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La seconde initiative populaire socialiste tendant à l’élection du Conseil fédéral par le corps électoral

CHAPITRE I : L'ELECTION DU CONSEIL FEDERAL PAR LE CORPS ELECTORAL

4. La seconde initiative populaire socialiste tendant à l’élection du Conseil fédéral par le corps électoral

210. Introduction. Nous allons voir que l'initiative populaire demandant neuf Conseillers fédéraux élus par le peuple et refusée le 25 janvier 1942 par le constituant présente des similitudes avec celle lancée en 18981167.

D'abord, son origine, un revers lors d'une élection partielle au Conseil fédéral; ensuite, son objet, l'élection de neuf conseillers fédéraux par le peuple; puis, son refus, encore plus net, par le Conseil fédéral, l'Assemblée fédérale, le peuple et tous les cantons; enfin, les arguments avancés lors de la campagne référendaire.

Dès 1929 et à plusieurs reprises, le groupe socialiste a tenté d'obtenir un fauteuil au Conseil fédéral. En 1938, après avoir accepté, face à la montée des périls fascistes et staliniens, une ligne sociale-démocrate avec l’adhésion à la défense nationale (1935) et à la "paix du travail" (1937), le parti socialiste essuie néanmoins un nouveau revers lors de l'élection partielle au Conseil fédéral de décembre 1938. Face à Ernst Wetter, radical de Zurich, le groupe socialiste désigne Emil Klöti - zurichois aussi - comme autre candidat au Conseil fédéral.

Plusieurs sections centrales du Parti radical, celle de Berne, de Bâle et de Saint-Gall1168, notamment, sont favorables à Klöti. Ainsi, n'ayant pas obtenu le soutien de tout le bloc bourgeois, Wetter retire sa candidature, mais son parti le fait revenir sur sa décision. Klöti n'obtient que 98 voix face à Wetter qui est élu au premier tour avec 117 voix grâce, entre

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Gschwend, 1973 p. 14. Parmi les politiciens très actifs, signalons la présence du candidat malheureux au gouvernement, Theodor Curti.

1163 Gschwend, 1973 p. 14. 1164 Gschwend, 1973 p. 15. 1165 FF 1913 II 13. 1166 FF 1917 III 649ss. 1167 Gschwend, 1973 p. 16ss. 1168 Gschwend, 1973 p.19.

148 autres, à l'apport massif des voix des conservateurs-catholiques1169. L'échec du socialiste Emil Klöti constitue la cause directe du lancement de l’initiative tout comme la non-élection du radical progressiste Theodor Curti, en 1897, avait été le point de départ des deux initiatives précédentes.

211. Le dépôt et le contenu de la seconde initiative socialiste. Déposée en 1939 par le parti socialiste et munie de 157 081 signatures valables, cette initiative demande l'augmentation du nombre de conseillers fédéraux à neuf et leur élection par le peuple.

Les neuf conseillers fédéraux seraient désignés par tous les citoyens en âge de voter le même jour qu’aurait lieu les élections au Conseil national; ils entreraient en fonction le 1er janvier suivant; la législature de la chambre du peuple ayant passé de trois à quatre ans en 1931, les conseillers fédéraux siégeraient normalement pendant quatre ans.

En cas de vacance, on procéderait sans retard à une élection complémentaire, sauf si le renouvellement de l'ensemble des conseillers fédéraux intervient dans un délai de six mois. "L'ensemble de la Suisse forme un seul arrondissement électoral"1170. Tous les candidats doivent préalablement être parrainés par 30'000 citoyens. "En élisant le Conseil fédéral on doit tenir compte équitablement des tendances politiques et des régions linguistiques"1171. Trois membres du Conseil fédéral doivent provenir de la Suisse latine et cinq au moins appartenir à la Suisse allemande.

