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Le modèle préconisé par le professeur Andreas Auer

CHAPITRE I : L'ELECTION DU CONSEIL FEDERAL PAR LE CORPS ELECTORAL

6. Le modèle préconisé par le professeur Andreas Auer

215. Dans l’édition de février 1998 de Domaine public, Andreas Auer, professeur à la Faculté de droit de l’Université de Genève, propose de faire élire le Conseil fédéral par le peuple et d’adjoindre à cette autorité un Conseil des ministres.

Voici les grandes lignes de cette proposition :

- "Le Conseil fédéral est composé de trois membres, élus directement par le peuple, en une seule circonscription, selon le système de la majoritaire à deux tours, pour une durée de quatre ans, renouvelable une seule fois.

- La constitution précise que parmi les trois membres, il doit y avoir au moins un latin et un alémanique, un représentant de chaque sexe et pas plus d’un représentant par canton. - Au premier tour, chaque électeur dispose de trois suffrages. Sont élus les candidats ayant récolté la majorité absolue des suffrages valablement exprimés, dans le respect des quotas pour les latins et les sexes. Au second tour, qui aura lieu un mois plus tard, la majorité relative des suffrages suffit pour être élu, toujours dans le respect des quotas. Y participent les six candidats les mieux placés du premier tour au cas où aucun d’eux n’a atteint la majorité absolue, les cinq candidats les mieux placés si un candidat a été élu au premier tour et les trois candidats les mieux placés si deux candidats ont été élus au premier tour.

- Organe collégial, le Conseil fédéral est l’organe dirigeant et exécutif de la Confédération. Il définit les grandes lignes de la politique intérieure et extérieure. Il prend ses décisions à la majorité. 1189 Krebs, 1968 p. 173. 1190 Krebs, 1968 p. 166-172. 1191 Krebs, 1968 p. 175. 1192 Krebs, 1968 p. 179.

- Le Conseil fédéral choisit en son sein le président de la Confédération, qui exerce, pour deux ans, les tâches représentatives qui y sont liées et qui préside le Conseil des ministres. Il

choisit aussi celui qui dirige, pour deux ans également, le département des affaires étrangères. Il désigne enfin le département que dirige le troisième de ses membres.

- Le Conseil fédéral nomme neuf ministres en veillant à ce que les régions linguistiques, les principaux partis politiques et les deux sexes soient équitablement représentés. Leur

nomination initiale doit être confirmée en bloc par l’Assemblée fédérale. Ils peuvent rester en fonction pendant dix ans au plus. Chacun d’eux dirige un département. Le Conseil fédéral peut les révoquer.

- Le Conseil des ministres exerce, avec la participation et sous la direction du Conseil fédéral, toutes les compétences réglementaires, exécutives et administratives du gouvernement, sauf celles qui concernent les département dirigés par les membres du Conseil fédéral. Il est présidé par le président de la Confédération. Il prend ses décisions à la majorité, le Conseil fédéral pouvant lui imposer sa volonté"1193.

Selon le juriste genevois, notre formule gouvernementale a vécu. La figure du Conseil fédéral est même devenue l’élément le plus anachronique de notre système politique. Les conseillers fédéraux n’ont plus le temps d’effectuer leurs tâches de membres de l’exécutif suprême et de direction d’un de leur département.

"La proposition reproduite ci-dessus veut sortir la discussion des ornières traditionnelles. Au lieu d’augmenter le nombre des conseillers fédéraux, elle le diminue. Elle confère au

gouvernement fédéral une légitimité populaire directe et donc des compétences et une responsabilité accrues. Elle institue un pouvoir exécutif à deux étages. Elle augmente le nombre des ministres et donc des départements. Elle confère une stabilité accrue à la charge du président de la Confédération, ainsi qu’à celle du ministre des affaires étrangères. Elle introduit, tant pour les conseillers fédéraux que pour les ministres, une limitation des mandats. Elle enlève à l’Assemblée fédérale une compétence – celle d’élire le Conseil fédéral -, tout en lui en conférant une nouvelle – celle de confirmer la nomination des neuf ministres. Elle maintient et renforce les principales caractéristiques du système gouvernemental helvétique que sont la collégialité du gouvernement, le système départemental, le caractère fortuit de sa composition personnelle, son indépendance institutionnelle de l’Assemblée fédérale et sa représentativité partisane et fédéraliste"1194.

