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CHAPITRE 1 : QU’EST CE QUE LE SERIOUS GAMING

1.3 Périmètre d’action du serious game et du serious gaming

1.3.1 Serious game et serious gaming : du marché à la taxinomie

Dans sa thèse de doctorat, Damien Djaouti effectue une revue des différentes typologies des

serious games. Parmi elles, l’auteur distingue dans un premier temps les classifications

construites sur les marchés conquis par les serious games, et dans un deuxième temps sur les finalités pour lesquelles ils ont été conçus, pour finalement proposer sa propre taxinomie. Les classifications des « marchés » qu’il répertorie1, qu’il s’agisse de celle de Michael Zida, de Sande Chen et David Michael, ou de Julian Alvarez et Laurent Michaud, ont toutes comme entrées communes celles des secteurs de la défense, de la santé, des politiques publiques, de l’éducation et de l’entrainement. La classification de Sande Chen et David Michael se distingue notamment par l’inclusion des secteurs des « corporate games », des « religious games » et des « art games ». Julian Alvarez et Laurent Michaud les déploient sous les intitulés « Publicité », « Information et Communication », « Culture » et « Activisme ». Michael Zyda quant à lui, inclut seulement comme catégorie supplémentaire « Communication Stratégique ». Comme le souligne l’auteur, la principale limite de cette classification par secteur de marché repose sur le fait qu’au même titre qu’elle ne renseigne aucunement sur la finalité des jeux, elle ne peut pas non plus rendre compte de l’apparition et de la disparition régulière de secteurs qui fluctuent en fonction du développement des serious games2.

Damien Djaouti recense alors trois classifications par finalités3 : celles de Bryan Bergeron,

d’Olivier Despont, et de Julian Alavarez et Olivier Rampnoux. Si toutes trois proposent une entrée réservée à la publicité et à l’entrainement/éducation comme finalités, il s’agit là de leur seul point commun. En effet, Bryan Bergeron est le seul qui distingue les « Health and Medicine

Games » des jeux d’entrainement. Comme Olivier Despont, il accorde une catégorie aux

« Business Game », aux « Activism Games » et aux « Political Games ». De la même manière que Julian Alavarez et Olivier Rampnoux, il attribue une catégorie aux « News Games » ainsi qu’aux « Activism Games ». Cependant, la classification de ces derniers est la seule à mentionner les « Edumarket Games ». Aussi, c’est bien le travail d’Olivier Despont en amont qui permet d’identifier les finalités concordantes au sein de ces classifications : sensibiliser, simuler, former, informer, éduquer et influencer. Paradoxalement, les finalités identifiées par

1 Damien DJAOUTI, Serious Game Design. Considérations théoriques et techniques sur la création de jeux vidéo à vocation

utilitaire, op.cit., p.26.

2 Damien DJAOUTI, ibidem, p.27.

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Olivier Despont ne permettent pas de rendre compte des leviers levés par les différents types de jeux qu’elles comprennent.

Face à ce constat, Damien Djaouti mobilise la taxinomie à double entrée de Ben Sawyer et Peter Smith1. Celle-ci propose une classification des jeux par rapport au secteur de marché auquel ils sont destinés mais aussi par rapport à leur finalité. Cependant, face au fait que dans toutes ces taxinomies aucune ne mentionne de critère fondé sur le versant ludique du serious game, Damien Djaouti propose une taxinomie à triple entrée. En faisant la synthèse des classifications par marchés et par finalités, il compose le modèle G/P/S : Gameplay, basé soit sur le ludus soit sur la paidia ; Purpose/Permet de, avec les sous-catégories « diffuser un message », « dispenser un entrainement », « favoriser l’échange de données » ; Secteur, basé sur les sous-catégories « Marché » et « Public »2. Relativement exhaustif, le volet Gameplay qui s’articule sur les

caractéristiques dichotomiques des jeux ne facilite en revanche pas l’exploitation de leurs propriétés dans toute leur diversité. Parallèlement, employant un vocabulaire scientifique elle ne peut donc pas être prise en main par des professionnels non spécialistes du champ ou par le grand public. Le développement de cette catégorie par genre de jeu, sur la base d’une classification des genres de jeux classiques, permettrait une meilleure lecture et donc une meilleure prise en main puisqu’elle offre de cibler des jeux par rapport au gameplay, en tant que mécanisme ludique et non de contenus sérieux, plus pertinent pour les utilisateurs.

