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3-2 La symbolique des couleurs

4- Portrait du personnage

L’être de papier est incontestablement la pièce maîtresse du roman. Dès l’abord d’une œuvre, le lecteur recherche les différents personnages qui existent. Il n’en demeure pas moins que cette importance accordée à ces derniers persiste même après avoir terminé la lecture. Michel RAIMOND l’atteste : « Il nous arrive, même après que nous avons

achevé notre lecture, de songer à eux, de nous interroger sur eux, de situer notre vie par rapport à la leur »73.

Le personnage présent dans la plupart des genres n’a cependant pas la même portée que dans le roman. Jean-Yves TEDIE déclare que « Le récit n’a jamais accordé aux

personnages les mêmes possibilités que le roman. Les contradictions, les qualités multiples, la complexité, la profondeur ne s’y manifestent guère »74. Vincent JOUVE partage la même vision des choses :

« Les personnages sont couramment répartis en deux catégories. Forster, par exemple, distingue les personnages "ronds" des personnages "plats". Alors que les premiers sont dotés d’une "épaisseur psychologique", les seconds, figés, dès leur première occurrence, dans un portrait inamovible, se révèlent désespérément prévisibles »75.

Nous retrouvons dans un roman une variété de personnages, mais qui se regroupent en trois catégories : le personnage principal, les adjuvants et les opposants. Ces deux

73Michel RAIMOND, Le Roman, Op.cit., p. 199. 74Jean-Yves TADIE, Le Récit poétique, Op.cit., p. 13. 75

derniers contribuent à faire échouer ou au contraire à aider le protagoniste à accomplir sa tâche. Hormis le protagoniste, le personnage peut jouer un rôle essentiel aux côtés du héros « Personnage rond » comme il peut être juste figurant et passer inaperçu « Personnage plat ».

Le personnage principal, autrefois, se présentait comme un être de papier parfait, par son physique, par son caractère et par son courage. Ensuite, cette figure a évolué pour donner naissance à un héros moins parfait. Bien évidemment, cela n’empêche pas qu’il captive le lecteur. Michel RAIMOND explique que « L’esthétique du réalisme pittoresque

chère à Diderot a contribué à faire prévaloir l’importance d’un défaut ou d’un détail caractéristique susceptible de retenir l’attention du lecteur »76. L’auteur, à présent, s’emploie à attribuer une faille à son protagoniste. Le héros moderne est peureux, dépressif, solitaire ou infirme. Ces imperfections confèrent plus d’épaisseur au personnage principal. Ce dernier n’est plus ce figurant dépourvu de défauts auquel le lecteur ne pourra sans doute jamais s’identifier. RAIMOND affirme que « Des détails de cette sorte

contribuent à renforcer leur ″présence″ »77

. En effet, ces vices donnent de la vraisemblance au personnage et par conséquent de la crédibilité à l’intrigue. Christine MONTALBETTI souligne que « Le personnage peut bien recevoir des prédications

contradictoires. Il peut être sujet à toutes sortes d’instabilités »78. Cette complexité du personnage rend sa création laborieuse dans le récit.

A ce titre, il serait primordial de procéder à l’analyse du personnage. Pour ce faire, nous devons étudier le portrait de ce dernier puisque Vincent JOUVE précise que « Le

personnage est bel et bien un ″acteur″, il a aussi un nom et un portrait »79

. Ainsi, « Le

76Michel RAIMOND, Le Roman, Op.cit., p. 203. 77Ibid., p. 204.

78Christine MONTALBETTI, Le Personnage, Flammarion, GF, Paris, 2003, p. 19. 79

portrait, instrument essentiel de la caractérisation du personnage, participe logiquement à son évolution »80et demeure indissociablement lié au rôle qu’il va accomplir.

