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QUATRIEME CHAPITRE L’héritage familial

4- Héritage de Balandran

Le personnage principal n’hérite pas seulement du caractère des deux familles, ou de la maison de son grand-oncle. A ce titre, il déclare : « Cornélius419, pensais-je, entiché de son sang, m’a laissé ses biens matériels : l’île, cette maison, ses terres, son troupeau, et, peut-être, son homme-lige, Balandran »420. Le grand-oncle a même laissé un homme

nommé « Balandran » qui prenait soin de lui, chassait, pêchait et s’occupait du troupeau. Ainsi l’héritage dans ce roman se présente sous plusieurs formes, et qui semble satisfaire les besoins du légataire.

Balandran est un personnage très discret mais entreprenant : après la première nuit passée dans la maison de son grand-oncle, Martial en se levant trouve le petit-déjeuner servi alors que « Le feu brûlait dans l’âtre avec une ardeur matinale. Près du lit, une table

basse portait le pain, le lait et un bol de miel. Deux fenêtres basses s’ouvraient à un peu de lumière. […] Près du feu, bouillonnait un chaudron noir, et il chantait un peu »421. Dès la première journée, Balandran est au service de son nouveau maître, il prend soin d’allumer le feu, d’ouvrir les fenêtres et de préparer discrètement le petit déjeuner. Martial ne s’est même pas rendu compte qu’une personne a pu, durant son sommeil, pénétrer dans sa nouvelle demeure et faire ses tâches domestiques sans qu’il ne s’aperçoive de rien, il se demande d’ailleurs : « On ne voyait personne. Quelqu’un pourtant était venu pendant que

je dormais encore, et avait préparé mon repas, allumé du bois sec, ouvert les volets en silence »422. Cette partie du roman met en scène le comportement du majordome, est-il l’expression du regret de la perte de son maître ? Comble-t-il ce manque en s’occupant de l’héritier que son maître a choisi ?

419Grand-oncle dont le personnage principal a hérité. 420Henri BOSCO, Malicroix, Op.cit., p. 57.

421Ibid., p. 26. 422

Le deuxième jour, Martial sort de beau matin pour visiter les lieux, à son retour il remarque : « Le feu, alimenté en mon absence, brûlait bien. Devant la cheminée on avait

installé une petite table et un fauteuil. Sur la table, une lettre. Elle était du notaire »423. Balandran ne s’occupe pas seulement du souper ou d’alimenter le feu, mais plus encore, il s’occupe du confort de Martial, il a pris soin de lui préparer une table sur laquelle est posée une lettre du notaire et un fauteuil sur lequel il peut s’asseoir pour lire la lettre de Maître Dromiol à son aise. Dans cette lettre le notaire n’omet pas de l’évoquer :

« Vous aurez aussi Balandran. C’est lui qui mène le troupeau. Il pêche. Il chasse. Un homme singulier, vous vous en rendrez compte. Tout à M. Cornélius, et cela jusqu’au sang ; il passe pour avoir un caractère âpre. J’espère toutefois qu’en considération de son maître défunt, il voudra bien adoucir sa rudesse jusqu’à vous servir comme il le servait […]. Ces animaux farouches et cet homme qui leur ressemble ne sauraient, j’en conviens, présenter beaucoup d’agrément »424.

Les paroles du notaire sont rudes, Balandran est décrit comme un homme au caractère « Âpre », et rabaissé au point d’être comparé aux animaux. Cela nous donne à voir que le notaire n’était pas en bons termes avec lui. Au premier dialogue avec Balandran, Martial confirme les dires du notaire : « Je lui dis : ″c’est vous Balandran ?″ il

me dit : ″c’est moi Balandran, Monsieur Martial″. Ce ″monsieur Martial″ inattendu m’étonna, me toucha aussi. Il savait mon nom. Cependant il l’avait prononcé d’un ton rude, mais avec un accent bizarre qui m’émut »425. Tout au long du roman, Balandran

joue un rôle effacé, il vient à la maison discrètement afin de ne pas importuner l’hôte, entreprend ce qu’il a à faire comme tâches ménagères et repart de la même manière qu’il est venu. En revanche, une sympathie est née entre les deux hommes, laquelle a poussé le notaire à l’utiliser comme appât pour attirer Martial hors de l’île et le déposséder de son héritage.

423Henri BOSCO, Malicroix, Op.cit., p. 30. 424Ibid., p. 32.

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Ce genre d’héritage semble plaire au personnage principal. En effet, habiter une île mystérieuse et en solitaire, dans ces conditions, avoir un majordome joue en sa faveur : Balandran le bichonnait. C’est grâce à son accueil, bien que singulier, que Martial, d’une certaine manière a pu résister à la tentation de tout quitter et rejoindre les siens. D’ailleurs, il le mentionne : « Il s’agit d’abord de savoir si Cornélius a pu me léguer Balandran. Si

oui, j’entre facilement en possession de son singulier héritage. Mais cet héritage me prend. On n’a pas le troupeau ni le reste sans Balandran »426. Ces trois phrases témoignent de l’importance de ce personnage et de son impact sur l’aboutissement de la conquête de l’île. D’ailleurs, le personnage principal affirme que si Balandran lui appartenait, il lui serait plus facile d’avoir le reste de l’héritage.

Nous avons évoqué l’héritage abstrait, matériel, onomastique, et celui de Balandran. Cependant, le personnage bosquien reçoit ou ressent également la présence de ses aïeux.