Nous commenterons le projet de M. Andreas Auer dans la section II. 7. Les velléités de l’Union démocratique du centre

216. La tentative la plus récente. En juillet 1998, l’assemblée extraordinaire des délégués de l’Union démocratique du centre donne à son comité directeur le mandat de présenter un rapport sur la possibilité de lancer une initiative populaire pour la désignation du Conseil fédéral directement par les citoyens.

Dans son rapport, le comité directeur propose d’amender l’art. 175 de la Constitution du 18 avril 1999 traitant de la composition et de l’élection du Conseil fédéral comme suit :

1193

Auer Andreas in Domaine public, février 1998.

1194

152

"al. 1 Le Conseil fédéral est composé de sept membres.

al. 2 Les membres du Conseil fédéral sont élus directement par le peuple selon le système majoritaire. Le Conseil fédéral est réélu globalement tous les quatre ans en même temps que les élections au Conseil national.

al. 3 Pour l’élection du Conseil fédéral, la Suisse forme une seule circonscription électorale. al. 4 Au moins deux membres du Conseil fédéral sont élus parmi les électeurs des cantons de Fribourg, du Tessin, de Vaud, du Valais, de Neuchâtel, de Genève et du Jura. Les voix de ces cantons ainsi que ceux de l’ensemble de la Suisse sont comptées séparément. Sont élus les candidats qui obtiennent les plus fortes moyennes géométriques des deux résultats.

al. 5 Le Conseil fédéral élit sa présidente ou son président ainsi que sa vice-présidente ou son vice-président pour une durée d’un an."

Le comité directeur précise que la moyenne géométrique se calcule ainsi : la totalité des suffrages des cantons minoritaires et l’ensemble des voix de toute la Suisse doivent être déterminés séparément et multipliés l’un par l’autre. La racine sera tirée du résultat de cette multiplication.

Les modalités complétant cette proposition d’amendement constitutionnel devraient être l’œuvre du législateur1195.

Parions que si l’Union démocratique du centre n’a finalement pas lancé cette initiative

pendant la législature 1999-2003, c’est parce ce parti s’est rendu compte qu’il avait de bonnes chances d’obtenir un second siège au Conseil fédéral en 2003 avec le statu quo.

Nous donnerons notre opinion sur ce projet d’initiative populaire dans la section suivante. II . Avantages et inconvénients d’une élection par le corps électoral

217. Avantages. Le premier avantage réside dans l'introduction d'un élément national - pour autant qu'il n'y ait qu'une circonscription - puisque, pour les élections dans nos deux

chambres, l'arrondissement est le canton.

Un deuxième argument consiste dans la perfection de la démocratie pure : le pouvoir suprême étant la volonté du peuple (et des cantons), il serait logique, qu'outre le pouvoir législatif, le pouvoir exécutif soit élu par le souverain, cela d'autant plus que le Conseil fédéral a vu son poids s'accroître depuis le début de l'Etat fédéral. Ainsi, peut-être, le Conseil fédéral serait plus près du peuple qui pourrait lui faire davantage confiance.

En outre, l’élection populaire correspondrait mieux au principe de la séparation des pouvoirs : les trois pouvoirs (législatif, exécutif et judiciaire), séparés et indépendants dans l'idéal, ne sauraient dépendre l'un de l'autre. Mais, il faut remarquer que certains Etats à régime

parlementaire (Royaume-Uni, République fédérale d'Allemagne etc.) connaissent presque la confusion des pouvoirs sans qu'on puisse nier leur caractère démocratique.

1195

Nous avons rédigé ce chiffre 6 en nous basant sur un document non signé, non daté et publié par un groupe de travail de l’Union démocratique du centre.

Enfin, l'élection des conseillers fédéraux par le peuple pourrait ranimer la vie politique suisse. 218. Inconvénients. Introduire l'élection de notre exécutif fédéral par le peuple reviendrait à introduire un élément étranger dans notre régime politique qui fonctionne relativement bien. Or, dans un système politique donné, tous les éléments sont dans une relation

d'interdépendance et, en y greffant l'élection populaire, on court grandement le risque de briser l'harmonie qui caractérise somme toute nos institutions.

Un obstacle majeur à la désignation par le peuple réside dans la structure fédérative de notre Etat et dans la difficulté à trouver un système électoral adéquat. Les minorités linguistiques doivent dans tous les cas être représentées à l'exécutif fédéral.

Or, quel que soit le système électoral choisi, il pourrait arriver qu'un candidat latin obtienne moins de voix qu'un concurrent alémanique et soit néanmoins élu.