Le portrait du personnage fait partie de la description bosquienne, ainsi que le montre le passage suivant du roman Les Balesta : « Un vieil homme très doux, très pieux,

vivant seul »81. Mais aussi le portrait de Sabinus dans Sabinus :

« Et alors on le vit bien. Sa stature dépassait de peu une taille ordinaire, mais sa carrure eût été digne d’un géant de six pieds de haut. C’était un bloc. Les épaules larges, mouvantes, roulaient des muscles de taureau sous le drap de la veste. Le cou bien assis, solide, tanné, montrait les signes de la force : l’assiette large, l’épaisseur des chairs, la densité et l’inaltérable assurance. Le buste répondait à ces épaules et à ce cou par son ampleur »82.

Cette peinture de Sabinus s’étale sur trois pages. Elle souligne le caractère emblématique du personnage, ayant une apparence imposante et une allure digne d’un héros. Ce procédé préfigure la suite du roman, à savoir l’acte héroïque entrepris lors de l’incendie. Par le biais de ce tableau, le lecteur ne doute pas du courage et de la détermination de Sabinus à sauver Philomène ainsi que le reste du village. Nous remarquons que cette description n’apparaît pas pour nourrir l’imaginaire du lecteur mais plutôt afin d’anticiper l’action du personnage et mieux enchaîner les péripéties.

Dans Malicroix, la description du domestique du grand-oncle, qui se nomme Balandran, en est l’illustration, c'est-à-dire qu’elle laisse entrevoir le rôle que va jouer le personnage dans la suite du roman :

« Balandran était plus petit que moi, et maigre ; mais d’une maigreur brune, âpre, toute en cordons nerveux, en muscles nets. Déjà dans l’âge, gris, et de poils broussailleux. Des sourcils énormes ; ils se hérissaient au-dessus du regard, serré au cœur de la prunelle : un point vif et patient d’attention défiante, qui luisait sans faiblir, dans une étonnante immobilité »83.

80Vincent JOUVE, Poétique du roman, Op.cit., p. 88. 81Henri BOSCO, Les Balesta, Op.cit., p. 32.

82Henri BOSCO, Sabinus, Op.cit., p. 35. 83

Ainsi, cette description accorde un rôle secondaire au domestique. En effet, tout au long du récit, ce personnage s’emploie discrètement à servir son maître en lui cherchant du bois et si son maître l’interroge, sa réponse est laconique. Dans un passage, le protagoniste, en arrivant dans l’île, essaye d’entamer une discussion avec Balandran. C’est ainsi qu’il lui annonce : « Balandran, il pleut ce matin »84 et tandis que le personnage est de nature taciturne, comme la description physique laisse entrevoir, il réplique : « C’est la saison »85.

Ou encore la description du personnage dans Hyacinthe. A travers cette technique, le protagoniste fait alors le lien entre le portrait physique et le portrait moral de Hyacinthe :

« Il me semble qu’elle est très belle. Je ne saurais dire comment. Quand elle s’assied devant le feu, elle l’est. A d’autres moments aussi. Quelques fois elle perd cette beauté. On dirait que, du fond d’elle-même, une main monte et la lui retire. Il ne reste alors de son visage qu’un masque clos à l’air soucieux, comme d’une bête qui a peur »86.

Le portrait, dans un récit, remplit d’abord une fonction référentielle dans la mesure où il permet au lecteur de s’imaginer le personnage, tel que le montre la description suivante dans Sabinus, une peinture qui n’ajoute rien à la compréhension de l’histoire, mais concourt à planter un décor réaliste :

« Car sur le siège avant s’étalait une énorme négresse. Vêtue d’étoffes éclatantes, coiffée d’un madras à cornes pointues, elle rayonnait des couleurs les plus vives, le jaune, le vert, l’indigo, le rouge sang. C’était un monstrueux bouquet. Au cœur, un large et hilare visage d’un noir huileux, lisse, plein de lippu, s’épanouissait. Il s’épanouissait en regardant, en face, les voyageurs du siège arrière »87.

Ensuite une fonction narrative ou explicative, qui a pour vocation de mettre en valeur l’être fictif à un moment donné de l’histoire. En outre, la fonction symbolique précise le poids ancestral du portrait psychologique ou moral du personnage décrit. La

84Henri BOSCO, Malicroix, Op.cit., p. 39. 85Ibid.

