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CHAPITRE 3 : JEU VIDEO ET ORTHOPEDIE SOCIALE

3.1 La gouvernance, un médium bicéphale

3.2.2 Gouvernance, orthopédie sociale et biopouvoir au prisme de la sur-

Comme le démontrent Luciane Lucas Dos Santos et Tânia Hoff dans « Du corps comme espace d’intervention au corps-media : analyse du discours publicitaire de la santé », le pouvoir a rapidement su se saisir de ces mutations paradigmatiques. Si la convergence du beau et du sain n’est pas nouvelle1, le biopouvoir, à travers la notion de bien-être, sait mettre

les avancées scientifiques autorisées par le paradigme des nouvelles sciences au profit du contrôle social et de la productivité.

A l’heure où les populations peuvent être tentées de délaisser leur corps, inutile dans les mondes virtuels, l’Etat se doit d’exercer une pression significative afin de préserver une capacité optimale de production. Aussi, quoi de plus dérangeant pour le biopouvoir que les mondes virtuels en général et que les jeux vidéo en particulier. Ils constituent en effet des éléments perturbateurs dans les efforts de l’Etat pour maintenir la force productive du corps collectif.

Avec le paradigme des nouvelles sciences et les synergies scientifiques qu’il a induites, l’interdisciplinarité et l’intersectorialité du XIXe siècle ont toutes deux accueilli le

développement exponentiel des connaissances et des technologies2. Or, la multiplicité de

savoirs validés par la science se voit désormais confrontées au paradigme du plurivoque insufflé par le média internet. En effet, au XXe siècle, le capital informationnel était en

majorité réparti entre les quelques médias de masses existants. Aussi, la crédibilité des informations de nature scientifique diffusées aux populations y est relative à la réputation du média émetteur. Cependant internet, média anonyme par excellence, ne permet pas de mesurer aussi aisément la crédibilité d’une information de nature dite scientifique.

1 Luciane LUCAS DOS SANTOS, Tania HOFF, « Du corps comme espace d'intervention au corps-média : analyse du discours publicitaire de la santé », Esprit Critique - Revue Internationale de Sociologie et de Sciences Sociales, décembre 2009, Numéro Spécial, p.1-17, p.5.

Url : http://espritcritique.uiz.ac.ma/publications/1201/esp1201article01.pdf.

2 Luciane LUCAS DOS SANTOS, Tania HOFF, « Du corps comme espace d'intervention au corps-média : analyse du discours publicitaire de la santé », op.cit. p.8

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Aussi, l’injonction de l’Etat auprès des populations de maintenir leurs corps dans un état permettant une productivité optimale se confronte aux problèmes de la surinformation quant aux moyens à mettre en place pour y parvenir. Or, ces moyens, en plus de ne plus être restreints à un secteur spécifique, font également face à une déresponsabilisation de l’Etat qui, sous le prétexte de l’empowerment, font des corps une responsabilité, pourtant extrêmement limitée, des populations elles-mêmes1 . Ainsi, malgré une vie dorénavant

partagée entre les mondes numériques et mondes traditionnels, les populations doivent sélectionner avec attention les produits et activités dont ils font l’usage, en fonction de leurs effets sur la santé. Cette démarche se pose alors en contradiction avec le fait que l’Etat autorise la mise sur le marché et l’accréditation de produits et de services et malgré leurs effets négatifs sur les populations. Dès lors, c’est par le biais de l’offre informationnelle quasi illimitée que les populations se doivent de trouver les ressources pour effectuer des choix malgré tout pondérés par leurs propres desideratas. Or, entre l’offre informationnelle florissante émergeant des nouvelles sciences et le phénomène de surinformation dont le média anonyme internet se fait le support, la population non experte n’est pas toujours à même d’identifier les ressources lui permettant de maintenir son capital bien-être à un niveau optimal.

Dans le cas du jeu vidéo, les messages de prévention de l’INPES attirent l’attention des populations sur les effets néfastes de ces pratiques2. Face à cela, les jeux vidéo sont par

opposition de plus en plus utilisés dans le cadre de la conduite de changements et de l’acquisition d’aptitudes, y compris dans les institutions publiques3. Les médias quant à eux

véhiculent les aspects positifs comme les aspects négatifs4. Il en est de même pour d’autres

pratiques problématiques encouragées par l’Etat mais pourtant soumises aux sanctions normalisatrices inhérentes à laculture.

Aussi s’il tend à évoluer, le paradigme des nouvelles sciences se voit alors amené à faire face à un nouveau défi : celui de laisser la place nécessaire pour que les ressources permettant d’utiliser ces savoirs aient davantage de lisibilité. Même les plus grandes figures

1 Luciane LUCAS DOS SANTOS, Tania HOFF, ibidem, p.7

2 William AUDUREAU, « Un clip de l'institut pour la santé place le jeu vidéo sur le même plan qu'alcool et cannabis », Le

Monde, http://www.lemonde.fr/, mis en ligne le 13 décembre 2015, consulté le 20 février 2018.

Url : http://www.lemonde.fr/pixels/article/2015/01/13/l-institut-pour-la-sante-place-le-jeu-video-sur-le-meme-plan-qu-alcool- et-cannabis_4555329_4408996.html.

3 Cyrielle MAURICE, « Ces jeux vidéo pourront-il changer votre regard sur le monde ? », Numérama, http://www.numerama.com/, mis en ligne le 24 avril 2017, consulté le 20 février 2018.

Url : https://www.numerama.com/pop-culture/251587-ces-jeux-video-pourront-il-changer-votre-regard-sur-le-monde.html. 4 Oscar BARDA, « Les jeux vidéo sont-ils bons ou mauvais pour vous ? », L’Obs avec Rue89, http://wwww.noubelobs.com/, mis en ligne le 2 mars 2016, consulté le 20 février 2017. Url : https://www.nouvelobs.com/rue89/rue89-extension-du-domaine- du-jeu/20160302.RUE2265/les-jeux-video-sont-ils-bons-ou-mauvais-pour-vous.html.

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d’autorité sur les savoirs, tels que l’Etat ou encore les médecins1 sont également bousculés

par la surinformation. Les ressources permettant d’utiliser les pharmaka thérapeutiques, même si elles sont plurivoques, se doivent donc d’être lisibles par les différentes disciplines, secteurs et populations, afin que ces derniers puissent opérer des choix en cohérence avec des contraintes de plus en plus spécifiques.