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CHAPITRE 4 : POUR UN SERIOUS GAMING DU GAME DESIGN

4.2 De la gamification à la neurogouvernance

4.2.1 Sociabilité paradoxale dans les jeux vidéo et déterminants de la santé

La septième édition d’une étude sur les médias sociaux à caractère non scientifique, menée par Hootsuite et We Are Social témoigne de la pérennisation de leurs usages2. Cette étude

publiée en janvier 2018 fait d’abord état des chiffres à l’échelle mondiale : 4 milliards d’internautes, 3,2 milliards sont présents sur les réseaux sociaux3. En France par la suite,

sur 65,11 millions de personnes, 57,29 millions sont des utilisateurs d’internet avec parmi eux pas moins de 38 millions d’utilisateurs actifs des médias sociaux. En termes de temps, sur une durée moyenne de 4h48 d’utilisation d’internet, tous médias confondus, 1h22 est consacrée à une pratique « sociale », contre 3h03 passées à regarder des vidéos et 0h34 à écouter de la musique4. Dans son rapport sur l’année 2017, Médiamétrie dévoile le tiercé

gagnant : dans l’ordre, Facebook, YouTube et Snapchat sont les médias sociaux les plus utilisés. Est cependant précisé : « A l’inverse, chez les 15-24 ans, qui consacrent près de la

moitié de leur temps internet aux plateformes sociales (43 min), YouTube arrive en tête devant Snapchat et Facebook. »5.

De prime abord les médias sociaux, qui par principe permettent de déployer les liens sociaux dans les mondes numériques, suggèrent un accroissement des sociabilités et de la sociabilisation. Cependant, il s’avère que les sociabilités numériques s’articulent autour d’un double paradigme contradictoire. L’ouvrage collectif Subjectivation et empathie dans

les mondes numériques y fait référence sous les termes de « sociabilité paradoxale »6 :

« pour qualifier les relations sociales dans les mondes virtuels, on parle alors de "solitude

collective" où chacun est entouré d’autres joueurs, mais n’interagit pas nécessairement

1 Pierre BOULEY, François MOREL, ibidem, 45-47èmes minutes.

2 Flavien CHANTREL, Le blog du modérateur, « État des lieux 2018 : l’usage d’Internet, des réseaux sociaux et du mobile en France », http://www.blogdumoderateur.com/, mis en ligne le 30 janvier 2018, consulté le 04 mai 2018.

Url : https://www.blogdumoderateur.com/etat-lieux-2018-internet-reseaux-sociaux/.

3 « Sur les 4 milliards d’internautes dans le monde (+7% sur un an), 80% sont actifs sur les réseaux sociaux, soit 3,2 milliards (+13%). ».

Flavien CHANTREL, « État des lieux 2018 : l’usage d’Internet, des réseaux sociaux et du mobile en France », op.cit. 4 Flavien CHANTREL, ibidem

5 Benoit DAVID, Médiamétrie, « L’Année Internet 2017 », http://www.mediametrie.fr/, mis en ligne le 22 février 2018, consulté le 04 mai 2018.

Url : http://www.mediametrie.fr/internet/communiques/l-annee-internet-2017.php?id=1830.

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avec eux. »1. Cette sociabilité non socialisante, permettant de satisfaire le besoin de relations

sociales par ce qui est qualifié par les auteurs d’une « illusion de relation »2 et aurait pour

conséquence une perte de l’engagement de soi envers la société3 . Or, ces conséquences

produiraient donc un effet inverse à celui qui est attendu des médias sociaux aux propriétés contributives et participatives.

Cependant, concernant le média jeu vidéo, même si le facteur social ne constitue pas la motivation première des utilisateurs, y compris des utilisateurs de MMORPG4, il apparait

que le double régime de la contribution et de la participation est nécessairement engagé par les utilisateurs. En effet, Yann Leroux l’explique : « Il y a des choses en termes de sociabilité

que les jeux vidéo favorisent et que les autres médias ne favorisent pas. Quand vous êtes dans un jeu vidéo vous participez à la construction de l’univers. Lorsque vous faites partie de la première guilde qui réussit à faire tomber pour la première fois le premier boss de la nouvelle extension, un cinéphile ne peut pas connaitre ça. […]. La participation est au cœur des jeux vidéo et ça aucun autre média ne l’a. »5. Aussi, c’est parce que la contribution et

la participation font à la fois partie des fonctionnalités et du mécanisme des jeux vidéo que la sociabilité des joueurs est sollicitée.

Ainsi, la contribution et la participation, parce qu’elles permettent toutes deux de développer les liens entre ce qui est imaginé à l’intérieur de soi et ce qui est effectif à l’extérieur, induisent toutes deux l’engagement d’un soi social6. Par ailleurs, l’ensemble des

règles du jeu en vigueur dans les sociabilités des mondes dits « physiques » ne sont pas systématiquement effectives dans les mondes numériques. Dès lors, comme l’explique Yann Leroux : « […] des dimensions qui auraient pu empêcher la création du lien social sont

masquées dans le jeu vidéo donc ça facilite les relations parce que comme beaucoup de mondes numériques les jeux vidéo rendent les frontières poreuses. Vous pouvez avoir 14 ans et être chef de guilde et commander des gens qui ont 50 ans. Dans la vraie vie personne ne vous permettrait de le faire […]. »7. Ainsi, en permettant aux joueurs de créer de nouveaux

schémas de sociabilités là où les normes sociales mettent habituellement en place des sanctions normalisatrices, les jeux autorisent et stimulent l’ensemble du spectre des compétences psychosociales, comprenant la créativité.

1 Serge TISSERON, dirigé par, Subjectivation et empathie dans les mondes numériques, op.cit., p.84 2 Serge TISSERON, dirigé par, ibidem, pp.84-85.

3 Ibid.

4 Serge TISSERON, dirigé par, ibidem, p.86.

5 Pierre BOULEY, François MOREL, « Jouer, Apprendre », op.cit., 45ème minute.

6 Serge TISSERON, dirigé par, Subjectivation et empathie dans les mondes numériques, op.cit., p.84 7 Pierre BOULEY, François MOREL, « Jouer, Apprendre », op.cit., 44ème minute.

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Cependant, sans retour réflexif sur les bénéfices de leurs pratiques, et en sachant que le facteur social n’est pas nécessairement le déclencheur de la pratique du jeu, les jeux vidéo semblent développer une sociabilité soit non sérieuse, soit d’un sérieux au caractère hautement subversif. Aussi, les sociabilités alternatives, si elles impactent inévitablement les déterminants de la santé relatifs au sujet, ont une fourchette d’impact extrêmement large, parcourant tout le spectre des effets minimes et significatifs, négatifs comme positifs. Ainsi, si la pérennité des effets est variable, ils arrivent tout de même à « susciter la motivation

intrinsèque pour que les gens acceptent de faire le travail nécessaire pour que les choses puissent se passer. »1 . Concernant les déterminants de la santé, ils permettent donc de

désactiver ou d’activer les leviers faisant traditionnellement défaut dans les mondes « physiques ».