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CHAPITRE III : LA REPUBLIQUE HELVETIQUE (1798-1803)

I. La première Constitution helvétique

41. Généralités. Cette constitution ressemble beaucoup au projet rédigé par le bâlois Pierre Ochs, à Paris, en janvier 1798, pour le compte du Directoire et de Bonaparte221. Ochs s'est abondamment inspiré de l'histoire constitutionnelle française de 1789 à 1797 et, notamment, de la Constitution directoriale de 1795 qui constitue la source majeure de la première

Constitution helvétique222.

La première Constitution helvétique fait "table rase"223 de tout ce qui précède. Elle est basée sur les principes de l'égalité, de la souveraineté populaire et de la séparation des pouvoirs224. L'article 1 in initio déclare que "la République helvétique est une et indivisible. Il n'y a plus de frontières entre les cantons et les pays sujets, ni de canton à canton"225. Pour la première et dernière fois, la Suisse est un Etat unitaire226, divisé en cantons227 qui, à l'instar des

221 Aubert, 1967a p. 4 no 6. 222 Kölz, 1992a, p. 105. 223 Heusler, 1920 p. 309. 224

Stähelin Andreas ("Helvetik") in Helbling Hanno, Vogt Emil et alt., Handbuch der Schweizer Geschichte, 1980 p. 790.

225

Constitution de la République helvétique du 12 avril 1798 in Kölz, 1992b p. 126.

226

Simon Christian ("Die Helvetik - eine aufgezwungene und gescheiterte Revolution") in Hildbrand Thomas und Tanner Albert (Im Zeichen der Revolution - Der Weg zum schweizerischen Bundesstaat 1798-1848), 1997 p. 30.

227

Le mot "canton" (du latin du Moyen Age "quantonus") a désigné dès le XVème siècle dans la diplomatie française, puis dans celle des autres puissances européennes, les entités formant la Confédération helvétique. Le

34 départements français, ne sont plus que des circonscriptions administratives, juridictionnelles et électorales. Avant d'étudier les autorités centrales - naturellement, de loin, prépondérantes - examinons succinctement comment le pouvoir est établi dans ces cantons déchus.

42. Le pouvoir dans les cantons déchus. Nous y trouvons un préfet national, une chambre administrative et un tribunal cantonal. Ces autorités sont prévues au Titre X de la première Constitution helvétique et sont donc imposées aux cantons228.

Le Directoire exécutif nomme et révoque le préfet national229. La Chambre administrative est formée de cinq membres choisis par le corps électoral qui la renouvelle tous les ans, à raison d'une personne par année230; le préfet national nomme le président de la Chambre

administrative parmi ses membres231; les membres de la Chambre administrative "peuvent être réélus deux fois de suite; après quoi, ils ne peuvent être réélus qu'après un intervalle de deux ans"232. Ils peuvent être destitués n'importe quand par le Directoire qui est aussi

compétent pour leur désigner des remplaçants jusqu'aux prochaines élections233. La Chambre administrative est divisée en cinq départements.

Le préfet national et la Chambre administrative exercent tous deux le pouvoir exécutif234. Le préfet a cependant beaucoup plus de compétences : il transmet les lois et les ordres des autorités centrales aux autorités cantonales; il surveille l'ensemble de ces dernières; il choisit, entre autres, les présidents de la Chambre administrative et du tribunal du canton parmi les élus du peuple; il est responsable de la sûreté intérieure; il peut faire arrêter une personne et il convoque le corps électoral235.

Si nous y ajoutons que le préfet national a le droit d'assister aux séances de la Chambre administrative et des tribunaux236, nous pouvons conclure qu'à l'intérieur de chaque canton, la Chambre administrative n'est en fait que l'instrument du préfet et, donc, des autorités

centrales.

Examinons maintenant l’organisation de l’Etat central.

43. Les autorités centrales. Ces autorités sont le corps législatif divisé en un Sénat et un Grand conseil, le Directoire de cinq membres, assisté par quatre puis six ministres et, enfin, la hiérarchie des tribunaux avec à sa tête un tribunal suprême.

Bien que le principe de la séparation des pouvoirs ne soit inscrit nulle part dans cette constitution, il y est implicitement consacré. En cela, ce texte est plus proche de la

mot n'a pas été repris de la Constitution directoriale où il correspond à une circonscription électorale. (Voir à ce sujet Kölz, 1992a p. 106).

"Les treize cantons sont ainsi réduits au rang de circonscriptions administratives, juridictionnelles et électorales, à l’image des départements français" (Aubert, 1967a p. 5 no 8). La première constitution helvétique comprend vingt-deux cantons : le Valais, Vaud, Fribourg, Berne, Soleure, Bâle, Argovie, Lucerne, Unterwald, Uri, le canton de Bellinzone, celui de Lugano, les Grisons, le canton de Sargans, Glaris, Appenzell, Thurgovie, Saint- Gall, Schaffhouse, Zurich, Zoug, Schwyz (il s’agit de l’ordre de présentation de la première constitution helvétique).

228

Kölz, 1992b p. 146ss.

229

Art. 82 de la Constitution de la République helvétique du 12 avril 1978. Le texte de cette constitution se trouve chez Kölz, 1992b p. 126ss. 230 Art. 101. 231 Art. 96. 232 Art. 101. 233 Art. 105. 234 Art. 96 et 101. 235 Art. 96. 236 Art. 96.

philosophie politique de Montesquieu que de celle de Rousseau, tout comme la Constitution directoriale237.

