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CHAPITRE 4 : POUR UN SERIOUS GAMING DU GAME DESIGN

4.2 De la gamification à la neurogouvernance

4.2.2 L’impact du game design sur la cognition

Dans leur ouvrage Neuro-esclaves. Techniques et psychopathologies de la manipulation

politique, économique et religieuse, Marco Della Luna et Paolo Cioni expliquent de quelle

manière l’environnement modèle le cerveau humain. Si l’acquisition de connaissance, de nouvelles capacités et de nouveaux comportements font suite à la formation de réseaux neuronaux, la dégénérescence ou le développement des régions cérébrales concernées sont intimement liées à leur stimulation.

Les facteurs organiques et la quasi-absence des capacités de filtrage critique chez les enfants font que, contrairement aux sujets adultes déjà dotés de savoirs « enkystées », les processus neurotrophiques sont considérablement plus dynamiques2. Chez les adultes, des stratégies

de manipulations mentales sont employées pour provoquer un état régressif de la psyché, favorisant et ayant pour but un assouplissement de la plasticité neuronale3. Ces stratégies

correspondent à des contextes au sein desquels les capacités de filtrage critique des sujets sont désamorcées : les auteurs mettent ici en exergue les situations dans lesquelles les sentiments d’amour et de fascination, sous toutes les formes, sont dominantes. C’est dans des contextes associant ces émotions, par exemple dans l’enseignement ou dans l’endoctrinement, que des stratégies de (re)conditionnement peuvent intervenir

1 Pierre BOULEY, François MOREL, ibidem, 44ème minute.

2 Marco DELLA LUNA, Paolo CIONI, Neuro-esclaves. Techniques et psychopathologies de la manipulation politique,

économique et religieuse, op.cit., emplacements 2230-2244/14141.

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efficacement. De plus, lorsque le désir d’intégration grégaire est associé à celui de maintien de la cohérence de soi, ces stratégies conduisent à une plasticité suffisamment importante pour autoriser le nivellement du patterning et de l’imprinting du sujet1.

Pour aller plus loin, les auteurs apportent les principaux ingrédients de la manipulation mentale : « susciter un état d’excitation, d’euphorie, de consentement, de disponibilité,

[…], d’alarme […], de culpabilité », « réaliser l’assimilation (mémorisation), en tant que faits réels et établis, de contenus qui ne sont qu’affirmés ou suggérés (implicitement ou explicitement), ou qui ne sont que des opinions ou des interprétations », « inhiber la perception ou la reconnaissance de faits réels ou de sujets logiques qui sont en contraste avec le système de convictions, de valeurs, d’identification que l’on veut instaurer ou consolider »2 . Les messages subliminaux et autres incrustations par association et

répétition, qui sont perçus par l’esprit conscient ainsi que par l’inconscient3, participent aux

stratégies quantitatives et qualitatives de stimulation prolongée et de pénétration des messages4 . La Programmation Neurolinguistique quant à elle, en atténuant les défenses

mentales, et au même titre que les autres techniques d’hypnose (par exemple Eriksonienne ou conversationnelle) favorisent également le remodelage des cognitions5. Entre autres, tous

les contextes favorables aux glissements de l’esprit vers des états de décognition6

constituent des moments clefs durant lesquels les sujets sont effectivement disposés à sortir de leurs cages cognitives : « Neurologiquement, l’hypnose n’est pas un état de sommeil, mais

de veille, […]. A l’électroencéphalogramme, le sujet présente des ondes Alpha. Donc le fait d’être éveillé n’exclut pas l’état d’hypnose. L’intensité de la transe hypnotique va d’un niveau superficiel à un niveau profond. Psychologiquement, l’hypnose est dénotée par une haute suggestibilité, qui permet de pousser le sujet à accomplir des actions déterminées normalement impossibles à l’état normal […]. »7.

1 Marco DELLA LUNA, Paolo CIONI, ibidem, 2312 et 4165/14141. 2 Marco DELLA LUNA, Paolo CIONI, ibidem, 2621/14141. 3 Ou en tous cas ayant des effets sur l’amygdale.

Marco DELLA LUNA, Paolo CIONI, ibidem, 2674/14141. 4 Marco DELLA LUNA, Paolo CIONI, ibidem, 2688/14141. 5 Marco DELLA LUNA, Paolo CIONI, ibidem, 2674-2688/14141.

6« La psyché, de par sa tendance congénitale à ménager son activité, tend à ne pas rester en état de vigilance critique, mais à

glisser dans des états de décognition, qu’elle trouve « plus commodes », plus agréables – ils sont aussi en effet liés à une libération d’endorphine et de sérotonine. Il en est de même des états mentaux de personnes qui croient « méditer ». En outre, les activités routinières, comme la conduite, se déroulent mieux et de façon plus fluide en état de sous-hypnose. Pour toutes ces raisons, il est facile de provoquer de tels états : il s’agit de ne pas forcer l’esprit, mais d’en seconder les tendances par séduction. »

Marco DELLA LUNA, Paolo CIONI, ibidem, 4049/14141. 7 Marco DELLA LUNA, Paolo CIONI, ibidem, 10858-10872/14141.

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A cet endroit, il est à nouveau question de pharmakon, puisqu’une décognition languissante peut avoir pour conséquence un affaiblissement des processus neurotrophiques et, a

contrario, ces moments peuvent être employés dans le sens du développement des

déterminants de la santé et des apprentissages. De la même manière, si les activités de divertissement, induisant une basse fréquence électrocorticale impliquant les ondes alpha ou delta, facilitent l’accès à un état de bien-être et d’acquisition des connaissances, les loisirs générant des stress associés à l’activation du système sympathique ralentissent ces mêmes processus1.

Ainsi, il apparait que les jeux vidéo, ainsi que l’ensemble des représentations mentales et culturelles, véhiculés par leur design, ont un impact considérable sur les cognitions. Employés dans un objectif de décognition par leurs utilisateurs alors peu disposés à mobiliser leur système de filtrage critique, durant des laps de temps consacrés à la récession de la psyché et favorable à la plasticité mentale, les jeux vidéo mobilisent malgré eux ou non l’ensemble des stratégies de manipulation : la fascination, le désir d’intégration grégaire et de maintien de la cohérence de soi, la stimulation (euphorie, excitation, alarme) et l’usage de données non cohérentes avec celles de la vie quotidienne. Les sujets alors en état de conscience modifié sont alors dans des contextes optimaux pour l’assimilation des patterns véhiculés par les jeux : connaissances, compétences et comportements en général, stéréotypes, schémas comportementaux en particulier. Outre l’architecture et les mécanismes du jeu, ce sont bien les représentations graphiques qui constituent les points de rencontre les plus proches entre les sujets et la machine. Dès lors, il apparaît que les représentations présentes dans les jeux vidéo constituent un enjeu majeur sur les profils cognitifs des différentes populations de joueurs et de citoyens. Etant donné leur impact, il apparait indispensable de s’en saisir au bénéfice des déterminants du bien-être et de la santé, soit en faveur d’un usage florissant des jeux vidéo.