1.3.2 Les briques de jeu

Un point sur lequel de nombreux chercheurs en Game studies sont d’accord, est qu’il n’existe pas de classification faisant consensus. En effet, qu’il s’agisse de classifications libres ou d’universitaires, elles dépendent toutes des évolutions des dispositifs vidéoludiques et de leur contenu3. Julian Alvarez, lui, a effectué un travail de catégorisation à la fois original et stable

dans la mesure où, pour la première fois, les jeux ne sont pas classés en fonction d’un contexte mais en fonction de leur « ADN ».

Habituellement dans les classifications par genre de jeux, les variables sont construites à partir des contenus des jeux. Julian Alvare, lui, a élaboré sa classification en basant sa variable sur un aspect fonctionnel, à partir d’entrées nommées « briques de jeu ». Les théories antérieures lui ont permis de distinguer deux premières méta-briques : celles du play et celles du game. Les

1 Ibid.

2 Damien DJAOUTI, ibidem, p.29.

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premières rassemblent les fonctions qui constituent davantage un moyen qu’un objectif : tirer, organiser, bouger, aléatoire et répondre. Les secondes, les briques game, sont à l’opposé liées à un objectif : éviter, détruire, créer et « match »1. Aussi, à partir de combinaisons de briques

play et de briques game, Julian Alvarez a su dégager 4 niveaux de classifications possibles : en

utilisant 5 briques play et 4 briques game, il est alors possible de catégoriser un corpus de jeux à partir de 20 combinaisons possibles ; pour 2 métabriques par jeu, 190 combinaisons ; 3 métabriques par jeu, 1.140 combinaisons ; 4 métabriques par jeu, 4.845 combinaisons2.

L’auteur dispose ainsi d’une méthode de classification stable et basée sur les mécanismes ludiques. Toutefois, contrairement aux autres classifications existantes, cette taxinomie en particulier s’avère fonctionnelle et suffisamment plastique pour pouvoir être réemployée et adaptée en fonction du contexte de l’étude de ses matériaux et corpus.

Cette classification s’avère utile car applicable tout autant aux jeux sérieux qu’aux jeux classiques, vidéo ou traditionnels, dans le cadre d’une activité ludique ou de serious gaming. Cette méthode est très pertinente dans un cadre scientifique ou professionnel puisqu’elle permet de décomposer les actions de l’utilisateur sur le jeu et de les rapprocher de certaines fonctions cognitives, indépendamment de l’évolution du marché ou des intitulés des classifications non scientifiques. Ainsi, elle permet un meilleur ciblage des jeux et une meilleure lisibilité de leurs effets.

1.3.3 Applicabilité du serious gaming

A cet endroit, se pose donc la question du champ d’application du serious gaming. En effet, si le serious game a un périmètre bien délimité par rapport à l’objet sur lequel il prend support, le

serious gaming, lui, s’avère beaucoup plus libre. Contrairement aux logiciels, aux mods, aux

jeux sérieux et aux jeux classiques, le serious gaming peut désigner une pratique propre à un usage plus qu’à un objet.

Effectivement, la définition de Damien Djaouti et Julian Alvarez associe l’expression « serious

gaming » à l’action d’associer a posteriori à un jeu vidéo classique une fonction utilitaire.

Cependant, sur le plan lexical, l’expression se traduit en désignant l’action de jouer sérieusement. Aussi, le fait de distinguer le serious vidéogaming du serious gaming ouvre le champ des possibles. Ce choix permet alors d’attribuer l’expression serious gaming à tout objet

1 « correspondance » : traduit de l’anglais par l’autrice.

