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CHAPITRE 1 : LE PROTOCOLE PEPAA, DÉFINITION D’UNE MÉTHODE

1.1 Méthodologies et Sciences de l’Information et de la Communication

1.1.1 Sciences de l’Information et de la Communication et méthodologies d’enquête : ingénierie ou bricolage ?

Les Sciences de l’Information et de la Communication mobilisent des méthodes d’enquête issues de nombreuses disciplines : l’analyse de discours et de contenu issus de la linguistique, l’entretien issu de la psychologie ainsi que le questionnaire issu de la sociologie, pour ne citer qu’elles. Dans sa préface de La pensée sauvage, Claude Lévi Strauss fait le distinguo entre ingénierie et bricolage1 . Dans ce travail, se pose alors la

question de la démarche méthodologique : quelles méthodes va-t-il utiliser, dans quelle posture entre celle de l’ingénieur et du bricoleur et enfin, de quelle manière cela va-t-il influencer le recueil et le traitement des données.

Pour Levi Strauss, l’ingénieur agit sur la nature et lui confère du sens grâce aux outils provenant de la culture. Grâce à elle, il manie les concepts et impose son projet dont il n’éprouve de la satisfaction que lorsque celui-ci s’avère efficace. Le bricoleur qui se positionne à mi-chemin entre nature et culture, quant à lui, n’impose pas un sens mais les agence pour construire son environnement. Son projet est satisfaisant par essence et par rapport à ce qu’il signifie plus que par son résultat.

Les SIC mobilisent à la foi le sens et les concepts. Sciences de l’ethos et des interactions, elles sont pourtant tout aussi focalisées sur les processus que sur leurs effets. Comme l’ingénieur, elles s’emploient à analyser le résultat, et comme le bricoleur, elles ont pour vocation de passer au crible les combinaisons employées pour aboutir au résultat final. La démarche scientifique en SIC, entre bricolage et ingénierie, réside donc dans la façon dont sont employées les méthodes issues d’autres disciplines. En y superposant les concepts propres aux Sciences de l’Information et de la Communication, le « bricolage méthodologique » se concrétise par le biais d’une sélection d’outils issus d’autres disciplines. C’est par ce qu’elles permettent d’obtenir initialement lorsqu’elles sont ancrées dans leur discipline d’origine que le bricolage, cette fois employé en SIC, va faire immerger

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une combinaison de sens qui, en fonction de l’agencement choisi, pourra se justifier ou non sur un plan épistémologique.

Aussi, si ces démarches s’avèrent toutes deux valables sur le plan de la probité des résultats en SIC, c’est la démarche de bricolage qui a été ici employée. En effet, il a plutôt été choisi d’opérer à partir d’une combinaison de méthodes en raison des effets qu’elles produisent en réception. Les SIC constituent une discipline tout particulièrement avertie quant à la variabilité des résultats obtenus d’une méthode à une autre. Aussi, l’objectif attendu ici par la combinaison de méthodes réside en ce que chacune, par sa singularité, puisse puiser des données là où d’autres ne le permettaient pas. Ainsi, dans la présente recherche, les résultats ont vocation de produire du sens à partir d’une combinaison de données et non par les données brutes auxquelles chacune des méthodes permettent d’aboutir.

1.1.2 Le protocole PEPAA

Le protocole PEPAA est ici proposé en tant que méthode reproductible visant à analyser et à comprendre les processus d’empowerment en Santé Publique par l’utilisation d’un média en général et du serious gaming en particulier. Celui-ci s’appuie sur une recherche exploratoire des comportements, des connaissances et des compétences de la population d’étude. Par les résultats obtenus via les différentes méthodes mobilisées dans ce protocole, des variables caractérisant différents sous-échantillons de population seront déterminées d’après le recueil des données.

Il faut entendre par « variable » les traits qui marquent les pratiques ludiques des sujets, par exemple le type de jeu préféré, les motivations et les façons de jouer qui y sont associées, etc. Celles-ci seront notamment identifiées dans les volets 1 et 2 de la phase « Profil », première phase du protocole PEPAA. Ces variables déterminées permettront lors de l’analyse des données de mettre en exergue des tendances concernant les processus sociocognitifs de transpositions des acquis grâce aux éléments de game design (phases 2 et 3) au sein de situations de la vie quotidienne (phases 4 et 5).

Les mécanismes révélés par l’analyse statistique des résultats tant quantitatifs que qualitatifs, pourront être complétés par une interprétation par analyse de contenu, réalisée de manière à mesurer la part d’influence de chaque variable sur chacun des sous- échantillons. Ainsi, cette enquête permet-elle l’identification des variables mais aussi processus qui mènent à la formalisation des comportements tendanciels auprès des pratiques de serious gaming du bien-être et de la santé auprès des individus.

