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QUATRIEME CHAPITRE L’héritage familial

3- Héritage onomastique

La fonction du nom est de désigner les personnages. L’auteur fait un travail minutieux quant au choix de ces noms doués de signification. Cette présente analyse est pertinente eu égard à ses résurgences dans les romans de BOSCO. D’ailleurs, Sandra BECKETT souligne que « Pour Bosco, comme pour les gens de l’antiquité, le nom

personnel, est beaucoup plus qu’un simple signe d’identification. Le nom est une dimension essentielle de la personne »400. Ce postulat s’illustre dans Malicroix. Deux conceptions d’héritages s’affrontent : d’un côté, l’héritage bienveillant des Mégremut, se caractérisant par la douceur, et de l’autre côté, un héritage contraignant des Malicroix qui se distingue par la solitude. C’est précisément cette solitude qui l’aide finalement à mieux se connaître. D’ailleurs, George CESBRON déclare que « Sa solitude lui permet de nourrir

avec beaucoup d’acuité sa vie sensorielle et mentale »401.

Précédemment, le personnage révèle que ce grand-oncle Malicroix était « Caché

au plus noir »402 du personnage, ce qui donne à voir qu’il s’agit d’un personnage maléfique. Et par-dessus tout, le personnage principal affirme que Malicroix « Incarnait

pour nous la sauvagerie même. Ni bon, ni méchant, mais seul ; c’est-à-dire inquiétant et peut-être terrible »403. Tout semble être clair aux yeux des lecteurs, les Mégremut sont, par rapport aux Malicroix, les plus doux et les plus chaleureux. En revanche, au fil des pages, le lecteur se rend compte, par le biais des autres personnages ayant connu jadis le grand- oncle Malicroix, qu’il était de loin le plus vertueux.

400Sandra BECKETT, La Quête spirituelle chez Henri Bosco, Op.cit., p. 49. 401

George CESBRON, Recherches sur l’imaginaire, cahier XIV, quinze essais de lecture anthropologique du

chant du monde de Jean Giono et de Malicroix d’Henri Bosco, Op.cit., p. 100.

402

Henri BOSCO, Malicroix, Op.cit., p. 15.

En outre, le protagoniste avait en lui la certitude d’appartenir aux Malicroix autant qu’aux Mégremut. Au moment où il tarde dans l’île, les siens (les Mégremut) s’inquiètent pour lui et ils lui envoient une longue lettre. Néanmoins, la sérénité du personnage est perturbée par un événement inattendu. Ainsi il annonce :

« Les Mégremut avaient surgi. Et ils m’avaient dit : "Mégremut, sois raisonnable. Tu n’as rien d’un Malicroix, Mégremut tu fus, Mégremut tu restes et tu resteras. On te connaît. Et puis à quoi bon chercher autre chose ? Un tendre, ce n’est pas si mal. La tendresse a ses avantages, Martial. Ne joue pas aux sauvages" »404.

L’entourage du personnage prend conscience que le protagoniste commet l’imprudence de séjourner dans l’île, puisqu’il n’est pas un Malicroix et s’obstine à le devenir. Le personnage tient à l’héritage de la maison de son grand-oncle et aime à être affilié aux Malicroix. Pourtant, il a subi une épreuve peu commune et il reste dans l’île tout en se lamentant :

« Quelle pénétrante tristesse ! Je suis seul. Pour un homme élevé avec douceur et qui prend son plaisir des hommes, cet isolement inhabituel ne peut qu’engendrer de l’ennui, s’il pense à son pays natal. Et aujourd’hui j’y pense, dans cette maison solitaire, si loin des miens, au milieu des eaux sauvages »405.

Même si le personnage n’est pas dans son élément, il se voit appartenir aux Malicroix, en dépit du risque de solitude, affrontant le mauvais temps, les manigances et les agissements de Maître Dromiol. Ce dernier est un opposant dans le récit. Son obsession est de faire obstacle à la quête du protagoniste dans sa mission en recourant à tous les moyens potentiels. D’ailleurs, George CESBRON parlera de « La voracité

naturelle de Dromiols, son désir de ne faire qu’une bouchée de la douce brebis Mégremut et de l’héritage de Cornélius »406. Pour Maître Dromiol, Martial n’est qu’une brebis, c’est

404Henri BOSCO, Malicroix, Op.cit., p. 151. 405Ibid., p. 42.

406George CESBRON, Recherches sur l’imaginaire, cahier XIV, quinze essais de lecture anthropologique du

une proie facile à capturer, facile à duper. Pour mener à terme son entreprise, il s’emploie à dissuader ses détracteurs quand il annonce notamment : « "On est des hommes",

continua-t-il, avec une mélancolie pleine d’emphase ; "et l’homme vit mal sous les vents sauvages, dans les étendues solitaires. Pour peu que vous vous attardiez en ces lieux inhospitaliers, vous en éprouverez, Monsieur, la rigueur et l’ennui insupportables" »407. Martial lui fait rappeler qu’il a bien tenu durant huit jours et l’autre personnage d’ajouter : « Huit jours qui ont été huit siècles… »408.

Au début, Maître Dromiol amadoue le personnage principal avec des mots, en essayant de le convaincre que le déchaînement des forces de la nature est loin d’être commode, qu’il ne pourra pas supporter la solitude qui y règne. Imperturbable, Martial résiste, il pense à son grand-oncle, au désir d’appartenir aux Malicroix; il en faut beaucoup plus que des mots pour décourager Martial. Dans ce passage, l’obsession ou encore la détermination d’appartenir à une famille supplante les aléas que comporte cette aventure. Le protagoniste brosse un tableau de solidarité familiale. A vrai dire, la famille est une force, un tremplin pour vaincre les désagréments et mettre en œuvre la résistance ou alors le désir d’appartenir aux Malicroix.