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ou support ayant une fonction ludique, qu’il soit numérique ou non. Ainsi, cette expression permet donc de qualifier un levier : celui qui permet de faire émerger, au sein d’une activité ludique, un potentiel transférable et exploitable dans un contexte sérieux. Ainsi, le serious

gaming devient un levier permettant d’atteindre des aptitudes dont le ludique est la clef.

Aussi, en termes de transfert d’aptitudes et d’empowerment, là où les serious games et où les

serious gaming opéraient déjà, cette vision du serious gaming permet de décupler les

possibilités. Effectivement, le fait que d’une part les Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) permettent de jouer avec les identités et les sociabilités1, et que d’autre

part la gamification se soit ramifiée dans tous les aspects de la société occidentale2, autorise

l’activation du levier ludique à plusieurs niveaux. Qu’il s’agisse des médias numériques ou non numériques, au même titre que pour les jeux non-vidéo qui ont déjà prouvé leur utilité3, le

serious gaming s’avère possible. Comme en témoignent de nombreux articles de presse4, même

lorsque ces actions de serious gaming ne sont pas à l’initiative de professionnels du jeu ou de scientifiques, ces activités vidéoludiques déclenchent l’émergence d’aptitudes qui ne se déploieraient pas nécessairement dans d’autres cadres.

Aujourd’hui, le processus de gamification constitue ainsi le versant opposé du serious gaming. En effet, il ne rend pas a posteriori un cadre ludique sérieux, mais fait bien l’inverse : il produit et injecte du ludique au cœur du sérieux et de l’utilitaire. Ainsi, ce phénomène démontre que ces deux aspects ne sont pas binaires mais complexes, et que le ludique et le sérieux ne sont que les deux faces d’une seule et même pièce. Dès lors, si la gamification et le serious gaming s’opposent, ils agissent tous deux comme des révélateurs spécifiques propres à un contexte.

1 Fanny GEORGES, Identités virtuelles, les profils utilisateurs du web 2.0, Paris, Questions Théoriques, 2010, pp.15-18. 2 Maud BONENFANT, Sébastien GENVO, « Une approche située et critique du concept de gamification », op.cit., pp.1-2. 3 Carina COULACOGLOU, « La psychanalyse des contes de fées : les concepts de la théorie psychanalytique de Bettelheim examinés expérimentalement par le test des contes de fées », Le Carnet PSY, no. 110, 2006/6, p.31-39, p.31.

4 La presse en témoigne par ailleurs régulièrement depuis une dizaine d’années.

Gérald CAMIER, « Quand airbus chercher à recruter des joueurs de jeux vidéo », La dépêche, hhtp://www.ladepeche.fr/, mis en ligne le 8 décembre 2017, consulté le 15 janvier 2018. Url : https://www.ladepeche.fr/article/2017/12/08/2700546-quand-airbus-cherche-a-recruter-des-joueurs-de-jeux-video.html. Soline LEDESERT, « Pour recruter, l’armée s’incruste dans les jeux vidéo en ligne », Nouvelobs, http://wwwnouvelobs.com/, mis en ligne le 8 février 2010, consulté le 15 janvier 2018. Url : https://www.nouvelobs.com/rue89/rue89- economie/20100208.RUE4911/pour-recruter-l-armee-s-incruste-dans-les-jeux-video-en-ligne.html.

Aurélie TACHOT, « Saurez-vous faire recruter grâce aux jeux vidéo ? », Cadre emploi, http://www.caremploi.fr/, mis en ligne le 22 octobre 2010, consulté le 15 janvier 2018.

Url : https://www.cadremploi.fr/editorial/actualites/actu-metiers-regions/detail/article/saurez-vous-vous-faire-recruter-grace- aux-jeux-video.html.

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CHAPITRE 2 : LES ENJEUX DU DESIGN.