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PREMIER CHAPITRE L’identité fictionnelle

2- Identité et milieu

L’espace ou l’environnement dans lequel évolue le personnage est très important dans un texte littéraire. A travers le milieu où les descriptions s’enchaînent et les actions entrent en scène, le lecteur peut catégoriser les actants. Ainsi dans notre corpus, analyser l’élément spatial concorde avec le caractère voire l’identité du protagoniste, de telle sorte que l’auteur crée l’espace dans lequel évolue son personnage aux dépens de son caractère.

Selon la thématique de la solitude, dans les différents romans, le cadre spatial est caractérisé par la tristesse et l’inanité. Comme dans Hyacinthe, le personnage vit seul dans

448Alex MUCCHIELLI, L’Identité, Op.cit., p. 13. 449

une maison et à l’extérieur ne demeure aucune autre maison sauf une dans laquelle il n’aperçoit personne, il n’est pas sûr, mais soupçonne une présence et ce à cause d’une lampe qui reste allumée. D’emblée, devant cette mise en scène, le lecteur imagine la solitude du protagoniste avant même que le narrateur lui en révèle davantage. C’est d’ailleurs ce qu’il déclare :

« La maison m’avait séduit par sa position solitaire, le chemin peu passant et, aussi loin que portât le regard, pas une habitation. Mais, derrière sa haie de peupliers touffus, je n’avais pas su découvrir cette métairie. Seuls un mur bas et le toit en pente s’élevaient de la terre. C’est dans ce mur, percé d’une fenêtre étroite, que tout à coup, dès le soir de mon arrivée, s’alluma la lampe »450.

Ce phénomène est perceptible dans Malicroix où le personnage vit avec ses tantes, ses oncles, soudain la lettre du notaire lui annonce qu’il doit les quitter pour bénéficier d’un héritage. Le personnage est ancré dans une atmosphère maussade à cause du mauvais temps qui règne et persiste dans l’île ainsi que le souffle du vent qui berce les branches des arbres générant une mélodie pathétique. Ajoutant à ce décor l’isolement et l’absence du voisinage, ainsi qu’il le déclare : « Autour de moi, en moi, je sentais ce silence, cet

abandon. "Où suis-je venu ?″ me disais-je […]. L’île m’appartenait, et j’étais cependant abandonné de tous »451.

Dans ces deux exemples, le cadre spatial reste primordial à l’agencement du caractère solitaire de notre actant, pour inspirer au lecteur ce sentiment de solitude. Dans

Sabinus et Les Balesta, le protagoniste ne se sent plus seul et pour ce faire l’auteur lui crée

un environnement peuplé et plein de vie. Nous retrouvons un personnage au milieu de gens qu’il côtoie tous les jours et connaît chaque habitant de chaque maison de son village. Le personnage décrit ce lieu qui est le même dans les deux romans :

450Henri BOSCO, Hyacinthe, Op.cit., p. 9. 451

« Sa position, l’importance de ses murailles, par le nombre de ses maisons, par son église qui fut dans le temps le siège d’un évêque, par la présence de ses trois couvents, par son hospice à deux étages, par son tribunal qui somnole mais qui existe tout de même, enfin, et surtout, par son air d’indéfinissable et simple noblesse, c’est déjà tout au moins une petite ville »452.

Le lieu est en osmose avec son caractère voire son identité. Et donc à travers cet espace nous pouvons, d’emblée, juger, dans ce cas, si le personnage est solitaire. Ainsi, dans Malicroix et Hyacinthe, il se languit de sa famille et donc sa solitude abonde dans le texte.

Pour conclure, quand la présence de la famille est très marquée, le thème de la solitude est vite banni du vocabulaire, notamment dans Sabinus ou Les Balesta. Par contre, le lecteur ressent la solitude du personnage qui prédomine dans Malicroix et Hyacinthe où l’absence de la famille est perceptible.