De surcroît, il serait très difficile de choisir le système électoral : avec un système majoritaire en une seule circonscription, la difficulté consiste dans le respect des minorités. La

complexité du système électoral proposé par l’Union démocratique du centre prouve qu’il est très difficile de trouver un système électoral satisfaisant, pas trop sophistiqué et

compréhensible par le commun des mortels.

Avec un système majoritaire uninominal se pose le délicat découpage des circonscriptions. A ce sujet, la thèse d’Ernst Krebs démontre qu’il est très difficile de fractionner le territoire suisse en sept arrondissements : la septième circonscription comprenant les cantons de Fribourg, de Neuchâtel, du Valais et du Tessin est fantaisiste parce que hétérogène et artificielle.

Dans les modèles de MM. Krebs et Auer et dans celui de l’Union démocratique, il se pourrait très bien que le Conseil fédéral soit d’une autre couleur politique que l’Assemblée fédérale (ou une de ses chambres) et, ainsi, les fondements mêmes de notre régime politique seraient compromis. Il ne serait peut-être pas même utile d’en appeler au peuple qui pourrait persister dans son choix divergent. Cela modifierait aussi le rapport de force entre le gouvernement et les chambres qui auraient dès lors de la difficulté à exercer leur haute surveillance sur le Conseil fédéral. L'Assemblée fédérale, chambres réunies, n'est-elle finalement pas mieux placée que les citoyens pour désigner le magistrat le plus capable mais pas forcément le plus populaire?

Dans le modèle prévu par M. Auer, il se pourrait qu’un membre d’une communauté minoritaire obtienne moins de voix qu’un concurrent de l’autre famille linguistique ou de l’autre sexe et soit quand même élu.

Une telle modification accroîtrait inévitablement la centralisation, alors que les cantons ont perdu beaucoup de compétences et de poids politique depuis 1848.

L'élection du gouvernement fédéral par le peuple entraînerait une rupture probable de la collégialité à laquelle les membres du Conseil fédéral seraient moins attachés, étant préoccupés davantage par leur réélection.

154 Les magistrats auraient encore moins de temps et de disponibilités pour s'occuper des affaires collégiales, privilégiant leur département, sur la politique duquel ils auraient l'impression d'être jugés en priorité.

Les conseillers fédéraux pourraient ne pas agir dans l'intérêt du pays, mais seulement en vue de leur réélection. Cela risquerait de paralyser notre régime politique en tout cas un an avant les élections.

Les campagnes électorales prendraient une ampleur démesurée et certains candidats disposeraient de beaucoup plus de moyens financiers que d'autres.

Le populisme risquerait de prédominer et le rôle de la presse, de la radio et de la télévision serait encore plus important; ces moyens de communication sont certes indispensables de nos jours mais ne peuvent se prévaloir d'une légitimité populaire.

Pour ne pas risquer d'entamer la collégialité, une solution consisterait à faire rivaliser deux ou plusieurs groupes de sept candidats qui proviendraient en principe du même parti. Examinons une telle solution de plus près.

219. Combat électoral de plusieurs équipes de sept candidats. Il serait dès lors aussi possible de garantir par une clause trois sièges latins sans exposer un candidat romand, italophone ou rhéto-romanche à être élu tout en n'ayant obtenu moins de voix qu'un ou plusieurs

alémaniques non élus.

Pour essayer d'éviter qu'il n'y ait en fin de compte que deux partis en Suisse, il faudrait prévoir deux tours dont le second verrait s'affronter les deux équipes les mieux placées au premier tour.

Un avantage propre à cette formule consiste en la possibilité laissée à chaque parti de

composer sa liste en tenant compte des qualifications nécessaires à la conduite de chacun des sept départements. Il ne serait toutefois pas du tout impossible que le Conseil fédéral soit d’une autre tendance politique que l’une et/ou l’autre chambre, ce qui pourrait remettre en cause les fondements mêmes de notre régime politique.

Cependant, cette solution contient un désavantage rédhibitoire dû à l'existence des droits politiques : le ou les partis battu(s) auraient tendance à demander souvent des référendums législatifs ou constitutionnels et cela gripperait notre régime politique.

Ce désavantage décisif se retrouvera lorsque nous envisagerons le régime parlementaire. Les autres avantages et inconvénients relatifs à l'élection populaire valent mutatis mutandis pour cette formule où les équipes candidates sont formées à l'avance.

Il est temps que nous passions aux conclusions.

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