86Henri BOSCO, Hyacinthe, Op.cit., p. 114. 87

description physique de maître Dromiols, personnage emblématique du roman Malicroix est à cet égard significative :

« Maître Dromiols m’apparut, tout vêtu de vert, dans une ample redingote. Il avait un grand col aux bouts cassés, cravaté plusieurs fois de noir. Un minuscule médaillon épinglait la cravate. Le front vaste et haut, se plissait au-dessus des arcades sourcilières ; les cheveux étaient drus et bruns ; ils s’argentaient aux tempes. Pas de sourcils. Des yeux petits, marron, au regard plein, concret ; des yeux qui ne s’égaraient pas d’une pensée à l’autre ; mais qui pesaient… »88.

Dans ce passage, nous remarquons que le narrateur s’attarde sur la description vestimentaire du personnage apportant à l’histoire des éléments importants quant au rôle de ce dernier, puisque « Le portrait vestimentaire (la référence à l’habit) renseigne non

seulement sur l’origine sociale et culturelle du personnage, mais aussi sur sa relation au paraître »89. Grâce à ce procédé, le narrateur donne de la valeur et de l’épaisseur au personnage mais aussi un poids par le biais des menus détails, d’où son rôle dans le récit. Le personnage Maître Dromiols symbolise le poids des ancêtres en ce qu’il incarne le légataire chargé de la transmission de l’héritage, selon George CESBRON : « Sa verve

nous donne l’impression qu’il a connu personnellement tous les ancêtres, collatéraux et descendants défunts du testateur défunt, et il nous paraît plus vieux que tous ces morts »90. Ainsi, « Son appartenance à une série de "trois générations de notaires" le place

quasiment au rang des immortels »91.

Au début du roman, Maître Dromiols décrit la situation à Martial92le protagoniste, puisque George CESBRON explique que

88

Henri BOSCO, Malicroix, Op.cit., p. 66.

89

Vincent JOUVE, Poétique du roman, Op.cit., p. 89.

90George CESBRON, Recherches sur l’imaginaire, cahier XIV, quinze essais de lecture anthropologique du

chant du monde de Jean Giono et de Malicroix d’Henri Bosco, recherches dirigées par George Cesbron

professeur à l’Université d’Angers, Université d’Angers, U.E.R des Lettres et des Sciences Humaines, 1986, p. 116.

91Ibid.

92La situation se présente comme suit : Martial doit séjourner dans l’île pendant trois mois et sans en sortir

« Par sa fonction, le notaire est un servant de la mort, puisqu’il célèbre les rites de la passation de pouvoirs au dernier vivant ; on peut même dire que cette fonction le conforte dans son indestructibilité : visiblement, il prend plaisir à raconter l’histoire mouvementée de la lignée Malicroix »93.

En lisant la lettre du testament de son grand-oncle, le notaire déclare :

« Moi Odéric Thierry Cornélius de Malicroix, j’ai écrit de ma main, ce testament […]. Mégremut viendra dans l’île et habitera ma maison. Il aura de toute jouissance, aussi sur les eaux qu’en terre ferme. Mon homme, Balandran, le servira. Mégremut s’engage d’honneur à demeurer dans l’île sans jamais en sortir, pendant trois mois, à dater de son arrivée »94.

Bien que ce personnage ne soit autre qu’un notaire censé rapporter les mots du défunt pour disparaître ensuite, il demeure un obstacle à la réussite ou alors à l’obtention de l’héritage de Martial, d’où sa description minutieuse qui symbolise son importance dans l’intrigue. En effet, à maintes reprises, le notaire essaye par tous les moyens de décourager le protagoniste et le pousser à quitter l’île et subséquemment abandonner le legs laissé par le grand-oncle. Nous développerons ce point dans le quatrième chapitre de cette partie.