Les tentatives de dissuasion verbales incitent Maître Dromiol à recourir à un autre moyen. Durant sa balade quotidienne, Martial d’un coup est pris d’un malaise, en se réveillant, se rend compte qu’une femme est au petit soin avec lui mais elle refuse de lui révéler son identité. Entreprenante et séduisante, elle le surprend en lui annonçant : « Balandran est malade comme vous »409. Pris de panique, Martial l’interroge et comprend qu’il ne connaîtra son salut qu’en quittant l’île. Cette nouvelle stratégie met le personnage

407Henri BOSCO, Malicroix, Op.cit., p. 70. 408Ibid.

409

dans une situation délicate susceptible de l’amener à quitter l’île. Dans cette partie du roman, l’héritage n’est plus un patrimoine légué mais une épreuve inconfortable.

Et la femme d’ajouter : « Il est seul, Balandran, et bien plus malade que vous »410, puis elle affirme : « "Bientôt", murmura cette voix dont je sentais le souffle sur ma joue,

"bientôt vous serez assez fort pour passer avec moi le fleuve et aller là-bas, mon ami" »411,

ensuite elle disparaît alors qu’il l’attendait chaque soir mais en vain. Un soir de tempête, elle réapparut, et chuchota : « Ils arrivent. Suivez-moi. Prenez un manteau. Le temps est

mauvais »412. Sans se rendre compte, Martial se lève et la suit. Elle le prend par la main et

le traîne dans la forêt, en insistant : « Balandran va peut-être mourir »413; arrivée près de la rivière, elle le rassure : « Ma barque est là. Je connais le fleuve, on va le passer. Un

quart d’heure suffit […]. Un corps, c’est lourd. Mais vous et moi nous y arriverons »414. Cette femme ne le laisse pas réfléchir, à présent il ne faut plus perdre de temps qui leur est compté, au risque d’être fatal pour Balandran. Martial confie : « J’ai cédé. Elle m’a

conduit avec précaution, à travers les broussailles »415, Martial et cette femme arrivent tout près de la barque et là le moment fatidique est arrivé, elle tend sa main vers lui, et il confie : « Alors j’ai fui »416. Tout ce que Maître Dromiol a mijoté pour le faire sortir de l’île a échoué. Un peu plus tard Martial se rend compte de cette manigance, et se dit : « Balandran, un bon appât pour me tirer de l’île : l’absence, la séparation, la maladie,

l’agonie peut-être, comment aurais-je résisté ? »417. Dans cette analyse, l’héritage est convoité et celui qui ne le possède pas tente de s’en emparer. Un héritage qui est un supplice pour l’un et une sorte de repère identitaire pour l’autre.

410

Henri BOSCO, Malicroix, Op.cit., p. 253.

411Ibid. 412Ibid., p. 260. 413 Ibid. 414Ibid. 415Ibid. 416Ibid., p. 261. 417 Ibid., p. 264.

Surpris, Maître Dromiol, pensant que Martial est tombé dans son piège, savoure sa victoire :

« Il a du cœur, fit remarquer Dromiol, d’un ton satisfait, presque bienveillant […]. La fille aussi a bien servi, ajouta-t-il, en levant sur Oncle Rat son œil fauve. Il manquait une fille à cette histoire. Le bon serviteur y était mais sans fille on n’arrive à rien […]. Allez nous attendre à l’embarcadère. Dans un quart d’heure, nous passerons l’eau ; on les prendra comme des rats à la Regrègue. Puis nous dresserons le constat, devant trois témoins […]. Après tout, l’important c’est qu’il ait quitté l’île. Il n’était que temps, Oncle Rat. Tout juste une semaine. S’il avait tenu encore sept jours, il héritait. […] maintenant le voilà déchu, et bien déchu, déchu légalement, d’une déchéance sérieuse, déchu devant notaire ! […]. Pour lui le testament est mort. Plus d’héritage au Mégremut »418.

La cruauté et la sournoiserie de ce personnage, en l’occurrence Maître Dromiol, sont manifestes dès lors qu’il avait tout planifié, il a peu ou prou tenté de nuire au personnage principal mais en vain. Aux yeux de Martial, appartenir aux Malicroix est bien plus valorisant que de conquérir le cœur de n’importe quelle femme. L’héritage de la maison et de l’île reste finalement une formalité, le plus important est de ne pas trahir la confiance dont son grand-oncle Cornélius de Malicroix l’avait investi. En somme, le protagoniste tenait à cet héritage dans le but de faire partie des Malicroix, et Maître Dromiol convoitait le même héritage mais pour de l’argent. Ces deux personnages se disputaient un combat similaire, cependant à des fins opposées.

L’héritage onomastique a une résonnance particulière dans les romans de BOSCO. Son personnage se réclame de ses ancêtres, de ses origines et leur témoigne respect et loyauté. En outre, il nous incombe d’approcher une autre forme d’héritage. Le personnage principal, en arrivant dans la maison de son grand-oncle, découvre qu’une personne est à son service. Autrefois au service du défunt, le majordome se voit contraint d’obéir à son nouveau maître, le jeune héritier Martial. Dans l’analyse suivante, nous aborderons cette forme d’héritage présente dans Malicroix.

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