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QUATRIEME CHAPITRE L’héritage familial

5- Héritage ancestral

Dans notre corpus, nous sommes en présence d’expressions récurrentes qui dans le cadre de l’héritage, occupent une place importante dans le récit. Ainsi, « Le héros bosquien

porte souvent en lui, à son insu, l’âme d’un ancêtre qui […] dort en lui »427.

Dans Les Balesta, le narrateur est à la recherche de ses ancêtres, des souvenirs qui le rapprochent d’eux, et pour ce faire, nous dit-il, « Je descends en quête de l’âme qui en

eut la garde pendant son séjour sur la terre et je vais, au-delà de ces souvenirs recueillis des miens, jusqu’à la mémoire profonde, celle que fatalement je conserve en moi dans le

426Henri BOSCO, Malicroix, Op.cit., p. 57. 427

mystère de mon sang inexploré »428. Le personnage est en quête de sa filiation et cherche désespérément un héritage enfoui en lui dont il sent qu’il est imprégné.

Quand le narrateur loue ses ancêtres en avançant que « Là-haut, en ce temps, l’on

disait déjà de ces Balesta faciles à vivre qu’ils avaient du miel dans le sang »429, le terme sang étant utilisé dans le sens de filiation, c'est-à-dire que, de génération en génération, le miel se transmet dans la famille des Balesta, un héritage qui semble ravir le personnage, ainsi fier de s’en prévaloir.

En outre, la famille Balesta attristée par son désaccord avec Melchior, une séparation jamais connue auparavant, pense qu’il est hanté par sa compagne Ameline car « Telle est l’opinion unanime : mais ce n’est plus lui. Il est possédé »430. Afin de le récupérer, tout le monde se met à une prière si forte puisque « Tous les Balesta réclamaient

maintenant du Ciel le secours de cette particulière justice dont ils avaient si longtemps souffert et répudié les excès […]. Leurs prières se faisaient instantes jusqu’à appeler le sang »431. Le sang dans ce passage renvoie aux ancêtres, c’est pourquoi les Balesta font

appel à ces derniers pour leur donner la force d’affronter cette terrible situation, leur permettant de vaincre la malédiction du don qui lui-même a été hérité.

Le protagoniste de Malicroix découvre une lettre de son grand-oncle qui lui est destinée, il lit à ce propos :

« Mon ombre sera présente, si vous êtes un Malicroix, ce qui, pour moi, ne saurait faire doute, n’eussiez-vous de mon sang qu’une goutte encore vivante. Enfin vous portez avec vous la puissance inviolable de la légitimité juridique et de la filiation du sacrement. Vous êtes mon fils. Je veux que vous soyez aussi mon âme sur la terre »432.

428

Henri BOSCO, Les Balesta, Op.cit., p. 16.

429Ibid., p. 60. 430Ibid., p. 312. 431Ibid., p. 319. 432

Dans cette séquence, le défunt lui lègue non seulement ses biens matériels mais en plus son sang et son âme. Par conséquent, l’héritage dans cette histoire ne s’arrête pas au patrimoine. D’ailleurs, dès le début, même avant de recevoir la lettre du notaire l’informant de son héritage, et en dépit du peu d’intérêt de sa famille pour cet homme, Martial se sent rattaché à lui par le sang, ainsi qu’il le déclare : « Je me sentais de son sang par le goût de

la solitude. Je ne suis Malicroix que par ma mère. Mais c’est par le sang de nos mères que passent en nous les violences, et toujours une race forte en tire le trait singulier qui lui imprime son génie »433. Il est clair que le personnage hérite de la solitude des Malicroix parce qu’il est lié par le sang, et du fait qu’il est solitaire, il se sent du même sang que les Malicroix. Le personnage affirme être proche de Cornélius434 alors qu’il ne l’a jamais connu. C’est sans doute pourquoi il précise : « C’est dire qu’on ne l’aimait pas. Moi

cependant je l’admirais. J’en savais peu de chose »435.

Dans le même roman, le protagoniste en s’allongeant dans le lit de son défunt grand-oncle, déclare :

« M’endormir sur mon sang, ce sang qui m’avait appelé, et auquel j’avais répondu, ce sang qui était là, et dont le bruissement, quand je l’écoutais bien, sifflait imperceptiblement dans mon oreille. Ce sang, le dernier de la maison, un sang Malicroix, un sang vif, chaud, rapide, sauvage »436.