Ensuite, intervient la description morale dans Sabinus, décrivant l’acteur principal qui n’est autre que Sabinus :

« Créature surchargée de soi jusqu’à ne plus laisser en soi un alvéole vide de substance humaine, quelle stupeur ! Mais aussi que de points nouveaux vulnérables ! Car être vraiment soi, ce n’est pas nécessairement être devenu courage, vigueur, force triomphante. C’est malgré tout n’être que soi, et ne porter, peut-être, que sa faiblesse et sa pusillanimité naturelles à leur perfection »95.

Cette description joue un rôle primordial dans le récit. L’analyse psychologique du personnage contribue à déterminer la relation existant entre ce dernier et le lecteur. A cet égard, Vincent JOUVE pose que « L’intérêt du portrait psychologique est de créer un

93George CESBRON, Recherches sur l’imaginaire, cahier XIV, quinze essais de lecture anthropologique du

chant du monde de Jean Giono et de Malicroix d’Henri Bosco, Op.cit., p. 116.

94Henri BOSCO, Malicroix, Op.cit., pp. 80-81. 95

lien affectif entre le personnage et le lecteur : il suscitera, selon les cas, admiration, pitié ou mépris »96, sans pour autant négliger l’aspect du réel qui prend forme.

La dernière fonction est la fonction esthétique laquelle donne une précision sur la beauté ou la laideur des personnages décrits. Par l’entremise de cette description, l’auteur nous fait vivre l’instant à travers un va-et-vient entre le beau et le laid. Cette peinture contrastée nous donne des détails, tantôt sur l’objet décrit, tantôt sur le personnage à travers lequel cette description s’opère, ainsi que l’atteste ce passage descriptif de

Hyacinthe :

« Il me semble qu’elle est très belle. Je ne saurais dire comment. Quand elle s’assied devant le feu, elle l’est. A d’autres moments aussi. Quelques fois elle perd cette beauté. On dirait que, du fond d’elle-même, une main monte et la lui retire. Il ne reste alors de son visage qu’un masque clos à l’air soucieux, comme d’une bête qui a peur »97.

A ce niveau, un portrait, et selon l’importance du personnage, peut comporter les éléments suivants : le nom, le prénom, l’âge, la tenue vestimentaire, le caractère, les manies, les vices, les craintes, le courage, la profession, les états d’âme, l’amitié et les fréquentations. Ces indications signalétiques identifient le personnage décrit. Par ailleurs, elles contribuent à la compréhension de la trame narrative, tout en dévoilant l’identité du personnage, un point que nous développerons au cours de la deuxième partie.

Le personnage participe aussi à rendre l’histoire vraisemblable. Certains détails, certains traits suscitent chez le lecteur cette inpression du réel, Michel RAIMOND affirme que « Les romanciers, pour faire vivre leurs personnages, ont recours à des truchements

divers : le monologue intérieur, qui nous plonge dans l’intimité de leur conscience, ainsi que la forme du discours indirect libre, l’analyse psychologique, l’indication d’un geste ou

96Vincent JOUVE, Poétique du roman, Op.cit., p. 90. 97

d’un comportement… »98. Et enfin, le personnage n’est plus cet être parfait qui ne souffre d’aucune faille. Bien au contraire, force est de constater que le lecteur est bien plus attiré par cette imperfection, Michel RAIMOND mentionne que

« Nous avons maintenant tendance à nous plaire davantage à des héros dont la psychologie est complexe : les romanciers français, comme leurs lecteurs, ont été marqués par la conquête de la psychologie moderne : ils étaient dès lors conduits à suggérer les complexités de la conscience et l’ambivalence des sentiments »99.

Ainsi le lecteur préfère chercher la signification des choses, aller vers la personnalité énigmatique de son personnage. Pour ainsi dire, le lecteur s’emploie à être perspicace, à l’affût des indices textuels.

Dans la description, mis à part le personnage, bien d’autres éléments sont décrits. Bien évidemment, nous sous-entendons les objets qui engendrent une multitude de sélections sémantiques à l’image de la lampe.