3- La solitude du personnage

Dans les romans bosquiens, le personnage est seul et rêveur, en plein délire, s’extasiant devant la nature, en quête de fugue et d’aventure, aux antipodes de Sabinus et

Les Balesta. Nous retrouvons aussi dans notre corpus le thème du déplacement, synonyme

de soif d’aventure et de découverte. Dans cette perspective, ne convient-il pas d’étudier les retombées de ce thème récurrent et le qualifier de fuite ? En d’autres termes, le personnage principal chez BOSCO n’a-t-il pas de tendances dépressives ? Se référant à ses antécédentes solitudes, ne cherche-t-il pas à travers ces déplacements et ces évasions, une échappatoire à la monotonie ?

D’après la thèse de Simona-Veronica FERENT :

« Selon la vision de Levinas, qui concorde avec celle de Marthe Bibesco, "le silence définitif d’autrui, porte atteinte à l’identité du moi" […]. Les héros de la modernité ne sont

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pas des solitaires, mais ils sont des êtres extrêmement seuls. […]. L’individu s’isole de l’Autre pour retrouver son Moi »453.

De ce fait, la solitude n’est qu’un moyen de se retrouver et de donner un sens à sa vie afin de se reconnaître. D’ailleurs, le personnage moderne se caractérise par la solitude à l’instar de la conception de notre auteur qui a su le réinventer. Sa solitude imposante ne peut passer inaperçue, un lecteur avisé relèvera la symbolique associée, c'est-à-dire un besoin d’évasion informant le lecteur sur l’intériorité du personnage. Ce dernier, qui ne saurait être a-sociable ou souffrant d’un comportement susceptible de l’empêche d’avoir de la compagnie, demeure cependant, prompt à une quête spirituelle. Il se retrouve seul pour mieux méditer sur son Moi. Selon FREUD, « Le Moi, […] s’avère être le moyen de

comprendre plus profondément et de mieux décrire les relations dynamiques au sein de la vie psychique »454. Ainsi, il s’emploie à mieux connaître ses envies, à la recherche d’une paix antérieure, et peut-être, retrouver dans cette solitude et dans ce silence, une communication avec ses ancêtres ou ses parents disparus. En effet, le personnage dans Les

Balesta et Sabinus évoque ses ancêtres. C’est pourquoi nous ne retrouvons plus cette

thématique de la solitude, eu égard à la présence de sa famille et il n’éprouve plus le besoin d’aller à l’aventure vers des lieux inconnus.

Dissocier le personnage de son environnement habituel est un signe d’évasion. Autrement dit, fuir l’angoisse et échapper à un quotidien pénible qui tend à peser sur ce dernier. Le protagoniste bosquien a des prédispositions dépressives, d’où ses multiples manifestations délirantes qui le pèsent et le poussent à s’évader pour mieux dissiper cette dépression ou tout simplement fuir pour survivre. Jean Pierre LAURANT approuve ce

453 Simona-Veronica FERENT, Le JE et l’AUTRE, ou comment l’altérité répond à l’identité

Questionnements chez Marthe Bibesco Isvor, le pays des saules et Le Perroquet Vert, Thèse soutenue à

l’Université de Limoges École Doctorale N° 375 - Sciences de l’Homme et de la Société Faculté des Lettres et des Sciences Humaines Équipe de recherche EA 4246 - Dynamiques et enjeux de la diversité, le 31 mai 2010, p. 159.

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postulat : « Pour échapper au destin, aujourd’hui comme hier, l’homme sait qu’il doit

opérer une rupture, partir, ″prendre ses distances″, c’est-à-dire ″son temps″, celui de vivre »455.

Comme nous l’avons cité plus haut, dans Les Balesta et Sabinus, nous ne retrouvons point cet état d’âme empreint de solitude, la raison de cette absence réside dans l’évocation de la famille. Un retour aux origines du personnage principal préfigure une existence où la solitude n’a plus droit de cité. Dans cette optique, quel impact ce procédé a- t-il sur la construction identitaire ?