Cette séparation des pouvoirs accentuée apparaît, par exemple, dans l'impossibilité faite aux directeurs de parler devant le Sénat ou le Grand conseil, cela comme aux Etats-Unis

d'Amérique. Aucune règle n’est prévue pour éviter des conflits entre ces deux pouvoirs238, contrairement à ce qui se passe outre-Atlantique. Néanmoins, chaque année, le Directoire exécutif doit présenter aux conseils la destination des dépenses.

Le bicamérisme de type américain - et non pas celui de la Constitution directoriale - apparaît, lui aussi, pour la première fois dans notre pays.

Le Sénat est composé de quatre députés par canton et des ex-directeurs239. Son nom provient du droit public américain ou romain; sa composition de quatre sénateurs par canton ressemble à celle du Sénat des Etats-Unis d'Amérique où chaque Etat délègue deux sénateurs à

Washington. Ochs s'en est vraisemblablement inspiré240. Cet organe constitue un élément fédéraliste dans un régime complètement centralisé par ailleurs241.

Tous les sénateurs et tous les grands conseillers sont désignés au suffrage universel et indirect242. Les sénateurs doivent avoir au moins trente ans et ne pas être célibataires243. A partir de trois ans après la mise en vigueur de la constitution, il faut être ou avoir été soit haut fonctionnaire soit juge pour être élu membre du Sénat244. Les anciens directeurs siègent de droit au Sénat245.

"Le renouvellement du Sénat, quant aux membres sujets à élection, se fait, toutes les années impaires, par quart, ensorte (sic!) que chaque membre électif du Sénat y siège huit ans"246; après avoir été huit ans en fonction, les sénateurs doivent attendre quatre ans avant de pouvoir être réélus247.

Le Grand conseil est composé de huit membres par canton pour les premières élections puis proportionnellement à la population dans chaque canton par la suite (cela faute de données démographiques actualisées)248.

Kölz constate que le Grand conseil correspond au Conseil des cinq cents de la Constitution directoriale et que Ochs l'a baptisé ainsi en se référant aux Grands conseils dans les cantons sous l'ancien régime249.

Les grands conseillers sont élus au suffrage universel et indirect250. Pour accéder au Grand conseil, il faut avoir atteint l'âge de vingt-cinq ans251. Le renouvellement du Grand conseil se fait toutes les années paires, par tiers252. Les membres de ce conseil qui ont été six ans en fonction ne peuvent être réélus qu'après un intervalle de deux ans253.

Pour la première fois en Suisse, les séances des deux chambres sont publiques. Chaque année, 237 Kölz, 1992a p. 113. 238 Kölz, 1992a p. 117. 239

Art. 36 de la Constitution du 12 avril 1798.

240

Kölz, 1992a p. 114.

241

Kölz, 1992a p. 114.

242

Stähelin Andreas ("Helvetik") in Helbling Hanno, Vogt Emil et alt., Handbuch der Schweizer Geschichte, 1980 p. 790-791; Aubert, 1967a p. 5 no 8.

243

Art. 38 de la Constitution du 12 avril 1798.

244 Art. 37. 245 Art. 36. 246 Art. 41. 247 Art. 45. 248 Art. 36. 249 Kölz, 1992a p. 114. 250 Aubert, 1967a p. 5 no 8. 251

Art. 42 de la Constitution du 12 avril 1798.

252

Art. 43.

253

36 les deux conseils doivent s'ajourner pendant au moins trois mois254. Cette clause diminue les pouvoirs du parlement et veut empêcher la résurgence d'un régime analogue à celui de la Convention. De même, l'article 69 prévoit qu'"en aucun cas, les deux Conseils législatifs ne peuvent se réunir dans la même salle". Une autre disposition empêche le Grand conseil et le Sénat de former des comités permanents et vise ainsi à éviter un nouveau Comité de salut public255.

Le gouvernement est incarné par un Directoire exécutif de cinq membres256. Les directeurs sont élus par les chambres selon un système assez particulier qui ne nous intéresse pas ici257. Les directeurs sont élus pour une durée de cinq ans au maximum, après quoi ils sont

inéligibles pendant cinq ans, mais peuvent siéger de droit au Sénat pendant ce temps258. Dès la deuxième année, un des directeurs tiré au sort doit se retirer et son successeur est désigné par le corps législatif selon un système encore beaucoup plus étrange et plus compliqué sur lequel nous ne nous étendrons pas259.

L'organisation collégiale du Directoire exécutif reflète l'intention d'éviter la prise du pouvoir par une seule personne, tout comme dans la Constitution française de 1795260.

Le Directoire exécutif est très puissant et a même beaucoup plus de pouvoirs et de compétences que son parangon français. Il faut y voir la volonté des autorités françaises d'influer ainsi plus facilement sur la politique de leur voisin261.

Parmi ses nombreuses compétences, le Directoire exécutif nomme tous les fonctionnaires dont les quatre ministres (que Ochs a aussi appelés secrétaires d'Etat!262); ceux-ci s'occupent respectivement des affaires étrangères et de la guerre, de la justice et de la police, des

finances, du commerce, de l'agriculture et des métiers, le quatrième ayant la responsabilité des sciences, des beaux-arts, des édifices publics et des ponts et chaussées263. La loi peut changer la distribution des attributions des ministres. Elle peut prévoir quatre ou six ministres à l'exclusion de tout autre effectif264.

Examinons maintenant comment le Sénat, le Grand conseil, le Directoire et les ministres agissent.

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