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DEUXIEME CHAPITRE Anthroponymie romanesque

5- Nom et identité

Le nom marquant la lignée est manifeste dans certains romans, tels que Malicroix,

Sabinus ou encore Les Balesta. A ce titre, l’œuvre de BOSCO a une portée éminemment

filiale. Elle contient incontestablement, des histoires fictives aussi bien qu’elles présentent beaucoup d’indices de la vie domestique et paysanne de l’auteur, telle que la vie en pleine campagne ou la scène dans laquelle les parents laissent leur enfant en compagnie de sa tante lors d’un voyage professionnel. A ce niveau, il est aisé de valider le postulat de l’individualisation. Pour ce faire, il suffit de repérer les noms des personnages et en examiner les recoupements potentiels.

Parfois, les auteurs utilisent des noms identiques aux leurs ou à ceux que portent leurs proches, seulement, dans notre corpus, aucun des personnages ne porte le prénom de l’auteur Henri, ni celui de son père Louis ou de sa mère Louise Faléna. Sabinus, Martial, Pascalet ou encore Philomène sans oublier Les Balesta, n’ont aucune similitude avec les noms des membres de la famille d’Henri BOSCO. Ainsi en s’appuyant sur des éléments biographiques, Henri BOSCO s’est employé dans son œuvre à créer ses personnages, du moins leurs noms, indépendamment de ceux de ses proches.

Par ailleurs, les noms propres présents dans l’œuvre semblent remplir des rôles multiples. A travers cet aspect, il est à noter la pertinence et la portée sémantique de la réputation. En effet, excepté le fait que l’auteur choisit de donner un nom à ses personnages ou au contraire à les en priver, il convient de s’interroger sur la réputation de ce patronyme. Dans Sabinus, Ameline, la compagne du personnage principal, tente de ternir le nom de ses proches, les Balesta. Pour ce faire, elle raconte à tout le village que les Balesta ont des pouvoirs maléfiques. Un feu se déclenche au village et les habitants commencent à croire les médisances d’Ameline. Cette dernière s’est comportée de la sorte pour se venger des Balesta lesquels n’arrivent pas à l’accepter parmi eux. Ce personnage a lancé une rumeur, ou plus exactement révélé leur secret, un secret qui, depuis des décennies, était bien gardé au sein de la famille. Le fait de ternir le nom d’une personne ou d’un groupe, touche aussi l’identité en ce sens qu’ « Il est alors postulé que le nom agit

comme le représentant d'une identité, d'un individu et donc, que celui-ci appartient à son nom »531.

Dans cette perspective, le nom est à l’image de l’identité du personnage. L’auteur, dans cette partie du roman, mise sur ce procédé. Avant la révélation d’Ameline, les Balesta qui étaient aimés par tout le monde, étaient considérés comme des hommes sages appartenant à une certaine classe. Après la révélation, tout bascule ; les Balesta passent d’une situation confortable à une situation embarrassante et humiliante. En outre, après le sauvetage du village grâce à Sabinus Balesta, le nom reprend sa place, et tous les villageois négligent Ameline et tout ce qu’elle a pu leur raconter.

531

Nous sommes ainsi face à trois situations différentes : en premier lieu, la noblesse du nom des Balesta ; en second lieu, le nom se décline sous l’effet de la révélation ; et en dernier lieu, le sauvetage : non pas celui du village de l’incendie mais de la réputation du nom terni, la citation suivante en témoigne : « Préserver le nom de famille comme la race

dans une pureté sans nul mélange et donc refuser pour cela toute miscégénation »532. Une autre singularité se présente dans les romans de BOSCO. Le personnage Martial porte un nom contraignant : Martial Mégremut. En effet, dans Malicroix, le nom du protagoniste ne lui convient pas, il veut s’en libérer, il entretient des relations tendues avec ce nom et veut s’en débarrasser. La cause qui le pousse à changer résolument de nom est bien le fait que cette famille est réputée bienveillante, tendre, la description suivante étaye nos propos :

« "Tu es Mégremut de la tête aux pieds. Ça offre d’autres avantages". J’en convenais, mais sans plaisir. Les miens (mes parents étant morts) c’étaient mes oncles, mes cousins et tout un monde affectueux de tantes, de cousines, qu’un rien attendrissait. Je m’attendrissais avec eux, et je me sentais Mégremut à leur contact, car ils ont la douceur très communicative »533.

Ces quelques phrases décrivent bien le caractère des Mégremut et marquent bien le désenchantement du personnage principal, d’ailleurs il le dit : « Mais sans plaisir ». C’est pourquoi Martial ne veut plus de ce nom, ne veut plus appartenir à cette famille. L’héritage apparu fut une réjouissance, il est temps de passer à autre chose, de quitter cette famille qui le submerge et de changer de nom. En effet, bénéficier de l’héritage est pour lui le signe qu’il a du Malicroix dans le sang, d’ailleurs c’est un nom qui lui convient. Lors de la lecture de la convocation du notaire, toute sa famille le convainc de vendre, et lui de rétorquer:

532Priska DEGRAS, L’Obsession du nom dans le roman des Amériques, Op.cit., pp. 5-6. 533

« Mais je dis non. Je le dis avec la plus grande douceur, en Mégremut qui ne veut pas peiner les gens qu’il aime. Toutefois je le dis, et je m’y tins avec obstination déplorable, contre laquelle la famille entière ligua et brisa ses efforts. Une grande consternation abattit les oncles, les tantes, les cousines et les cousins »534.

La première fois où il passe la nuit dans la maison de son grand-oncle Malicroix, il le dit : « J’étais chez moi »535. D’emblée, le personnage se sent comme chez lui, dans une maison qu’il n’a jamais vue ou habitée. Même le grand-oncle dans le testament lui fait la confidence :

« Car il y faut un légitime Malicroix, et Martial de Mégremut aura là une chance de se bien connaître. J’ignore ce qu’il est, ne l’ayant jamais vu ; mais je sais qu’il existe. Ainsi notre sang vit encore. Peut-être en dégagera-t-il l’âme des Malicroix, qui sommeille sans doute, à son insu, en lui »536.

Dans ce passage, le grand-oncle est convaincu que Martial est un Malicroix mais ce dernier ne le sait pas encore et il le découvrira sans doute une fois sur l’île. Sans oublier le fait que le testament révèle les vrais noms car « Conventionnellement, un testament, un

document officiel, comporte les noms légaux des personnes qu’il mentionne »537. Ainsi, dans le passage précédent, il est mentionné que Martial est bel et bien un Malicroix, et cette conviction précipite l’adhésion de Martial quand il déclare :

« M’endormir sur mon sang, ce sang qui avait appelé, et auquel j’avais répondu, ce sang qui était là, et dans le bruissement, quand je l’écoutais bien, sifflait imperceptiblement dans mon oreille. Ce sang, le dernier de la maison, un sang Malicroix, un sang vif, chaud, rapide […]. Je suivais ces pensées déjà somnolentes en me laissant aller avec plaisir aux pentes du sommeil le plus paisible et le plus propice au repos. Et peu à peu j’oubliai tout »538

Par l’entremise de ces mots, Martial se sent appartenir pleinement aux Malicroix. Par conséquent, en termes d’héritage onomastique, il s’en trouve privilégié. Et enfin, nous

534

Henri BOSCO, Malicroix, Op.cit., p. 16.

535Ibid.,p. 26. 536Ibid., p. 82.

537Marie Eve DIONNE, Nom propre et roman chez Suzanne Jacob, Op.cit., p. 25. 538

avons vu différentes appellations ainsi que leurs sens. Notons cependant, dans notre corpus, le recours aux surnoms.