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CHAPITRE 4 : POUR UN SERIOUS GAMING DU GAME DESIGN

4.1 Game design et changement des comportements

4.1.2 Confrontation des jeux vidéo et des « serious game » aux modèles de

chercheur en SIC. En effet, aujourd’hui, les TIC donnent un accès permanent à ces leviers de motivation à différentes populations. Par exemple grâce aux cookies sur internet ou par la façon même de jouer aux jeux vidéo, l’usager voit dans les mondes persistants ses comportements entièrement modelés et guidés vers l’exécution de tâches et un répertoire d’actions totalement inédit par rapport aux mondes dits physiques. Dans les jeux vidéo les joueurs et les joueuses développent de nouvelles attitudes adaptées à la poursuite de leur activité vidéoludique. Ainsi, il apparait que ce type de support permet bel et bien d’employer l’information efficacement dans la conduite de comportements. Aussi, la taxinomie de Michie et le tailoring constituent à cet endroit une grille de lecture des jeux vidéo et des

serious games, dont l’interprétation permet de comprendre pourquoi et comment les

contenus retirés par les joueurs vont être employés tantôt en faveur, tantôt en défaveur de leur bien-être. Les TIC en général et les jeux vidéo en particulier, qu’ils soient sérieux ou non, sont sur les plans structuraux et fonctionnels en possession des ressources nécessaires à l’activation des principaux leviers de changement des comportements. Cependant, l’ensemble des stratégies mises en œuvre implique l’atteinte d’un objectif en termes de changement. Aussi, c’est bien ce point qui semble incompatible avec l’activité de jeu dont le but structurel est celui du divertissement. A cet endroit il apparaît que, lorsque l’activité ludique est précédée et/ou suivie d’étapes permettant un retour réflexif sur les leviers activables dans le jeu dans un but annexe à celui du divertissement, celle-ci autorise alors une comptabilité des deux activités.

4.1.2 Confrontation des jeux vidéo et des « serious game » aux modèles de changements de comportement

L’I-Change modèle, se voulant être la synthèse de différents modèles tels que ceux de la théorie sociale cognitive, la théorie du comportement planifié ou encore la théorie de fixation des buts de Peter Gollwitzer a pour objet la convergence de l’intention avec les comportements1. Il a pour point de départ les facteurs informationnels, tels que les facteurs

personnels, du message, de l’émetteur et de la voie de communication, et les facteurs

1 Voire « Figure 5 : I-Change modèle » p.86. Michel MOREAU LAPOINTE, ibidem, p.22.

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prédisposants, tels que les facteurs biologiques, psychologiques, comportements et socio environnementaux. De ces deux grands ensembles découlent trois phases : l’augmentation de la conscience impulsée par la connaissance et la perception du risque, le développement d’une intentionnalité prenant support sur une attitude et un environnement social, et enfin l’adoption de comportements en cohérence avec le potentiel du sujet.

Figure 5 : I-Change modèle

« Figure 5 - Theoretical framework of the DEF tailored intervention » in

in Michel MOREAU LAPOINTE, op.cit., p.49.

Bien qu’ayant démontré son efficacité dans son application à long terme1 , l’I-Change

modèle fait l’économie de deux aspects pourtant essentiels : celui de motivations contrôlées et de motivations autonomes. La théorie de l’autodétermination permet dans un premier temps de se défaire de la Théorie des besoins de Maslow et, dans un second temps, de les appréhender via le prisme de la motivation. En effet, cette théorie prend en compte le fait que l’environnement social, dans sa structure, dans l’encouragement et le soutien à l’autonomie qu’il peut encourager, et l’implication contribuent directement à la satisfaction des besoins fondamentaux identifiés ici comme l’autonomie, la compétence, et la proximité sociale2 . Aussi, si Susan Michie permet d’identifier les leviers du changement des

1 Michel MOREAU LAPOINTE, ibidem, pp.22-23. 2 Michel MOREAU LAPOINTE, ibidem, pp.24-25.

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comportements et le tailoring d’en donner le ton, il apparait que l’I-Change modèle et la théorie de l’autodétermination apportent tous deux des méthodologies complémentaires. Aussi, lorsque l’on utilise les supports vidéoludiques pour changer les comportements, le

game design apporte effectivement les ingrédients recherchés par les usagers : anonymat,

interactivité, portabilité, information et intelligibilité1 . Cependant, l’objectif est de faire

évoluer les motivations contrôlées en motivations autonomes. Effectivement les motivations contrôlées constituent des intentions imposées par des forces externes ou internes au sujet. C’est notamment le cas des sanctions normalisatrices ou des préconisations d’un tiers envers un autre. Ainsi, dans le cadre de la conduite de changements des comportements, l’intention est de prescrire des comportements différentiels. Or, l’objectif est réellement atteint lorsque ces motivations contrôlées mutent en motivations autonomes en tant que motivations résultantes du choix conscient du sujet qui éprouvera alors du bien-être dans la mise en œuvre des comportements qu’elles impliquent2.

Néanmoins, comme l’expliquent Pierre Bouley et François Moral dans le documentaire « Jouer, apprendre » les jeux, qu’ils soient sérieux ou non, ont tendance à mettre en opposition ludique et sérieux. Or, le paradigme de réduction ici ne permet pas de faire converger ces deux derniers et ralentissent donc la mutation des motivations contrôlées en motivations autonomes. Comme en témoigne François Morel dans son documentaire :

« Mes parents sont en effet longtemps restés méfiants envers le jeu vidéo. Je pouvais le pratiquer, presque en cachette, chez des amis. Mais à la maison, c’était un tort, enfin pas complètement. Si le jeu en question s’appelait Versailles et qu’il pouvait contribuer à m’apprendre l’histoire ou si le CD-Rom était une visite guidée du Louvre mes parents étaient ravis et n’auraient su s’opposer à de longues sessions endiablées remplies... d’apprentissage. Moi, je voulais jouer, pas apprendre. Jouer. »3

L’oxymore serious game constitue ici son propre poison. Comme l’explique Julian Alvarez dans ce même documentaire, tous les jeux enseignent quelque chose et c’est bien à partir du moment où l’on n’a plus rien à y apprendre que vient l’ennui puis l’arrêt du jeu4. Aussi,

entre d’une part les serious game présentant un potentiel de flow limité du fait des intentions

1 Olga KULYK, Chantal DEN DAAS, Silke DAVID, Lisette VAN GEMERT-PIJNEN, « How Persuasive are Serious Games, Social Media and mHealth Technologies for Vulnerable Young Adults? Design Factors for Health Behavior and Lifestyle Change Support: Sexual Health Case », Third International Workshop on Behavior Change Support Systems, 2015, p.28-42, pp.34-35.

2 Michel MOREAU LAPOINTE, Développement systématique d’une intervention tailoring internet automatisée faisant la

promotion de la pratique d’activités physiques régulière chez les personnes atteintes du diabète de type 2 insuffisamment actives. Intégration de la Théorie de l’autodétermination, de l’entretien motivationnel et du I-Change Model, op.cit.,p.24.

3 Pierre BOULEY, François MOREL, « Jouer, Apprendre », Game One, diffusé le 25 mars 2018 à 20h45, 1ère minute. 4 Pierre BOULEY, François MOREL, « Jouer, Apprendre », op.cit., 37ème minute.

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affichées et d’autre part les jeux traditionnels qui, eux, n’impliquent pas le retour réflexif nécessaire à la transférabilité des motivations acquises vers des comportements ciblés, les jeux vidéo constituent des outils dont le degré d’efficience reste contrasté.