Dans ce discours, le personnage prend possession du sang de son grand-oncle, il le dit : « M’endormir sur mon sang ». De prime abord, le lecteur s’interroge sur le sang du protagoniste même, cependant en continuant la lecture, il se rend compte que le sang dont il parle, et dont il prend possession est bien celui du grand-oncle perdu, il témoigne : « Ce sang qui m’avait appelé ». Et d’ajouter plus loin : « Un sang Malicroix ».

433Henri BOSCO, Malicroix, Op.cit., p. 14. 434Le grand-oncle du personnage principal. 435Henri BOSCO, Malicroix, Op.cit., pp. 13-14. 436

Une autre analyse dans le même ouvrage témoigne de l’héritage par le sang du protagoniste, « Car c’est là un sang qui attache et qui commande ; même chez moi, qui ne

saurais habituellement exiger, ni donner un ordre, tant je suis Mégremut. Mais l’odeur du vieux sang sauvage, à travers ma douceur native, Balandran l’avait flairée. Il m’aimait »437. Le personnage Balandran étant habitué à vivre avec le vieux Malicroix, connaissait cette origine, alors constate qu’il est, du même sang de son grand-oncle.

Le personnage trouve une lettre de Cornélius qui lui est destinée et déclare :

« Mon ombre sera présente, si vous êtes un Malicroix, ce qui, pour moi, ne saurait faire doute, n’eussiez-vous de mon sang qu’une goutte encore vivante. Enfin vous portez en vous la puissance inviolable de la légitimité juridique et la filiation du sacrement. Vous êtes mon fils. Je veux que vous soyez aussi mon âme sur la terre »438.

Les mots du grand-oncle sont assumés. Martial est bien un Malicroix, il ne demeure aucun doute. Cette appartenance est attestée par l’acte juridique de la filiation. En lisant cette lettre, comment le personnage principal peut-il laisser choir cet héritage ? A présent, il est un Malicroix, et il est, dans le sens figuré, le propre fils du grand-oncle. Par cette métaphore, le protagoniste est comme condamné à respecter son pacte et honorer la mémoire de Cornélius de Malicroix.

Selon Sandra BECKETT, « C’est surtout aux héritiers de sang qu’incombe cette

espèce d’héritage, car ceux qui partagent le même sang sont capables de partager un même rêve »439. En effet, pour être digne d’un héritage, il ne suffit pas seulement de mériter l’héritage matériel, tels que la maison, l’île ou le troupeau. Au début du roman

Malicroix, le personnage principal explique clairement qu’il est un Mégrémut, mais reste

également un Malicroix. Ainsi, être digne d’un héritage est bien évidemment être digne du droit du sang des Malicroix.

437Henri BOSCO, Malicroix, Op.cit., pp. 213-214. 438Ibid., p. 299.

439

Dans Malicroix, comme dans Les Balesta, l’héritage peut être contraignant, en ce qu’il n’est pas un bien qu’on reçoit en souvenir de quelqu’un, car c’est avant tout une souffrance, un calvaire, et parfois une chose honteuse à laquelle on est confronté et forcé de l’accepter en dépit de tout. Ainsi, il faut se montrer à la hauteur. Comme l’atteste Suzanne GAGNE-GIGUERE à propos de la valeur de la maison chez BOSCO, abordant l’héritage de celle-ci dans Malicroix, elle postule qu’il est « D'abord spirituel et, pour cela,

exigeant; il faut que l'héritier s'en montre digne »440

Conclusion

Dans ce chapitre, nous avons tenté d’évoquer les différents types d’héritages présents dans notre corpus à travers lesquels l’auteur transmet cette richesse de variétés qui, tantôt réjouit le personnage, tantôt l’afflige et l’éprouve.

Au terme de ce chapitre, nous clôturons la première partie qui est loin d’être une fermeture mais plutôt un tremplin à la deuxième partie. Cette dernière s’ingénie à définir les constructions identitaires du personnage bosquien. Nous emploierons, dans le cadre de l’analyse de ces constructions identitaires, des significations qui nous permettent de répondre aux questions posées au départ de ce travail de recherche. Tel est l’objet de la partie qui suivra.

440Suzanne GAGNE-GIGUERE, La Maison et sa valeur dramatique dans les romans d'Henri Bosco, Thèse

soutenue à l’Université de Graduate Studies and Research Mc Gill University in partial fulfillment of the requirements for the degree of Master of Arts, October 1971, p. 63.