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Usuellement, les recherches de type exploratoire sont méthodologiquement calibrées de façon à permette une représentativité de la population d’étude. Etant donné que ce sont ici les singularités des usages plus que celles des sujets enquêtés qui sont évaluées, cette recherche élaborée sous le prisme de la diversification, vise à interroger la plus grande variété de pratiques possibles émanant de la population d’étude et à privilégier la représentativité qualitative à la représentativité quantitative. À cet endroit, le protocole PEPAA se positionne donc comme protocole de recherche exploratoire et de diversification.

1.1.3 Options avortées

La robustesse des données correspond au degré de reproductibilité du traitement des données malgré la présence de données atypiques. La puissance statistique quant à elle permet une analyse plus fine des données mais s’avère moins robuste dans la mesure où, en fonction du jeu de données, la puissance voulue doit varier d’un jeu de données à un autre en fonction de ses caractéristiques1. Aussi, ce lexique usuellement propre aux domaines de

la statistique, de l’informatique et des mathématiques peut également s’appliquer aux techniques d’enquêtes employées en SHS. Ainsi, plusieurs choix dans la sélection des méthodes ont été opérés afin que le protocole d’enquête s’avère probant sur les plans de la robustesse autant que sur la puissance des résultats dégagés. Croisés avec les contraintes logistiques, les arguments scientifiques ont alors conduit à la sélection et l’exclusion de certaines méthodes du protocole.

Parmi les différentes méthodes habituellement utilisées en SIC sont couramment employées celles de l’entretien et du questionnaire : individuel ou collectif, directif, semi-directif ou libre. A celles-ci s’ajoutent le récit de vie, le focus groupe, de l’observation participante, de l’analyse de corpus et de l’analyse ethnographique. Pour le traitement des données, les chercheurs en SIC ont le plus souvent recours aux analyses de discours, de contenus et sémiologiques. L’objectif ici est d’observer la fonction de systèmes comportementaux et comment ceux-ci permettent de générer de l’empowerment à partir de l’activité vidéoludique. Aussi, parce qu’elle analyse les rapports entre expérience et environnement, l’approche fonctionnaliste permet d’aborder plus largement la notion de transferts d’aptitudes2. Deux concepts centraux du fonctionnalisme s’opposent : le premier, qui prend

1 Noël CONRUYT, « Qu’est-ce que la robustesse ? » in Amélioration de la robustesse des systèmes d'aide à la description, à

la classification et à la détermination des objets biologiques, Université Paris Dauphiné, 1994, p.50.

2 Stacey CALLAHAN, Frédéric CHAPELLLE, Les thérapies comportementales et cognitives. Fondements théoriques et

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en compte la conscience dans l’analyse des comportements adaptatifs à l’environnement, et le second, qui vise pourtant à ne pas prendre en compte les variables « parasites » telle que la pensée, car trop complexe pour en rendre compte de manière équivalente en SHS qu’en Sciences de la Nature1 . Aussi, à mi-chemin entre structuralisme, fonctionnalisme et

comportementalisme, les méthodes ont été triées de manière à pouvoir rendre compte des fonctions émergeantes au sein de comportements spécifiquement liés à l’activité vidéoludique. Ainsi, les méthodes de recueil de données indirectes, tels que l’analyse de corpus, l’observation participante et l’analyse ethnographique, ou encore celle de l’entretien collectif, qui sont toutes susceptibles d’induire une modification des propos tenus au fil des déclaration des autres participantes et participants ont été exclues. Il en a été de même pour la méthode d’analyse par eye tracking. Cette méthode aurait permis d’étudier quels sont les marqueurs ludiques observés dans le jeu, et de mettre ces données en perspectives avec les actions des avatars dans le jeu et des sujets à l’extérieur. A ce titre, cette méthode constitue davantage un outil de recueil de données en production qu’en réception, et ne permettait pas un recueil de données en réception. Ce versant de l’analyse, essentiel dans la compréhension des comportements et des processus de mutation auxquels ils sont soumis lorsque l’empowerment opère, impliquerait néanmoins une analyse morpho-mathématique trop lourde pour être combinée avec une recherche en réception. Par ailleurs, élaguer la combinaison sélectionnée pour le protocole PEPAA au profit de l’analyse par eye tracking aurait eu pour conséquence de réduire un angle de vue déjà pertinent sur un plan épistémologique. En effet, la combinaison de méthodes actuelles conduit à un éclairage sur les aptitudes opérant au sein des mondes physiques. Le eye tracking apporte lui un éclairage sur les aptitudes opérant au sein des mondes virtuels. Remarquable sur le plan scientifique, cela relève donc davantage d’une recherche empirique indépendante complémentaire à la présente enquête.