerons dans le cadre du prochain sous-titre à l’examen du choix des personnages. L’auteur les aurait-il inventés de toutes pièces, ou bien s’est-il inspiré de sa vie antérieure ? Nous tenterons d’apporter des éléments de réponse en mettant l’accent sur quelques personnages emblématiques.