212. L’avis des trois conseils. Dans son Message du 3 mai 19401172, le Conseil fédéral donne son opinion sur son éventuelle désignation par le peuple. Il admet qu'il s'agit d'un "principe de la démocratie pure"1173 et qu'ainsi, idéalement, les citoyens pourraient manifester leur volonté dans une question capitale. Cependant, il constate que "si belle que soit cette conception et si bienfaisante que puisse être sa réalisation pour des petites collectivités, tout aussi difficile est son application dans des collectivités plus grandes et plus compliquées"1174. Selon lui, le corps électoral fédéral ne connaît pas suffisamment bien les candidats et, de ce point de vue-là, l'Assemblée fédérale est mieux placée1175. De plus, il estime que la campagne électorale prendrait une ampleur démesurée et que chaque réélection risquerait de compromettre la stabilité du collège1176. D'autre part, le Conseil fédéral arrive à la conclusion qu'élu par le peuple, il serait encore plus fort face à l'Assemblée fédérale qui aurait, dès lors, de grandes difficultés à exercer sa haute surveillance sur lui1177. Cette désignation par le peuple

augmenterait inévitablement la centralisation1178. Le Conseil fédéral relève aussi le problème que poserait le respect de la minorité latine (trois Conseillers fédéraux au moins) : le candidat romand, italophone ou romanche ayant récolté le plus de voix serait élu alors qu'il se pourrait qu'un ou plusieurs candidats alémaniques malheureux aient récolté plus de suffrages. Le même problème se poserait pour les garanties des minorités politiques qui, de plus, varient sans cesse1179. Le Message adressé aux Chambres arrive à la conclusion que le statu quo est préférable.

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Au sujet de la non-élection de Klöti, voir Wehrli Christoph ("Ernst Wetter 1877-1963") in Altermatt, 1993 p. 400-401. 1170 FF 1939 II 373. 1171 FF 1939 II 373. 1172 FF 1940 611-642. 1173 FF 1940 636. 1174 FF 1940 636. 1175 FF 1940 636-637. 1176 FF 1940 637-638. 1177 FF 1940 638. 1178 FF 1940 638-639. 1179 FF 1940 639-640.

Le 25 mars 1941, le Conseil national tente d’opposer un contre-projet qui prévoit uniquement l'augmentation du nombre des Conseillers fédéraux à neuf1180. Mais le 10 juin 1941, le Conseil des Etats1181 renonce à cette idée et, en fin de compte, seule l'initiative populaire socialiste est mise en votation1182.

Remarquons que poursuivant deux buts distincts, elle viole le principe de l'unité de la matière (article 121 alinéa 3 de la Constitution de 1874)1183.

213. Résultats du référendum populaire et conclusions. Le 25 janvier 1942, lors d'un référendum constitutionnel, la proposition socialiste est refusée par 524 127 voix contre 251 605 et par tous les cantons1184.

Concluons en affirmant qu’une lutte entre partis imprègne le lancement, les débats et la campagne au sujet de cette initiative. L'enjeu de cette tentative de faire élire le Conseil fédéral par le peuple est moins une extension des droits populaires ou une amélioration du principe de la séparation des pouvoirs que la participation des socialistes au Conseil fédéral1185. S'étant séparé des éléments communistes et ayant accepté notre système démocratique, le parti socialiste considère sa participation au Conseil fédéral comme une "contre-prestation légitime"1186. D'ailleurs, autant aux chambres que dans la presse, le débat porte presque

exclusivement sur la participation des socialistes au gouvernement. Du reste, l’augmentation à neuf des conseillers fédéraux soulève plus de discussion que l'élection par le peuple.

Les arguments pour ou contre l'initiative sont les mêmes qu'en 1900 avec, néanmoins,

quelques variations; les partisans prétendent que l'élection par le peuple est indispensable pour parfaire la démocratie directe et les opposants considèrent que l'élection directe des

conseillers fédéraux par les citoyens représente la voie ouverte à la démagogie et à la corruption de notre gouvernement1187.

Toutefois, plusieurs politiciens bourgeois se déclarent favorables à l'augmentation du nombre des ministres et à une participation des socialistes au gouvernement comme l'atteste le contre- projet du Conseil national.

Le contexte du début de la deuxième guerre mondiale a pour conséquence que plusieurs hommes politiques craignent que la campagne référendaire crée trop d'agitations; ainsi, d'aucuns veulent le report de la votation, mais la majorité d'entre eux se rend compte

qu'attendre peut aussi receler des dangers tout en admettant qu'il faut agir1188 : le résultat est l'élection le 15 décembre 1943 du premier conseiller fédéral socialiste Ernst Nobs.

Nous pouvons affirmer qu'ainsi les partis bourgeois ont fait preuve de raison tout comme les socialistes qui ne dramatisent pas le résultat des urnes.

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